Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Pierre Lequiller

Réunion du 9 juin 2009 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lequiller, président :

Nous voici aujourd'hui, au lendemain des élections européennes, à un moment important pour l'avenir de l'Union. Les électeurs des 27 États membres, bien qu'une fois de plus insuffisamment mobilisés, ont choisi clairement une direction politique. Sous l'impulsion de cette nouvelle législature, nous avons désormais l'opportunité d'achever, enfin, un chantier institutionnel ouvert depuis plus de quinze ans et nous consacrer à la mise en oeuvre de politiques européennes répondant aux fortes attentes exprimées par les peuples.

Le 6 mai dernier, le Parlement tchèque a levé la dernière hypothèque qui pesait sur le traité de Lisbonne. Le destin institutionnel de l'Europe repose désormais tout entier sur le référendum irlandais de l'automne prochain.

Il ne faut pas méconnaître la portée de cet évènement. C'est la première fois qu'un traité est soumis à 27 ratifications unanimes, et ce dans un temps qui, à l'aune de l'histoire de la construction européenne, reste très bref. Si l'Acte unique et le traité d'Amsterdam avaient été ratifiés dans des temps records (respectivement 17 et 19 mois), ils étaient cependant loin de constituer un pas en avant aussi ambitieux que celui incarné par le traité de Lisbonne. Et, comme il est traditionnel dans la chaotique histoire de nos traités fondateurs, les choses bougent extrêmement vites. Qui aurait pu affirmer, il y a seulement quelques mois, que nous ne serions jamais aussi près qu'aujourd'hui de poser la dernière pierre à l'édifice institutionnel de l'Union ?

C'est sur ce changement radical de nos perspectives institutionnelles que je veux d'abord insister. L'issue de la ratification tchèque était en effet loin d'être acquise. La situation politique y est incertaine, entre une Chambre des députés partagée à exacte parité entre la majorité ODS, verts et démocrates-chrétiens et l'opposition sociale démocrate et communiste et les divisions du parti majoritaire ODS sur l'Union européenne attisée par l'euroscepticisme du Président Václav Klaus. Cette instabilité a atteint son paroxysme le 24 mars dernier avec l'adoption d'une motion de censure contre le Gouvernement de Miroslav Topolánek, liée à la défection inattendue de deux députés ODS, suivie de longues tractations pour constituer un Gouvernement d'intérim composé essentiellement de hauts fonctionnaires sous la direction de M. Jan Fischer, ancien directeur de l'Office national des statistiques.

Dans ce contexte, le vote par le Sénat le 6 mai 2009 du projet de loi de ratification du traité à la majorité de deux tiers constitue une vraie bonne nouvelle pour l'Europe. S'il n'est pas exclu que le Président Klaus repousse autant que possible sa signature de l'acte de ratification, nos interlocuteurs tchèques nous ont clairement affirmé qu'un oui irlandais ne lui laisserait d'autre choix que de se conformer à ses obligations constitutionnelles. Il en ira de même pour le Président polonais Lech Kaczyński qui, lui aussi, déclare attendre les résultats de la seconde consultation irlandaise pour déposer les instruments de ratification du traité approuvé par son Parlement le 2 avril 2008. Le Président allemand Horst Köhler doit pour sa part attendre la décision de la Cour constitutionnelle fédérale qui statuera au début de l'été sur les recours formés notamment par le député CSU Peter Gauweiler contestant la conformité du traité à la Loi fondamentale.

La feuille de route tracée par le Conseil européen des 11 et 12 décembre 2008 est donc aujourd'hui respectée : les irlandais s'exprimeront à l'automne sur un traité ratifié par tous leurs partenaires. C'est un argument de poids dans la future campagne référendaire. Adossé aux garanties actuellement négociées entre les États membres, il devrait permettre d'engager les débats sur des fondements radicalement nouveaux par rapport au référendum du 12 juin 2008.

On sait en effet que le Gouvernement irlandais, éclairé par les travaux d'une commission parlementaire sur le futur de l'Irlande, s'est engagé soumettre une nouvelle fois le traité à référendum avant la fin du mandat de l'actuelle Commission en novembre 2009 dès lors que des précisions auront été apportées sur divers points jugés propres à emporter l'adhésion du peuple irlandais.

En premier lieu, les conclusions du Conseil européen de décembre dernier prévoient que des « garanties juridiques » seront définies afin d'assurer :

– qu'aucune des dispositions du traité de Lisbonne ne modifie l'étendue ou la mise en oeuvre des compétences de l'Union dans le domaine fiscal ;

– que le traité n'affecte pas la politique de sécurité et de défense des Etats membres, en particulier la politique traditionnelle de neutralité de l'Irlande ;

– que les dispositions de la Constitution irlandaise concernant le droit à la vie, l'éducation et la famille ne soient pas affectées par le traité de Lisbonne ou le statut juridique qu'il confère à la Charte des droits fondamentaux de l'Union.

En second lieu, les États membres se sont entendus pour conserver une Commission comprenant un national de chaque État membre. Il faut rappeler en effet que le traité de Nice, actuellement en vigueur, impose une diminution de ses membres – sans autre précision – dès 2009. Le traité de Lisbonne pour sa part fixe à partir de 2014 une composition égale à deux tiers des États.

Le Conseil de l'Union prépare activement la concrétisation juridique de ces garanties, à l'ordre du jour du Conseil européen des 18 et 19 juin prochain.

Si les garanties n'imposent pas a priori l'adoption d'un texte juridiquement contraignant (de simples « déclarations » du Conseil européen, solennelles mais sans portée juridique, semblant suffisantes, bien que les propositions irlandaises retiennent la voie d'une inscription dans le droit primaire au moyen de protocoles spécifiques), la modification de la composition de la Commission passe nécessairement par une révision des traités, et par conséquent par une ratification unanime dans l'ensemble des États membres. Pour autant, comme je l'ai dit, le traité de Lisbonne maintient une Commission à 27 jusqu'en 2014, ce qui nous laisse près de cinq ans pour trouver une solution. A ce stade, le véhicule juridique le mieux approprié semble devoir être le traité d'adhésion de la Croatie, qui devrait être soumis, dès que les dernières réserves slovènes auront été apaisées, à ratification au cours de l'année 2010. Et il importe de rappeler que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a précisément prévu que l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne serait la dernière adhésion qui échappera au référendum obligatoire en France.

Le report de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne au-delà du premier semestre 2009 emporte des conséquences institutionnelles importantes.

Dans cette perspective, le Parlement européen a exprimé ses positions en adoptant le jeudi 7 mai dernier cinq rapports liés à la mise en oeuvre du nouveau traité. Deux d'entre eux approfondissent quelques aspects des incidences institutionnelles du nouveau traité, le rapport de Sylvia-Yvonne Kaufmann (PDS, Allemagne) dessinant les critères de recevabilité de l'initiative citoyenne permettant à un million de citoyens de l'Union d'inviter la Commission européenne à présenter une proposition d'acte juridique et le rapport de Catherine Guy-Quint (PSE, France) traitant des aspects financiers du nouveau traité.

Le rapport de Jo Leinen (PSE, Allemagne) fait pour sa part le point sur les nouvelles prérogatives dévolues au Parlement européen, grâce en particulier à l'élargissement de la procédure législative ordinaire (la codécision). Il suggère par ailleurs aux Conseil, à la Commission et au Parlement de s'entendre sur un accord interinstitutionnel définissant un programme de travail commun sur une base pluriannuelle.

Surtout, le rapport de Jean-Luc Dehaene (PPE, Belgique) s'attache à apprécier le nouvel équilibre institutionnel de l'Union européenne en formulant des recommandations sur la transition de l'été et de l'automne 2009.

Le cycle électoral de 2009 se déroule en effet sous l'emprise du traité de Nice, qui prévoit une profonde modification de la composition et du mode de désignation du Parlement européen et de la Commission européenne. Or ces règles pourraient être très substantiellement altérées par l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Le traité de Nice dispose en premier lieu que les effectifs du Parlement européen passeront de 785 membres aujourd'hui à 736 membres pour la législature 2009-2014. Or, le traité de Lisbonne a précisément relevé ce plafond à 751 membres dès son entrée en vigueur.

Aménageant un régime transitoire, les élections de juin 2009 se sont faites sur la base des 736 députés prévus par le traité de Nice. Le Conseil européen de décembre 2008 a cependant décidé de porter ces effectifs à 754 membres par la suite, permettant d'augmenter les contingents des États qui « gagnent » à la nouvelle répartition liée au traité de Lisbonne (Espagne + 4 députés, Autriche, France et Suède + 2, Bulgarie, Italie, Lettonie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni et Slovénie + 1) sans pour autant affecter ceux du pays qui « perd » des représentants (Allemagne – 3).

Cette solution de compromis soulève néanmoins deux difficultés. La première est qu'elle impose une modification des traités pour relever le plafond des eurodéputés. Là encore, le traité d'adhésion de la Croatie pourrait constituer le vecteur approprié. Mais surtout, en l'absence de fondement juridique, l'incertitude demeure sur le mode de désignation des députés complémentaires. Ainsi, en France, le décret no 2009-317 du 20 mars 2009 a fixé à 72 le nombre de sièges pourvus lors de l'élection du 7 juin sans préciser les modalités de désignation des deux nouveaux députés éventuels. Une nouvelle fois, le traité d'adhésion de la Croatie pourrait fournir une utile porte de sortie, en laissant par exemple à la loi nationale la possibilité de disposer de la répartition des nouveaux sièges par exemple en respectant les équilibres politiques issus des élections de juin 2009.

La nomination de la Commission européenne en 2009 pose également des difficultés de transition entre les deux régimes institutionnels. Comme je l'ai évoqué, le traité de Nice impose dès 2009 une réduction du nombre de commissaires en précisant qu'à compter de l'entrée en fonction de la première Commission postérieure à l'adhésion du 27e État membre « le nombre des membres de la Commission est inférieur au nombre d'États membres ». Ainsi investir un collège avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne impliquerait qu'un État au moins renonce à « son » Commissaire.

Dans une même logique, le traité de Lisbonne impose, à la différence du traité de Nice, que le Conseil européen propose au Parlement européen un candidat à la fonction de Président de la Commission « en tenant compte des élections au Parlement européen et après avoir procédé aux consultations appropriées ». Par suite, dans les deux régimes, le Conseil, d'un commun accord avec le Président élu, propose la liste des autres membres de la Commission « sur la base des suggestions faites par les États membres », qui est ensuite soumise, en tant que collège, à un vote d'approbation du Parlement européen.

Dans ce contexte, une application intégrale des traités actuels imposerait de mettre en place une équipe provisoire de 26 commissaires soumises à l'investiture du Parlement européen au début de l'automne 2009. Cette solution se heurterait cependant à la difficulté de déterminer l'État membre qui accepterait de « perdre » son poste de Commissaire dans l'attente de l'entrée en vigueur – incertaine – du traité de Lisbonne.

Il aurait également été possible de repousser la nomination du Président de la nouvelle Commission à l'issue du référendum irlandais, en prorogeant le mandat de l'actuelle Commission au-delà du 31 octobre 2009. Cette hypothèse, qui présentait l'avantage de permettre au Conseil européen de définir un équilibre politique optimal en procédant au même moment à la désignation des trois nouvelles « têtes » de l'exécutif européen créées par le traité de Lisbonne (le Président de la Commission, le Président du Conseil de l'Union, élu pour 2 ans et demi renouvelable une fois et le Haut Représentant pour les affaires étrangères), aurait cependant retardé de quelques mois la mise en place des nouvelles institutions en freinant l'activité législative européenne.

Le Parlement européen, en adoptant le rapport de Jean-Luc Dehaene évoqué tout à l'heure, a proposé une solution médiane en désignant dès juillet 2009 un Président de Commission tout en repoussant l'investiture du collège des Commissaires aux lendemains du référendum irlandais. La nomination du Président devrait toutefois se faire « dans l'esprit du traité de Lisbonne », c'est-à-dire au regard du résultat des élections européennes et sur la base des consultations appropriées avec les groupes politiques du Parlement.

Tels sont les éléments institutionnels que je souhaitais porter à la connaissance de notre Commission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion