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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 21 décembre 2011 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Mes questions s'adresseront aussi bien au garde des Sceaux qu'au rapporteur.

Même si l'accroissement du parc carcéral n'est pas une surprise – le Gouvernement l'a souvent annoncé –, il est paradoxal dans la mesure où le rapport annexé au projet de loi évoque le « risque de désocialisation et de récidive » induit par l'incarcération. Je note au passage que ce rapport est parfois rédigé en une sorte de sabir gouvernemental. Que signifie la phrase : « le maintien d'un parc uniforme est sous-optimal sur le plan économique » ?

Saisie par la commission des Finances de notre assemblée, la Cour des comptes a rappelé, en octobre dernier, que 51 % des places de prison étaient d'ores et déjà gérées dans le cadre d'un partenariat public-privé (PPP). Les loyers versés par l'État représentaient, en crédits de paiement, 80 millions d'euros en 2010, et cette somme passera à 114 millions en 2012, soit une augmentation de 42 %. Au-delà même du problème que pose, sur le plan des principes, le recours au secteur privé, l'augmentation continue des loyers à laquelle l'administration pénitentiaire se condamne pour trente ou quarante ans obère tout autre type d'investissement. Pourtant, comme l'a rappelé la Cour des comptes, aucun dispositif de contrôle ou de comparaison entre les offres du secteur privé et celles du secteur public ne permet de s'assurer qu'à coût égal, le premier fournit une prestation au moins équivalente à celle qu'aurait fourni le second. Le dernier centre ayant fait l'objet d'un partenariat public-privé, celui de Mont-de-Marsan, a coûté 64 millions d'euros ; or on s'est aperçu, aussitôt après son ouverture, que le système électrique était gravement défectueux.

S'agissant des emplois, vous annoncez l'arrivée de 120 magistrats et de 89 greffiers dans les services d'exécution et d'application des peines. S'agit-il de créations nettes ou de redéploiement ? Aucune création d'emplois n'est prévue dans les SPIP, pourtant en première ligne pour assurer le respect des mesures de mise à l'épreuve, de suivi socio-judiciaire et de surveillance judiciaire. Par ailleurs, 120 postes d'éducateur doivent être créés en 2013 et 2014. Pourquoi attendre deux ans, dans la mesure où les personnes recrutées ne pourront pas être en activité avant 2016 ?

Le projet de loi prévoit la généralisation des bureaux d'aide aux victimes, avec la création de 148 bureaux en plus des 38 existants. On peut s'en féliciter, mais il n'en reste pas moins que le budget consacré à l'aide aux victimes a baissé en 2012 pour la troisième année consécutive. La réduction atteint 300 000 euros, soit 3 %. Le nombre d'associations financées passera ainsi de 180 en 2010 à 170 en 2012, le nombre de salariés de 466 à 450, et celui des permanences dédiées aux victimes dans les juridictions de 179 à 163.

Le rapport annexé précise que le diagnostic à visée criminologique – DAVC – est « actuellement expérimenté ». Pourtant, les organisations syndicales affirment que cet outil n'a fait l'objet d'aucune évaluation opérationnelle, ou du moins que celle-ci n'a pas été rendue publique. Le Parlement ne pourrait-il pas être informé de la manière la plus complète possible, avant que n'ait lieu la généralisation proposée, des résultats obtenus dans les sites pilotes ? La seule information dont je dispose provient d'un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des services judiciaires, jugeant la grille d'évaluation du DAVC « excessivement complexe et prescriptive ». Cela n'augure rien de bon.

La création d'équipes mobiles de SPIP me semble relever une nouvelle fois d'un choix de mutualiser la pénurie. L'étude d'impact associée à la loi pénitentiaire prévoyait, avant même son entrée en vigueur, le recrutement de 1 000 conseillers d'insertion et de probation (CIP). Deux ans plus tard, l'objectif n'est atteint qu'au tiers et aucun recrutement n'est prévu en 2012 ni en 2013.

Quant au développement des centres éducatifs fermés, il masque la diminution importante des lieux de placement. En 2010, il y avait 1 625 places à la disposition des magistrats ; il n'y en a que 1 557 en 2011 – soit 68 fermetures. En outre, la création de 20 CEF correspond à autant de transformations d'établissements existants : 88 lieux de placement – soit un par département – seront en effet fermés en 2012. Je me demande d'autre part si les 60 nouveaux éducateurs s'ajoutent aux 60 postes prévus par le projet de loi de finances pour 2012, ou si vous contentez de recycler une annonce déjà faite. Enfin, je remarque qu'à force de concentrer les – faibles – moyens de la protection judiciaire de la jeunesse sur les CEF, on oublie de s'occuper des primo-délinquants, ce qui est dommage.

Pour finir, le recours à la méthode « Lean », invention du secteur marchand et des grandes entreprises industrielles, et qui vise à la contraction des effectifs assignés à une même tâche, me semble une conséquence directe de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Est-ce pertinent, notamment dans le cas des greffes, déjà exsangues et sans cesse chargés de nouvelles missions ?

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