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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 16 juin 2010 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, co-rapporteure :

Nous sommes partis du constat que l'Union européenne court un danger de déclassement et de marginalisation durable sur la scène internationale s'il n'y a pas un sursaut de sa part. Ce qui s'est passé à Copenhague où l'Union européenne n'était pas dans la salle de négociation finale a été un moment pénible pour tous les Européens et a matérialisé la crainte éprouvée depuis un certain temps que l'Union européenne ne comptait plus.

En premier lieu, l'Union européenne a vécu une longue période d'introspection institutionnelle de quinze années durant laquelle elle s'est d'abord intéressée à elle-même. Elle s'est également affirmée comme une puissance régionale en conduisant une politique d'élargissement réussie ainsi qu'une politique de voisinage et une politique de stabilisation des Balkans qui commencent à porter leurs fruits. Enfin, l'Union européenne s'est présentée comme un promoteur déterminé du multilatéralisme et a acquis une visibilité par contraste avec la politique du Président Bush.

Dans la promotion de nouvelles normes internationales pour faire face aux nouveaux défis mondiaux, l'Union européenne a voulu tirer parti de son expérience d'une construction européenne régulée par le droit pour jouer le rôle d'une puissance normative dans le monde multipolaire.

Quatre raisons pourraient expliquer la perte d'influence de l'Europe dans le monde multipolaire. Premièrement, l'Europe a continué à se définir par rapport aux seuls Etats-Unis et non par rapport à la mondialisation et à ses autres grands acteurs. Deuxièmement, contrairement à ce qu'espérait l'Europe, la multipolarité n'a pas favorisé le multilatéralisme ni la coopération, mais plutôt le retour de la logique traditionnelle de puissance sur la scène internationale. Troisièmement, l'Union européenne n'est pas encore sortie de sa réflexion sur ses politiques internes et ne se projette pas suffisamment à l'extérieur dans un monde où on ne peut exister sans avoir cette capacité. Quatrièmement, la fierté de l'Union européenne d'être la première puissance économique et commerciale du monde ne dissimule plus son décrochage économique dans la mondialisation par rapport aux pays émergents.

L'Union européenne sortira du grand jeu international si ses Etats membres ne surmontent pas leurs contradictions et ne parviennent pas à parler d'une seule voix, au moment où des crises multiples en montrent l'urgence. Ils doivent tirer les leçons de la crise grecque qui est aussi une crise de l'euro comme ils doivent tirer les conséquences de la perte d'influence internationale de l'Union européenne, de manière à créer un acteur mondial de premier rang.

La chance de l'Union européenne est d'avoir surmonté quinze ans d'impasse institutionnelle grâce à l'adoption du traité de Lisbonne et de pouvoir passer à l'action. Certes le traité de Lisbonne n'a pas simplifié l'architecture institutionnelle de l'Union européenne. Mais il a créé les instruments pour surmonter la complexité et permettre à l'Union européenne de parler d'une voix forte et cohérente sur la scène internationale si ses membres le veulent.

Le défi est d'organiser une capacité de l'Europe à agir collectivement à l'extérieur dans une union de 27 Etats nations qui n'est pas un Etat fédéral et comporte deux puissances nucléaires, quatre pays neutres, des intérêts divergents et pas de politique fédérale extérieure. Le défi est de mener non pas une politique étrangère commune, peut-être y arrivera-t-on un jour, mais des actions communes pensées, organisées, appliquées dans certains domaines clés malgré ces différences. Le traité de Maastricht avait eu le mérite de s'aventurer dans les domaines régaliens mais la politique extérieure de l'Union européenne reste divisée entre la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) comprenant la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), relevant de la coopération intergouvernementale entre les Etats membres, et les autres domaines de l'action extérieure de l'Union européenne, relevant de l'intégration communautaire.

La solution du traité de Lisbonne n'a pas été de fusionner les deux logiques, c'est-à-dire de communautariser l'ensemble de la politique extérieure, mais de surmonter ce clivage par une innovation majeure : la création du Haut représentantVice-président de la Commission. Le Haut représentant, nommé par le Conseil européen à la majorité qualifiée avec l'accord du président de la Commission, est la seule institution de l'Union européenne couvrant l'ensemble du champ de la politique extérieure européenne au niveau de son élaboration.

En tant que Haut représentant mandataire du Conseil, il est chargé d'élaborer, de conduire et d'exécuter la PESC. En tant que Vice-président de la Commission, il est chargé, au sein de la Commission, des responsabilités qui incombent à cette dernière dans le domaine des relations extérieures et de la coordination des autres aspects de l'action extérieure de l'Union. Enfin, il remplace la présidence tournante à la présidence du Conseil des affaires étrangères qui élabore la politique extérieure de l'Union européenne selon les lignes fixées par le Conseil européen et en assure la cohérence.

Son rôle s'inscrit dans un nouvel équilibre des pouvoirs caractérisé en particulier par le renforcement du pouvoir d'orientation stratégique du Conseil européen, grâce à la création d'une président stable et à l'élimination de la présidence tournante du champ de la politique extérieure européenne pour la concentrer sur la coordination des politiques internes au Conseil « Affaires générales » et dans les conseils spécialisés.

L'autre innovation majeure est la création d'un service européen d'action extérieure, sous l'autorité du Haut représentant, regroupant des services du secrétariat général du Conseil et des services de la Commission.

Le Haut représentantVice-président dispose donc d'un pouvoir d'initiative en matière de PESC et d'un pouvoir de coordination en matière d'action extérieure. C'est une architecture compliquée mais il n'y a pas d'autre chemin pour aller vers une unification de l'action européenne en matière extérieure. C'est une idée féconde à condition qu'elle soit bien appliquée.

Les étapes de la mise en oeuvre du SEAE ont commencé avec l'adoption par le Conseil européen en octobre 2009 du rapport de la présidence suédoise sur les lignes directrices. Elles se sont poursuivies avec l'accord politique du Conseil le 26 avril sur la proposition de décision sur le SEAE, présentée par la Haute représentante le 25 mars, accompagnée d'une proposition modifiant le règlement financier, présentée par la Commission le 26 mars. Elles continuent avec les négociations difficiles engagées avec le Parlement européen, à l'initiative des deux co-rapporteurs, MM. Brok et Verhofstadt, de la Commission des affaires étrangères et de la Commission des affaires institutionnelles, qui voudraient communautariser complètement la politique extérieure européenne pour assurer le contrôle du Parlement européen.

Par rapport à l'ambition du traité, le projet de décision sur l'organisation et le fonctionnement du SEAE répond de manière satisfaisante sur deux des quatre enjeux fondamentaux pour que la Haute représentante puisse exercer la plénitude de ses pouvoirs dans l'intérêt de la cohérence de la politique extérieure européenne : d'une part, sur l'autonomie budgétaire et administrative du service par rapport à la Commission et de l'égalité de traitement entre les personnels des Etats membres, du Conseil et de la Commission, d'autre part sur l'intégration et l'autonomie de la structure politico-militaire dans le service sous l'autorité directe de la Haute représentante.

Sur le troisième enjeu de la représentation extérieure, l'accord politique du 26 avril au Conseil et les discussions avec le Parlement européen devraient permettre d'aboutir à des solutions équilibrées.

En particulier, la démultiplication de la représentation externe comme interne de la HRVP est une question essentielle puisque le traité n'a pas créé de poste d'adjoint de la HRVP. Or la HRVP doit mener 150 dialogues politiques avec des pays tiers et participer à 60 réunions de la Commission européenne, 40 sessions du Parlement européen, 6 à 8 Conseils européens, sans compter les Conseils « Affaires étrangères », et à 15 jours de session à l'ONU, soit 400 jours de réunions par an.

Pour résoudre cette question, le Conseil a accepté la proposition de la Haute représentante de créer un secrétaire général secondé par deux adjoints, mais le Parlement européen refuse que le secrétaire général et ses adjoints suppléent la HR dans la représentation extérieure comme devant lui-même. Le compromis en train de se dessiner semble être que le secrétaire général et les deux adjoints ne représenteront pas la HR à l'extérieur ni au Parlement européen, mais qu'elle aura le choix de sa représentation : les trois commissaires relex ou, dans des fonctions exclusivement liées à la PESC, le ministre des affaires étrangères de la présidence tournante ou d'un des pays du trio présidentiel.

Les délégations de l'Union européenne vont progressivement assumer un nouveau rôle d'ambassades de l'Union européenne, tout en conservant la gestion des programmes d'assistance de la Commission. La HR nommera les chefs de délégation sur la base d'une présélection de candidats à laquelle la Commission aura donné son accord, mais celle-ci devra motiver tout avis négatif sur un candidat. Le Parlement européen souhaitait procéder à des auditions des chefs de délégation avant leur nomination par la HR. Un compromis de bon sens est intervenu prévoyant qu'après la nomination par la HR, les chefs de délégation seront auditionnés par la commission compétente du Parlement européen pour un échange de vues, sans droit de veto.

En revanche, sur le quatrième enjeu de la coordination, le projet et les décisions sur le périmètre du service prises par le Conseil européen et le président de la Commission européenne sont une déception. La Haute représentante ne disposera pas de tout le champ des compétences qu'elle pouvait espérer recevoir si les ambitions du traité avaient été parfaitement respectées. Le président de la Commission européenne ne lui a pas confié les attributions de l'ancienne commissaire chargée des relations extérieures, en particulier la politique de voisinage, et le Conseil européen a placé l'élargissement et le commerce international hors du champ du service.

En outre, le compromis entre la Haute représentante et la Commission européenne sur la programmation des instruments d'assistance financière aux pays tiers est déséquilibré puisqu'il place sous la supervision et le contrôle directs des deux commissaires chargés du développement et de la politique européenne de voisinage la programmation des trois plus importants d'entre eux : le fonds européen de développement, les programmes géographiques de l'instrument de coopération au développement, l'instrument européen de voisinage et de partenariat.

Qu'il y ait des réticences et des reculs par rapport aux ambitions du traité n'est pas une surprise. Les Etats membres ne veulent pas d'une « contamination » de la PESC et de la PSDC par leur communautarisation. La Commission la vit comme une forme de dépossession. Le Parlement européen veut s'en saisir pour renforcer son contrôle et son pouvoir d'orientation sur toute l'action extérieure, y compris la PESC.

Nous appelons cependant à donner le maximum de pouvoir et de compétences à la Haute représentante et au service au plus près de l'esprit du traité, mais, même si la proposition est adoptée, il faudra que Mme Ashton fasse vivre cette innovation et à cet égard tout reste à prouver.

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