Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 7 juillet 2008 à 15h00
Rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail — Article 17, amendement 1191

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Vidalies :

Nous en arrivons à l'un des points les plus sensibles du texte puisqu'il porte sur la modification du forfait en jours.

La grande innovation du projet consiste, à partir du plafond de 218 jours existant, à prévoir un nombre maximal de jours travaillés dans l'année. Ce nouveau concept, qui figurera dans l'accord, conduira les salariés à travailler au-delà de 218 jours. On le sait, seul le repos quotidien de onze heures prévu par le droit européen est applicable au forfait en jours. En l'état actuel du texte et compte tenu du caractère particulier de ce forfait, des salariés pourraient ainsi être amenés à travailler 282 jours dans l'année, puisque la seule limite serait les 30 jours de congés payés, le 1er mai et les 52 dimanches annuels, étant précisé qu'ils pourraient travailler 13 heures par jour tous les jours. De telles conditions de vie et de travail, tout à fait possibles, seraient épouvantables. J'ajoute que je n'intègre pas dans ces calculs les possibilités de rachat du peu de ce qui leur reste : ils pourraient utiliser leur compte épargne temps – nous y reviendrons à l'occasion de nos différents amendements.

Le forfait en jours est une affaire extrêmement délicate. Ce concept, y compris dans le cadre des lois Aubry, n'avait rien d'évident. Il est apparu entre les deux lois Aubry. Contrairement à la vision qui sévit dans les rangs de l'UMP, il y a bien eu deux lois Aubry. La première devait s'appuyer uniquement sur la négociation et la seconde en tirer les enseignements. Il est apparu à cette occasion qu'il fallait traduire en jours, et non plus en heures, la réalité de l'activité de certaines catégories de cadres très particulières.

Au terme du débat que nous avions eu alors, le verrou a été placé à 218 jours à partir d'une définition très précise.

La définition contenue dans la loi Aubry était en effet extrêmement précise. Elle stipulait que la disposition ne s'appliquait qu'aux cadres et, parmi ces cadres, à ceux « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée, du fait de la nature de leurs fonctions, des responsabilités qu'ils exercent et du degré d'autonomie dont ils bénéficient dans l'organisation de leur emploi du temps ». Cela concernait en réalité un nombre très limité de cadres supérieurs, puisque l'ensemble de ces critères étaient cumulatifs.

Que l'on soit clair sur ce qui s'est passé par la suite : vous avez conservé l'innovation que constituait le forfait en jours, mais en élargissant considérablement son champ d'application, que nous avions, nous, strictement limité. La loi Fillon du 17 janvier 2003 a d'abord permis aux cadres de bénéficier d'une convention de forfait en jours dès lors qu'ils étaient autonomes pour l'organisation de leur emploi du temps – je vous laisse comparer les deux définitions : c'est le jour et la nuit. Ensuite, vous avez étendu le bénéfice de cette disposition aux salariés non cadres, « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées, sous réserve qu'ils aient donné individuellement leur accord ». Vos réformes de 2003 et 2005 nous ont donc fait basculer dans un autre monde.

Je terminerai par une mise en garde, dont l'avenir dira si elle est juridiquement fondée.

Le forfait en jours a déjà fait l'objet d'un certain nombre de recours, et la France a régulièrement été condamnée pour non-respect de la Charte sociale, du fait, disent les décisions, de l'amplitude horaire que cette disposition pouvait induire dans le temps de travail. Vous savez aussi que la question de l'application en droit interne de la Charte sociale a été posée par un arrêt de la Cour de cassation, et que, par ailleurs, dans l'arrêt Blue Green que j'ai déjà évoqué, le rapporteur devant la chambre sociale de la Cour de cassation a indiqué que la chambre n'était pas en mesure de statuer sur la compatibilité de la convention de forfait en jours avec le droit européen, n'ayant pas été saisie de cette question. Il n'a échappé à aucun des commentateurs de cet arrêt que l'étape suivante se jouerait lorsqu'un justiciable saisirait directement la Cour sur ce point.

Je vous mets donc en garde, comme nous l'avions fait à l'époque : ne réitérez pas la mésaventure juridique du CNE – dont ont pâti aussi bien les salariés que les entreprises – en vous engageant sur la voie aléatoire de la généralisation du forfait en jours. Le risque, en effet, est au moins aussi fort qu'il soit sanctionné comme étant incompatible avec nos engagements européens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion