…en dépit des principes de l'ordre public social, comme si le repos compensateur était un luxe, et non une exigence de santé publique !
Votre projet assouplit ensuite les possibilités de recours au forfait en jours, en reprenant à son compte la définition particulièrement extensive des salariés qui peuvent être concernés. Depuis la loi Aubry de 2000, celle-ci n'a en effet cessé de s'élargir. De certaines catégories de cadres, nous sommes passés à l'ensemble des cadres dits « autonomes », et aux salariés non-cadres dont la durée du travail ne peut être prédéterminée.
Mais le texte introduit une nouveauté de taille. Alors que le forfait annuel en jours devait être mis en place par un accord collectif fixant le nombre maximal de jours, dans la limite de 218, le texte du projet de loi prévoit qu'il sera désormais possible à l'employeur, à défaut d'accord, de fixer lui-même ce nombre après simple consultation du comité d'entreprise.
La charge annuelle de travail ne sera désormais plus un thème de la négociation du forfait annuel : elle fera l'objet d'un simple entretien individuel annuel.
Il nous faut pourtant rappeler que la France a été condamnée par le Comité européen des droits sociaux pour avoir mis en place le régime dérogatoire du forfait annuel en jours, au motif que celui-ci permettait des durées de travail trop longues – les repos minimaux sont en effet de 11 heures par jour et de 35 heures consécutives par semaine. Pas plus que le précédent gouvernement, celui-ci n'en a cure !
Il ne s'intéresse pas plus à l'aggravation des conditions de travail des salariés depuis 2002, puisqu'il entend, au contraire, aggraver les conséquences déjà déplorables de la loi Aubry II et les conséquences du système managérial, qui prévaut aujourd'hui dans nombre d'entreprises et qui tend à développer, notamment chez les cadres, « une culture du surengagement liée notamment à la combinaison de la passion pour son métier, de l'ambition professionnelle et d'un système managérial qui s'appuie sur ces leviers pour atteindre des objectifs de plus en plus ambitieux ».
Je viens de citer les termes de l'enquête du cabinet d'expertise agréée par le ministère du travail et mandaté par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de Renault Technocentre où une série de suicides a été enregistré en l'espace de deux ans. J'ai reçu aujourd'hui, comme d'autres de mes collègues, un message du syndicat CGT de Renault Technocentre. Les conditions de travail décrites par ces salariés sont édifiantes. Elles sont l'illustration de pratiques et de situations que votre projet va tendre à normaliser et à étendre.
Dans la réalité, chez Renault Technocentre, pour les techniciens, qui représentent la moitié de la population, 95 % des heures supplémentaires effectuées ne sont pas déclarées, en toute impunité. La loi, qui ne prévoit pas de mesure statistique indépendante de la durée du travail, est inopérante. Pour l'autre moitié de la population, le travail est décompté en jours, et la durée théorique maximum de 13 heures ne donne lieu à aucun contrôle indépendant. Tous les jours de congés sont capitalisés automatiquement, au fur et à mesure de leur acquisition, sans majoration, sans limite maximum et sans limite de durée autre que le départ à la retraite. Que reste-t-il alors des 35 heures, même annualisées ? Que reste-t-il des 218 jours maximum par an ? Voilà pourtant une situation conforme à la loi actuelle !
La CGT Renault pose une question : qu'adviendrait-il du nombre de morts sur les routes si l'on pouvait « forfaitiser » les excès de vitesse sur la journée, les « moyenner » par trajet entre périodes de bouchons et de circulation fluide, les « capitaliser » jusqu'à la retraite sans limites autres que celle que les conducteurs se fixeraient à eux-mêmes ? Qu'adviendrait-il si, en plus, il n'y avait ni radars, ni gendarmes en situation de verbaliser ?
Monsieur le ministre, vous vous êtes vous-même rendu au Technocentre pour avoir un échange direct avec les représentants de la direction et des salariés.