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Intervention de Daniel Paul

Réunion du 19 mai 2009 à 16h00
Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Paul, rapporteur :

Au cours de la précédente législature, j'avais déjà eu l'honneur de présenter une proposition de loi relative à la précarité devant la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Or la situation n'a fait que s'aggraver du fait de la crise économique actuelle. C'est pourquoi nous avons déposé un nouveau texte comportant des mesures sociales d'application immédiate.

La crise du système capitaliste, qui frappe aujourd'hui l'ensemble de l'économie mondiale, touche avant tout les salariés. Ceux-ci doivent en effet payer une lourde facture sociale. En témoigne l'augmentation considérable du chômage au cours des derniers mois : entre les mois de mars 2008 et 2009, le nombre des demandeurs d'emploi de catégorie A s'est accru de 22,1 %, ce qui a porté le nombre total de personnes inscrites à Pôle emploi à plus de 3,8 millions de personnes, certaines catégories étant particulièrement affectées, notamment les jeunes de moins de vingt-cinq ans, dont le taux de chômage a progressé de 35,8 %. En outre, on s'attend à ce qu'il y ait 800 000 chômeurs supplémentaires d'ici à la fin de l'année 2010.

Dans le même temps, le nombre de licenciements pour motif économique a explosé : en mars 2009, le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi pour ce motif a ainsi augmenté de 46 % par rapport à mars 2008. Le chômage partiel est également à la hausse : le 10 février dernier, on comptait déjà 12 millions d'heures pour l'année 2009, contre 22 millions en 2008.

Ajoutons à cela que les prévisions économiques sont catastrophiques : selon le Gouvernement, la France s'apprêterait à connaître « deux années noires », marquées par une diminution de 3 % du PIB en 2009 soit la plus forte récession enregistrée depuis les années 1930, puis de 0,2 % en 2010. Alors que 138 000 emplois ont déjà été détruits au cours du premier trimestre 2009, cette tendance devrait donc se poursuivre : au total, l'emploi devrait diminuer de 646 000 postes en 2009, et de 296 000 en 2010.

Toutes ces données démontrent bien la violence de la crise actuelle ainsi que l'ampleur de son coût social pour les salariés.

Dans ce contexte, on ne peut qu'être choqué par le comportement scandaleux de certaines entreprises, qui annoncent des chiffres d'affaires et des bénéfices record pour 2008 et lancent dans le même temps des plans de compression des effectifs prévoyant des centaines, voire des milliers de suppressions d'emploi.

Les salariés constituant plus que jamais la première variable d'ajustement du capitalisme financier, la « jurisprudence Michelin » de 1999 reste malheureusement d'actualité. Le groupe Renault – dont le chiffre d'affaires s'élève à 37,7 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 6 milliards d'euros d'aides de l'État, partagés avec Peugeot – a par exemple annoncé 4 450 suppressions d'emploi. En dépit d'un bénéfice de 14 milliards d'euros et de dividendes de deux milliards, Total supprime également 550 postes. Le groupe PPR, qui a réalisé 924 millions d'euros de bénéfice, dont 50 % reviendront aux actionnaires, en supprime 1 900. Caterpillar, dont les bénéfices s'élèvent à 3,5 milliards d'euros et qui a versé des dividendes en hausse de 17 % et supprimé 733 postes. Après avoir réalisé un bénéfice d'un milliard d'euros, Ericsson en supprime également 5 000.

Des 75 milliards d'euros de profits réalisés par les entreprises du CAC 40 en 2008, près de 34,9 milliards ont été redistribués aux actionnaires sous la forme de dividendes. Or, non contentes de multiplier les licenciements et les fermetures de sites, ces entreprises contraignent également leurs salariés au chômage partiel. Alors qu'elles réalisent des profits et distribuent des dividendes, elles contraignent les plus modestes à réduire leurs dépenses quotidiennes et font subir le coût social de la crise à l'État, principal financeur de l'indemnisation du chômage partiel.

Face à de tels comportements, le Gouvernement n'a proposé que des mesures très limitées, et s'est souvent contenté d'effets d'annonce. Alors que l'effort de relance représente respectivement 3,5 % et 3 % du PIB en Espagne et en Allemagne, il ne dépasse pas 0,6 % du PIB dans notre pays, et son impact devrait se réduire à 0,5 point de croissance en 2009 et à 0,2 point en 2010 selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Invoquant l'accroissement des déficits publics, le Gouvernement refuse d'engager de nouveaux moyens. De nouvelles sources de financement pourraient pourtant être explorées, notamment en remettant en cause les exonérations générales de cotisations sociales pour le patronat. La réduction de cotisation dite « Fillon » a ainsi coûté plus de 22,8 milliards d'euros en 2008, pour des résultats que même la Cour des comptes met en doute. Cette manne financière pourrait utilement servir à financer des dépenses sociales supplémentaires, qui sont nécessaires en temps de crise, ainsi que des dépenses d'avenir dans le domaine de l'éducation et de la recherche. Mais ce n'est ni la philosophie ni l'idéologie de ce gouvernement, qui refuse toute remise en cause des cadeaux fiscaux et sociaux généreusement accordés à une minorité de privilégiés.

Le plan de relance présenté par le Gouvernement a également pour défaut d'oublier la question du pouvoir d'achat. Celui-ci s'est considérablement dégradé depuis 2002 alors que les inégalités de revenus ont progressé. Les revenus des 0,01 % des foyers les plus riches ont ainsi augmenté de 42,6 % entre 1995 et 2006 contre 4,6 % pour les 90 % les moins riches. À cela s'ajoute l'accroissement du phénomène des travailleurs pauvres : selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 8 millions de Français vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, ce qui signifie que l'emploi ne protège plus de la pauvreté.

En dépit de la dégradation du pouvoir d'achat des ménages, de l'accroissement des inégalités et de l'augmentation du nombre de travailleurs pauvres, le Gouvernement refuse toute augmentation globale des salaires, au motif que cette mesure serait inefficace. On sait pourtant que l'ensemble de l'économie française a bénéficié de l'augmentation de 35 % du salaire minimum interprofessionnel garanti en 1968. En outre, chacun sait que la part des importations dans la consommation des ménages français demeure relativement faible : selon l'OFCE, elle ne dépasserait pas 14 %. Dans ces conditions, une augmentation des salaires ne serait pas un obstacle à la relance économique.

Nous avons également appris, de la bouche de son directeur général, que Pôle emploi souffrait de graves difficultés de fonctionnement, nuisant au bon accompagnement des demandeurs d'emploi. On compte aujourd'hui en moyenne 90 demandeurs d'emplois par conseiller mais dans certaines agences cela peut aller jusqu'à 120, voire 180. Dans ces conditions, on peut se demander si les effectifs sont réellement adaptés.

Il apparaît en outre que seule une centaine des 956 sites mixtes prévus est pour le moment opérationnelle, et que moins de 5 000 personnes ont été formées à leurs nouvelles tâches. À cela s'ajoutent des problèmes de raccordement informatique entre l'ancien réseau des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assédic) et celui de l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).

Dans ces conditions, le directeur général de Pôle emploi estime que la fusion ne devrait pas être achevée avant la mi-2010, ce qui constitue un délai beaucoup trop long pour les millions de demandeurs d'emploi actuels et à venir.

Compte tenu de la carence du Gouvernement face à la situation d'urgence sociale dans laquelle nous nous trouvons, mais aussi compte tenu des comportements scandaleux de certaines grandes entreprises, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) vous proposent d'adopter des mesures urgentes de justice sociale en faveur de l'emploi, des salaires et du pouvoir d'achat. Tel est l'objet de cette proposition de loi.

Il s'agit, en premier lieu, de favoriser l'emploi par la limitation des conditions d'admission des licenciements pour motif économique – article 1er –, par le renchérissement du coût des licenciements pour motif économique – article 2 –, par la création d'un droit d'opposition des salariés contre les licenciements pour motif économique – article 3 – et par la suppression du dispositif d'exonérations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires instauré par la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « loi TEPA » – article 4.

Nous vous proposons également d'accroître les salaires et le pouvoir d'achat en portant le SMIC à 1 600 euros bruts par mois – article 5 –, en supprimant les réductions générales de cotisations sociales dans l'hypothèse où l'employeur ne conclurait pas un accord salarial tous les ans – article 6 –, en imposant l'organisation d'une conférence nationale sur les salaires en vue de relever l'ensemble des grilles salariales de branche – article 7 –, en garantissant intégralement les salaires en cas de chômage partiel dans des entreprises bénéficiaires – articles 9 et 10 –, et, enfin, en adoptant un dispositif permettant réellement aux emprunteurs de rompre leurs contrats de crédit à la consommation – article 14.

Notre proposition de loi comportait initialement quatre articles supplémentaires qui ont été jugés irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution. Depuis les modifications de procédure adoptées à l'issue de la dernière révision constitutionnelle, la recevabilité financière des propositions de loi est en effet examinée avant que la Commission puisse se réunir. Celle-ci ne peut donc plus engager le débat sur l'ensemble des mesures proposées, ni tenir compte du gage financier destiné à compenser les charges supplémentaires prévu à l'article 15. Dans ces conditions, le Gouvernement jouit d'une véritable primauté en matière sociale, ce qui constitue un recul démocratique indéniable, ce constant étant, je crois, partagé par tous.

Afin que le débat puisse s'engager sur l'ensemble des mesures que nous avions initialement proposées, vous me permettrez de présenter brièvement les articles qui ont été déclarés irrecevables.

L'article 13 tend à verser aux étudiants bénéficiaires des aides étudiants une allocation complémentaire, égale à 50 % des sommes déjà allouées au titre des prestations en vigueur. Celles-ci étant d'un montant insuffisant, les jeunes issus des milieux modestes sont aujourd'hui contraints d'exercer des activités rémunérées, ce qui nuit au bon déroulement de leurs études et contribue à conforter la reproduction sociale dont bénéficie la classe dominante. Je dois toutefois reconnaître que notre proposition n'était qu'un pis-aller : à plus long terme, nous souhaitons la création d'une allocation de formation permettant aux jeunes travailleurs en formation de s'insérer dans le droit commun du travail et d'alterner études et expérience professionnelle.

L'article 8 a pour objet d'étendre le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes qui travaillent. Même si le RSA nous semble contestable, car il repose sur le dogme libéral du « chômeur fainéant » et met en danger l'existence même du SMIC en encourageant la multiplication des emplois précaires et peu rémunérés, son extension provisoire aux travailleurs de moins de vingt-cinq ans serait un moindre mal au vu de l'urgence sociale actuelle. À terme, il conviendrait d'instaurer un dispositif plus global permettant de ne plus découpler insertion sociale et insertion professionnelle.

L'article 11 prévoit d'instaurer une allocation de solidarité à destination des demandeurs d'emploi non indemnisés. En effet, plus de 40 % des chômeurs ne sont aujourd'hui couverts ni par l'assurance chômage ni par le régime de la solidarité, situation à laquelle il convient de mettre un terme.

L'article 12 tendait enfin à supprimer les franchises médicales. Ce dispositif n'a rapporté que 800 millions d'euros en 2008, soit beaucoup moins que les exonérations patronales, lesquelles se chiffrent en milliards, mais il a considérablement aggravé les problèmes financiers des patients les plus démunis, les conduisant parfois à renoncer aux soins.

Au total, les mesures que nous vous proposons ont un double objectif : à court terme, elles permettront de relancer l'économie en stimulant la consommation grâce à une augmentation immédiate et conséquente des salaires ; à plus long terme, elles favoriseront la construction d'une une société plus juste centrée sur l'homme et ne reposant pas sur la dictature de l'argent roi et le développement des inégalités sociales. C'est un véritable plan de relance, qui s'inscrit dans la continuité des luttes sociales engagées partout dans notre pays.

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