…sans oublier la tenue d'un Congrès, dont la date reste en principe fixée au 21 juillet, afin d'adopter la révision constitutionnelle destinée à sauver un traité de Lisbonne mort-né.
Nous sommes fondés à nous interroger. À l'heure où le Gouvernement annonce à qui veut l'entendre qu'il veut renforcer les pouvoirs du Parlement, est-ce là une méthode de travail digne ? Il serait plus judicieux de considérer que le temps du Parlement n'est pas celui des annonces du Président. L'élaboration des textes législatifs suppose en effet concertations et évaluations. Elle appelle des arbitrages. Dans sa volonté d'aller vite, le Gouvernement s'est fait oublieux des nécessités du débat, de la concertation et de la démocratie.
Cette position n'est tout simplement pas acceptable et justifierait à elle seule le renvoi en commission. Quand on prétend réformer nos institutions pour y apporter plus de démocratie, on commence par ne pas user de tels procédés et ne pas ressortir les bonnes vieilles méthodes, qui consistent à déclarer l'urgence et à profiter de la période estivale pour tenter de faire avaler à nos concitoyens les pilules les plus amères.
Certes, force est de constater que le Gouvernement affiche une belle confiance dans l'issue favorable de la présente réforme. Il est vrai que les attaques en règle contre les 35 heures font toujours et facilement recette auprès d'une majorité et d'un MEDEF revanchards, qui privilégient une approche idéologique, en caressant ouvertement l'espoir de mettre à mal toute idée de durée légale et de limitation du temps de travail.
Mais, malgré la démarche autoritaire et contestable du Gouvernement, qui a imposé au forceps, au mépris du tout dialogue social, un volet « réforme du temps de travail » au projet de loi sur la représentativité syndicale, la position de la majorité est des plus conciliantes. Il y a eu l'oukase de M. Devedjian, la correction de M. Raffarin, la reprise en main de M. Bertrand et, pour conclure, M. Copé a indiqué sans aucune ambiguïté : « L'UMP est solidaire à 100 % du Président et du Gouvernement », lequel aurait toute légitimité pour remédier « à cette catastrophe des 35 heures. » Fermez le ban !
Apparemment, l'engagement pris durant la campagne présidentielle de revenir sur la réduction du temps de travail justifie largement que soit sacrifiée la parole donnée aux partenaires sociaux et que l'on en revienne à la pratique des coups de force, aux chantages et aux intrusions brutales de l'exécutif dans le domaine du droit social.
Oubliées, les belles déclarations d'intentions du chef de l'État qui, dans une tribune intitulée « Pour des syndicats forts », publiée dans Le Monde du 19 avril, prétendait rompre avec « notre histoire sociale suffisamment jalonnée de projets menés à la hussarde, sans concertation, et qui se sont soldés par de retentissants échecs. » Oublié, monsieur le ministre, votre discours sur les vertus du dialogue social rénové, vos engagements et vos exhortations au respect de la lettre et de l'esprit des accords issus des négociations entre les partenaires sociaux !
Face aux 35 heures qui, rappelons-le, ne concernent pas tous les salariés – en 2007, 5,5 millions d'entre eux n'en bénéficiaient toujours pas – mais qui sont toutefois rendues responsables de la perte de compétitivité de la France, de la chute du pouvoir d'achat, voire de la paresse généralisée de nos concitoyens et que sais-je encore, les exigences de concertation préalable posées par la loi de modernisation du dialogue social, datant de janvier 2007, n'ont pas fait le poids.
Hier encore soufflait un vent nouveau supposé favorable à la transformation de nos relations sociales. Devant cette même assemblée, vous défendiez, monsieur le ministre, la transposition, à la virgule, près de l'accord national interprofessionnel portant modernisation du marché du travail. Mais il est vrai que son contenu ouvrait la voie à plus de flexibilité et que vous ne pouviez que l'agréer.
Aujourd'hui, les résultats de la négociation sur la représentativité et sur le financement du syndicalisme ne vous satisfont pas totalement. Un seul point de la position commune signée en mai dernier par la CGT, la CFDT, le MEDEF et la CGPME – sans lien avec l'objet central des discussions, mais jugé sans doute trop peu consistant puisqu'il ne permet pas de faire sauter tous les verrous à la déréglementation totale du temps de travail – aura suffi à persuader le Gouvernement de changer de méthode et de renier ses engagements, au risque de se mettre à dos les centrales syndicales et de les fragiliser, au moment même où elles sont invitées à évoluer pour regagner du poids et de la légitimité.
Vous êtes pleinement conscient des tensions entre les organisations syndicales sur la question des voies et moyens du renforcement de leur représentativité et des pressions exercées par le MEDEF pour promouvoir un droit plus contractuel, faisant du code du travail l'accessoire et de la négociation d'accord d'entreprise dérogatoire, le principal.
En pleine connaissance des risques supplémentaires d'échec que vous faisiez courir à la négociation, vous avez ajouté à la feuille de route de la représentativité le sujet très sensible du temps de travail. Vous saviez pourtant que beaucoup doutaient de la réussite de cette négociation, compte tenu de l'accueil peu favorable que représentait, en 2006, le plaidoyer du CES pour une majorité d'engagement et pour la refondation de la représentativité des syndicats sur la base d'une mesure de leur audience par l'élection.
Les organisations syndicales avaient-elles d'autre choix que de négocier âprement un compromis défensif, en réponse à la demande du Gouvernement de « faire de la durée du travail un champ d'action privilégié pour un dialogue social de qualité » ?
Au cours de nos débats, nous aurons maintes fois l'occasion de revenir sur ce qu'autorisait exactement l'article 17 de la position commune. D'aucuns, les signataires, mais aussi la CFTC et FO, non signataires, considèrent qu'il représentait une concession de taille aux organisations patronales qui souhaitaient de longue date que la durée légale soit négociable, et que puissent être fixés par accord d'entreprise le contingent d'heures supplémentaires, les repos compensateurs, voire les seuils de déclenchement de ces heures supplémentaires et leur taux de rémunération.
Votre piège est en passe de se refermer sur les signataires de l'accord et les organisations syndicales de salariés. Le MEDEF a beau tenir des propos durs à votre endroit, monsieur le ministre, il n'arrive pas à nous convaincre de sa volonté réelle de s'en tenir à la position commune et à son article 17.
Vous auriez voulu affaiblir les syndicats que vous ne vous y seriez pas pris autrement. Au final, à refuser obstinément d'entendre la demande solennelle de la CFDT et de la CGT, qui souhaitent disjoindre du projet de loi le titre II consacré à la réforme du temps de travail, vous faites le jeu de ceux qui se satisfont aujourd'hui de ce que rien ne change, surtout en matière de règles de représentativité, de validation des accords, et de droits d'intervention et de représentation de tous les salariés, y compris dans les petites entreprises.
Faut-il penser que vous êtes prêts à maintenir sous perfusion un syndicalisme minoritaire bienveillant à l'égard des branches patronales et des chefs d'entreprises ? Monsieur le ministre, j'ai peine à croire, comme nous y invite de leader de la CFDT, que vous seriez homme à renvoyer avec dédain et légèreté les organisations syndicales à la seule posture possible, celle de la contestation.
Votre stratégie de la réforme peut, malgré tout, avoir sur le court terme des effets bénéfiques s'il s'agit de flatter, à grand renfort d'arguments populistes, un certain électorat ou de tenter de faire oublier les échecs de votre politique économique, les prévisions de croissance de l'INSEE, l'inflation record, la consommation en berne, la violence de la situation économique et sociale faite à des millions de Français qui ne voient rien venir concernant leur pouvoir d'achat.
Toutefois, en braquant les projecteurs sur l'emblématique réforme du temps de travail, en la traitant à la hussarde, vous n'éclairez plus les enjeux de la réforme de la représentativité des organisations syndicales, vous détournez l'attention de la nécessaire remise à plat de notre démocratie sociale.
Voilà pourquoi nous demandons le renvoi en commission de ce projet de loi. Nous estimons en effet que la sagesse commandait d'examiner deux textes distincts. Par ailleurs, la seconde partie, relative au temps de travail, ne fait droit ni aux exigences de concertation ni aux règles élémentaires de prudence ?
Qu'il soit, en d'autres termes, nécessaire de rénover en profondeur les règles de la représentativité syndicale ne fait pas discussion. La présomption irréfragable a vécu ; le faible taux de syndicalisation, l'émiettement syndical, les suspicions entretenues sur la transparence financière et l'indépendance des organisations syndicales, la relance de la négociation, l'élaboration des droits syndicaux interprofessionnels hors cadre de la relation classique de salariat qui n'est plus la norme générale, sont autant d'enjeux qui doivent être traités en urgence.
La position commune apporte-t-elle toutes les solutions ? C'est une autre question. Car si le texte permet d'enregistrer de réelles avancées, il présente aussi de sérieuses lacunes.
L'article 1er revient sur les critères cumulatifs de la représentativité des organisations syndicales. Pourquoi monsieur le ministre, inverser l'ordre établi dans la position commune ? Il est permis de penser que cela vise à inverser l'importance relative de chacun des critères, de réduire le poids de l'audience et de l'influence.
L'article 1er fait disparaître la référence désuète à l'attitude patriotique pendant l'occupation et met surtout concrètement fin au principe de présomption irréfragable de représentativité. Cette évolution était attendue depuis au moins une dizaine d'années. Elle trouvait sa préfiguration dans l'avis formulé, en 2006, par le Conseil économique et social sur la représentativité syndicale.
Le projet de loi abroge l'arrêté de 1966 qui reconnaît à cinq syndicats le monopole de la représentativité. Demain, les organisations qui frappent à la porte depuis de nombreuses années pourront donc se voir reconnaître le droit de négocier des accords interprofessionnels nationaux, de présenter des candidatures dès le premier tour des élections professionnelles, voire de siéger dans des instances paritaires telles que l'assurance-chômage ou l'assurance-maladie. Il leur faudra auparavant faire la preuve de leur représentativité en se présentant devant les salariés. Un label dont la valeur sera déterminante pour définir les contours du futur paysage syndical.
Le MEDEF s'opposait de longue date à la refonte de la représentativité, pour des motifs évidents. Il a usé et abusé ,de même que ses fédérations patronales, des accords minoritaires qui ont pesé négativement sur la vie de millions de salariés. L'organisation patronale redoutait de voir émerger des interlocuteurs renforcés dans leur légitimité – et du coup moins conciliants.
Il ne fait nul doute, sur ce plan, que le projet de loi, en reprenant les termes de la position commune, va permettre aux organisations syndicales de mieux exercer leurs rôles et de mieux répondre aux attentes des salariés.
La principale innovation introduite par la position commune et le projet de loi consiste à asseoir la représentativité sur l'élection professionnelle dans les entreprises, et non plus sur les élections prud'homales.
Cette disposition soulève plusieurs difficultés dans la mesure où, de fait, se voient exclues les entreprises de moins de dix salariés, les entreprises sans représentation syndicale et les demandeurs d'emploi. Ce qui pose d'autres problèmes : risque d'une surreprésentation des syndicats des grandes entreprises dans certaines branches, risque de dilution de la représentativité locale au niveau national, ou de certaines entreprises au niveau de l'établissement ou du groupe, compte tenu des seuils nouvellement imposés par la loi. Il faut demeurer conscient de ces difficultés. Des aménagements seraient sans doute utiles. Le principal bénéfice du texte reste de permettre une appréciation périodique de la représentativité tous les quatre ans au plus, selon le projet de loi. Ce délai nous paraît toutefois sensiblement trop long, et nous voulons le ramener à deux ans.
Nous sommes plus circonspects sur les nouvelles règles de validité des accords collectifs. Si l'exposé des motifs du projet de loi précise qu'il s'agit bien, à travers ces dispositions, de préparer la transition vers un mode de conclusion majoritaire des accords collectifs, il reste qu'aux termes de l'article 6, tout accord collectif devra, pour être valide, avoir été signé par des syndicats ayant recueilli au moins 30 % des suffrages, sous réserve de l'opposition éventuelle des syndicats ayant recueilli 50 % des suffrages.
C'est un premier pas vers la reconnaissance du principe de l'accord majoritaire. Mais un premier pas seulement : nous voudrions que le taux de 30 % des suffrages passe à 50 %.
L'article 7 comporte des dispositions que nous jugeons dangereuses puisqu'il s'agit d'ouvrir, à toutes les entreprises de moins de 200 salariés dépourvues de délégué syndical, la possibilité de négocier avec des élus du personnel ou un salarié mandaté.
À tout le moins, nous jugeons indispensable d'exclure du champ de ces négociations celles relatives au temps de travail négocié, telles que proposées dans la seconde partie de votre projet de loi.
Je consacrerai la suite de mon propos à cette seconde partie, puisque c'est bien la réforme du temps de travail qui légitime le dépôt de la présente motion.
La réforme que vous nous proposez est une des plus dangereuse qu'il nous ait été donné d'examiner dans un agenda pourtant chargé en mauvais coups sociaux.
Votre réforme vise à faire mentir Lacordaire qui affirmait qu'entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Elle organise en effet un système de servitude dont le vernis volontariste n'entame en rien la gravité des conséquences sur les conditions de travail, la santé des salariés, la reconnaissance du droit de chacun à une vie familiale normale.
Pourquoi un tel acharnement contre les 35 heures ? Pourquoi un tel déferlement de propos populistes et mensongers sur les prétendus effets néfastes de la réduction du temps de travail ?
C'est la septième fois en six ans que la droite légifère sur la durée du travail ou des sujets proches. Pour votre majorité comme pour les organisations patronales, le but n'est pas de renouer avec le statu quo ante qui prévalait avant la réforme des 35 heures, mais de servir l'ambition d'une dérégulation complète du temps de travail.
Vous vous donnez comme modèle le système américain d'un marché totalement libre. Mais ce que vous ne dites pas, c'est qu'aux États-Unis, la durée moyenne de travail de l'ensemble de la population active, temps partiels compris, est de 33,7 heures contre 36,2 heures en France. D'innombrables petits boulots s'y sont développés. Cette précarité crée une pression sur les salariés à temps plein, et donc sur les conditions de travail et le niveau des salaires.
L'objectif de votre Gouvernement n'est donc pas tant d'augmenter le temps de travail que de renforcer, par cette précarité, un rapport de force en faveur du patronat dans les négociations salariales. Avec ce système, aux États-Unis, la part du PIB destinée aux salaires est retombée au niveau de 1929 !
Au fond, la question n'est pas tant de savoir s'il faut remettre en cause les 35 heures dans leur principe, que de savoir si la productivité doit profiter aux actionnaires, aux salariés, ou bien aux deux. Vous avez tranché cette question en faveur des premiers, n'offrant aux salariés que les miettes qu'ils pourront grappiller en travaillant toujours plus.
Monsieur le ministre, votre fameux « donnant-donnant », c'est plutôt : « Donne-moi ta montre et je te donnerai l'heure ». (Rires)