Le CERC a été créé dans les années 1960, après un rapport de la Conférence des revenus dont j'étais le rapporteur général. Il a connu deux changements de dénomination décidés respectivement par M. Édouard Balladur et M. Lionel Jospin. Outre un rapporteur général, son équipe comprend six chargés de mission, deux documentalistes et deux secrétaires. Nous avons obligation de rendre périodiquement un rapport annuel. Le Premier ministre peut nous saisir ; il l'a fait sur les aides au retour à l'emploi dans le contexte de la réflexion sur l'organisation du marché de l'emploi – Agence nationale pour l'emploi et plan d'aide au retour à l'emploi. Contrairement aux autres organismes dans la mouvance du Premier ministre, nous pouvons nous autosaisir. Le conseil que je préside est indépendant. Il comprend huit membres, dont deux sont de droit : le directeur général de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et la directrice de la Direction de l'animation, de la recherche et des études statistiques (DARES) du ministère en charge du travail.
Mes remarques puisent dans le rapport « La France en transition », qui couvre la période 1993-2005, et, parfois, dans les rapports précédents et les suivants. Bien que ce ne soit pas strictement de notre compétence, notre rapport s'inspire de l'idée que notre compétitivité est insuffisante ; d'où un dynamisme et une croissance également insuffisants au regard des comparaisons internationales. La cause n'en est pas qu'un problème de coûts, comme le montre l'analyse du ciblage de nos productions et de nos exportations.
Nous avons concentré notre attention sur ceux qui ont la vie la plus difficile. Nous organisons parallèlement des séminaires. Celui de cette année, sur la cohésion sociale, a permis de souligner les souffrances sociales endurées : premièrement, par ceux qui souffrent de l'instabilité de leur emploi ; deuxièmement, par les titulaires des minima sociaux ; troisièmement, par les habitants des quartiers difficiles et de certaines régions rurales qui, en l'absence de services publics ou de sites de production, sont soumis à des exigences de mobilité qui pèsent lourdement sur leur revenu.
Certes, notre démographie est prometteuse – avec deux enfants par femme, nous avons, avec l'Irlande, le meilleur taux de natalité – mais nous allons prochainement affronter le défi d'années relativement creuses. J'enfonce là des portes ouvertes.
Les obsessions qui jalonnent nos rapports depuis huit ans concernent d'abord les travailleurs pauvres et les enfants pauvres. Le rapport les concernant est celui qui a eu le plus de résonance. Il s'agit également d'un sujet récurrent en Grande-Bretagne, aux États-Unis, et ailleurs.
Les chercheurs sociaux nous invitent aussi à réfléchir à la question de savoir comment investir dans le social concernant la question des jeunes.
Troisième obsession : l'instabilité de l'emploi, plus que l'insécurité. Il s'agit du facteur central des inégalités. Sans vous accabler de chiffres, dans la tranche des salariés âgés de vingt-cinq à cinquante-quatre ans, le salaire horaire varie de 1 à 2,8, mais les variations du salaire annuel perçu vont de 1 à 13,4. En moyenne, un travailleur travaille treize semaines à raison de vingt-deux heures hebdomadaires.
Quatrième thème : l'aide au retour à l'emploi, donc le fonctionnement du marché du travail. Puisque vous vous intéressez au RSA, sachez que nous avons soutenu le Plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) et les réformes de l'accompagnement du demandeur d'emploi – nous en avions même proposé certaines. Nous avons étés frappés surtout par les freins non financiers au retour à l'emploi qui se superposent à des difficultés plus classiques telles que la prise en charge par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) – ou l'agence France Emploi – et la formation, dont la rentabilité a été contestée par de nombreux experts. J'y reviendrai parce que c'est profondément injuste. L'accent doit être mis sur l'accompagnement des personnes, en particulier celles qui sont bénéficiaires du Revenu minimum d'insertion (RMI). Leur situation est telle qu'une incitation financière supplémentaire ne suffit pas, et qu'il leur faut, pour réussir, un accompagnement personnalisé.
Cinquième obsession : les jeunes sortis sans diplôme du système éducatif. Ils sont 190 000 chaque année : 110 000 issus de l'enseignement secondaire – c'est à eux que sera consacré notre prochain rapport, qui sera publié dans un mois – et 80 000 après une ou deux années universitaires. Indépendamment d'une énième réforme du système éducatif, il faut se tourner vers l'accompagnement, la formation, l'aide à la recherche d'emploi, l'alternance et la mobilisation des entreprises.
S'agissant, enfin, des services à la personne, les discussions sont très vives au sein du CERC car la question n'est pas simple. La controverse porte sur la façon de concilier lutte contre les inégalités et efficacité économique.
Nos travaux ont permis de constituer une documentation ciblée qui est consultée internationalement. C'est une des spécificités du CERC et je m'oppose à la mutualisation des documentations, qui ferait disparaître cette originalité. Elle nous permet dans le même temps d'entrer en contact avec des chercheurs et des praticiens du monde entier.
Nous avons aussi travaillé à la façon d'optimiser la dépense publique.
Autre question qui nous passionne et qui nous est plus personnelle : la complexité des structures administratives et la décentralisation. Je suis vraiment réservé sur la façon dont se fait cette dernière, compte tenu de son peu d'efficacité, notamment dans le domaine des aides aux plus pauvres, de la formation et même du traitement des bénéficiaires du RMI. De ce point de vue, la décentralisation est ratée.
Par ailleurs, il est nécessaire d'améliorer les relations sociales. Les choses sont en train de bouger. Est-il possible, en matière sociale, de définir des politiques publiques qui n'aient qu'un seul objectif ? Malgré le ravissement que procurent de tels outils aux techniciens des cabinets ministériels, l'expérience montre qu'une politique publique qui vise plusieurs objectifs parvient difficilement à les concilier. Par exemple, comment concilier le barème de l'impôt sur le revenu et le RSA ? Ou encore la politique familiale et le RSA ? Il n'y a pas de réponse simple.
S'agissant du système d'enseignement, il a ses qualités, mais il est producteur d'inégalités et il est coûteux. Le problème est toujours mal posé, nous semble-t-il.
En ce qui concerne la formation permanente, elle ne répond pas à tous les objectifs fixés par la loi de 1970 qui l'a instituée. Elle fait cependant l'objet de critiques excessives car elle n'est vue que sous l'angle de la théorie du capital humain. En ne rapportant l'investissement en formation qu'au salaire ultérieurement perçu, on laisse de côté la moitié de ce que la formation peut apporter. Une telle approche biaise la discussion.
Enfin, sur l'État social à réinventer, nous réfléchissons au thème : moins de graisse inutile et plus d'investissement préventif dans le social ; ce qui explique l'intérêt que nous portons aux enfants pauvres.