L'amendement a pour objet de limiter le recours aux conventions de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois aux seuls salariés pour lesquels le dispositif était initialement destiné, c'est-à-dire aux cadres intermédiaires, donc ni dirigeants, ni intégrés – puisque ces derniers suivent l'horaire collectif de l'entreprise. Il précise la définition du cadre en reprenant celle de l'article L. 3121-38 du code du travail, à savoir que la qualité de cadre s'entend au sens de la convention collective de branche ou au sens du premier alinéa de l'article 47 de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres.
C'est une précision importante parce que l'on est en train d'étendre les conventions de forfait – et quand nous en viendrons au forfait en jours, nous verrons que les extensions qui ont déjà eu lieu vont être pérennisées. À l'issue de l'adoption de ce projet de loi, tout salarié pourra donc se voir proposer une convention de forfait, soit en heures, soit en jours. Or ces conventions ont comme première conséquence pratique d'augmenter le temps de travail sans que la rémunération soit majorée au titre des heures supplémentaires, puisque tel est le principe même du forfait. Certes, il est prévu que les forfaits en heures doivent intégrer le nombre d'heures supplémentaires prévues, mais cela suppose de tenir à jour le décompte des heures supplémentaires effectuées, et il n'y a aucune obligation légale à cet égard. On ne peut donc qu'être inquiet de l'extension à l'ensemble des salariés de ces systèmes de forfait, qui sont bien moins favorables que le décompte de la durée du travail en heures mensualisées, jusqu'ici le lot commun de l'immense majorité des salariés.
Il faut tout de même rappeler que la création des forfaits, dans la loi Aubry II, constituait une contrepartie à la réduction du temps de travail. Or on est en train de tout supprimer en termes de contrepartie. Les entreprises ont le beurre et l'argent du beurre : elles ont à leur disposition tous les systèmes d'assouplissement possibles. Ce sera, comme disait un ancien Premier ministre de votre majorité, qui nous le répétait toutes les demi-heures : « Souplesse, souplesse, souplesse ». En plus, cela va être la déréglementation totale. Il n'y a plus du tout de contrepartie en termes de réduction du temps de travail, ni en termes de repos compensateur. Vous n'avez pas répondu, jeudi dernier, à nos questions à ce sujet, monsieur le ministre, mais il apparaît que les repos compensateurs ne sont même plus comptabilisés dans le temps de travail ouvrant droit à la retraite puisqu'ils ne sont plus reconnus comme temps de travail effectif. Les droits des salariés sont donc de plus en plus restreints, et les conditions de travail s'aggravent totalement.
C'est pourquoi je propose de préciser que les conventions de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois ne s'appliquent qu'aux salariés ayant qualité de cadre. Ce n'est qu'un amendement de repli car il faudrait en revenir à l'état du droit antérieur à la loi Aubry II, quand ces conventions concernaient uniquement les cadres dirigeants. Selon moi, tous les autres salariés, y compris ceux ayant le statut de cadre mais ne dirigeant pas l'entreprise, devraient être à la semaine de 35 heures, si tant est que celle-ci demeure la durée légale.
Nous sommes au début du XXIe siècle, la productivité horaire a très fortement augmenté, il y a besoin de beaucoup moins d'heures de travail pour produire l'immense majorité des biens nécessaires à une vie correcte, et je pense qu'entrer dans une course à l'augmentation du temps de travail dégrade la santé des salariés, est préjudiciable à l'avenir de la planète et n'aura comme conséquence, à terme, que de réduire le nombre de salariés au travail et d'aggraver les conditions spécifiques de travail des femmes.