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Intervention de Delphine Batho

Réunion du 21 décembre 2011 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho, rapporteure :

Monsieur le président, mes chers collègues, en 2009, le Parlement s'est saisi, pour la première fois, de la question des fichiers de police et a réalisé, à cette occasion, un important travail d'information. Le rapport que nous vous soumettons aujourd'hui, qui fait le point sur le suivi des recommandations de notre premier rapport d'information, montre qu'il est nécessaire que l'Assemblée nationale reste particulièrement attentive à ce sujet. En effet, la massification du nombre de fichiers et des personnes inscrites dans ces fichiers, déjà soulignée en 2009, s'est poursuivie.

Je souhaiterais à ce propos vous faire part des derniers éléments quantitatifs dont nous disposons. Le fichier des antécédents judiciaires de la police nationale, le STIC, est passé, depuis notre dernière mission, de 3,96 millions à 6,5 millions de personnes mises en cause, et de 28 millions à 38 millions de victimes inscrites. En ce qui concerne le FNAEG, nous sommes passés de 800 000 à 1,79 million de Français inscrits dans ce fichier.

De la même façon, alors que nous avions recensé, en 2009, 58 fichiers de police, nous en avons dénombré, au cours de cette mission-ci, près de 80. Certes, un nombre important des nouveaux fichiers recensés existaient au moment de la première mission, mais n'avaient pas été portés à la connaissance du Parlement. C'est une anomalie à laquelle nous tentons de répondre. J'ajoute que le recensement auquel nous avons procédé cette fois-ci n'est vraisemblablement pas exhaustif. Sur ces 80 fichiers, 62 sont utilisés de façon opérationnelle. La moitié d'entre eux ne disposent pas d'une base juridique solide et n'ont pas fait l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL. Toutefois, comme l'a indiqué notre collègue Jacques Alain Bénisti, pour 86 % de ces fichiers non déclarés, des textes réglementaires sont en préparation, dont nous espérons qu'ils permettront une régularisation prochaine de ces fichiers.

Comme l'indiquait Jacques Alain Bénisti, 40 % des recommandations de notre rapport ont été mises en oeuvre, ce qui montre qu'une prise de conscience a eu lieu. Pour ma part, j'aurais tendance à souligner que 60 % de nos recommandations n'ont pas été suivies. En particulier, la révolution juridique que nous appelions de nos voeux en matière de fichiers de police, qui devait donner au Parlement un rôle prééminent dans la création de ces fichiers et ainsi, assurer un contrôle démocratique sur ces derniers, n'a pas eu lieu. C'était là l'objet de la proposition de loi, co-signée par Jacques Alain Bénisti et moi-même, qui n'a cependant pas pu aboutir compte tenu de l'opposition du Gouvernement.

Certes, par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure dite « LOPPSI II », un nouveau cadre a été donné à certaines catégories de fichiers, comme les fichiers de rapprochement. Mais, outre que ce cadre ne correspond pas aux finalités d'importants fichiers comme CORAIL et LUPIN, du fait de la décision du Conseil constitutionnel qui a suivi le vote de cette loi, l'existence d'un cadre juridique au sein du code de procédure pénale n'empêche nullement le pouvoir réglementaire de déclarer certains fichiers sur le fondement de l'article 26 de la loi « Informatique et Libertés ». La situation, de ce point de vue, est donc toujours insatisfaisante. Une seule recommandation, parmi les modifications législatives que nous proposions, a été suivie d'effet : la représentation pluraliste des parlementaires membres de la CNIL, qui devrait être appliquée d'ici peu, lors du renouvellement de ses membres.

La protection des droits et libertés était également une de nos préoccupations majeures. Nous avions en effet défendu l'idée selon laquelle une meilleure protection des droits et libertés des citoyens dans l'utilisation de leurs données personnelles et une meilleure performance des fichiers de police utilisés par les policiers et gendarmes, loin d'être des objectifs contradictoires, allaient de pair. Des données ciblées et précises doivent assurer tout à la fois la fiabilité et l'efficacité des fichiers, mais également la protection des droits et libertés. Nous avions ainsi formulé une trentaine de recommandations visant à améliorer cette protection.

Certaines de ces recommandations ont été suivies d'effet : un point de droit a été clarifié en matière de prélèvement biologique pour une inscription au FNAEG, qui permet de mieux les encadrer ; le délai de réponse du procureur aux demandes de rectification a été réduit à un mois par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011, conformément à nos recommandations ; s'il n'existe, pour l'heure, aucun traitement en temps réel pour les demandes de rectification, un magistrat référent est prévu par la loi, qui sera l'interlocuteur privilégié des personnes inscrites au sein de fichiers de police.

Cependant, comme le montre un graphique figurant dans notre rapport que nous vous soumettons aujourd'hui, le nombre de dossiers en souffrance à la CNIL, pour l'exercice du droit concret d'accès indirect des citoyens, a encore augmenté, ce qui explique les importants délais de traitement dont pâtissent ces demandes, de l'ordre d'un an à un an et demi.

En matière d'information générale, certaines de nos recommandations ont également été suivies, en ce qui concerne par exemple le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique, qui a vocation à remplacer le fichier EDVIGE. Un fichier distinct a, par ailleurs, été créé, comme nous le demandions, en matière d'enquêtes administratives. Le fichier alphabétique de renseignement de la gendarmerie nationale, composé de fiches en papier, a bel et bien été détruit. Les modalités de conservation des données relatives aux mineurs ont également évolué dans le sens d'un véritable droit à l'oubli.

Le bât blesse, en revanche, en matière de données sensibles. Certes, des garde-fous ont été posés en ce qui concerne les activités politiques, syndicales ou associatives au sein des fichiers d'information générale. En revanche, demeure la possibilité dans les fichiers de renseignements de la police comme de la gendarmerie, d'indiquer l'origine géographique des personnes. Si mon collègue Jacques Alain Bénisti y est favorable, je considère qu'il s'agit là d'une façon détournée d'évoquer l'origine ethnique réelle ou supposée des personnes. En revanche, nous avions proposé, Jacques Alain Bénisti et moi-même, l'abandon de la typologie ethno-raciale utilisée par le STIC-Canonge et son remplacement par des éléments objectifs de portrait robot. Nous regrettons que cette recommandation n'ait pas été suivie.

En ce qui concerne la question du fichier MENS, qui est à l'origine de cette nouvelle mission qui nous a été confiée, le rapport fait état des contrôles opérés par la CNIL et des résultats de notre déplacement auprès de l'office central de lutte contre la délinquance itinérante. La CNIL, lors de ces contrôles à l'office central de lutte contre la délinquance itinérante, a relevé de nombreuses irrégularités, notamment l'utilisation d'un fichier non déclaré, dans lequel figurent environ 52 000 personnes. Si nous n'avons pas connaissance de l'utilisation, aujourd'hui, d'un fichier fondé sur des bases ethniques, certaines données sensibles de cette nature continuent d'être collectés dans ces fichiers. Pour ma part, je crois que le fichier MENS dont il a été question en octobre 2010 a pu être, en réalité, le fichier Généatic, détruit en 2007.

La troisième partie de notre rapport porte sur les progrès en matière d'utilisation des fichiers. Notre collègue Jacques Alain Bénisti a d'ores et déjà évoqué les évolutions positives intervenues dans ce domaine, sur lesquelles je ne reviens donc pas. Je tiens cependant à préciser que le fichier qui a vocation à remplacer le STIC et JUDEX, qui s'est, un temps, appelé ARIANE, puis Traitement des procédures judiciaires, et qui se nomme aujourd'hui TAJ, devrait commencer à être déployé au cours du premier semestre 2012. Si la gendarmerie nationale a réalisé un important effort de nettoyage de leur base de données, nous regrettons que la police nationale n'ait pas fait de même. En effet, cela signifie qu'une part importante des données erronées contenues dans le STIC va être transmise à ce nouveau fichier. Par ailleurs, nous souhaiterions insister sur la nécessité de moderniser le fichier des personnes recherchées, qui est aujourd'hui le fichier le plus utilisé par les forces de l'ordre, avec près de 10 millions de consultations par an. Cet outil est aujourd'hui parfaitement obsolète, ce qui soulève d'importants problèmes opérationnels. Un effort particulier doit donc être accompli pour développer une nouvelle version de ce fichier.

Par ailleurs, a été portée à notre connaissance l'existence des problèmes techniques récurrents d'indisponibilité des fichiers de police, liés à la vétusté du réseau informatique de la police nationale et à l'accroissement de leur utilisation. Pour finir, nous avons souhaité porter une attention particulière aux fichiers de lutte contre la délinquance sérielle de nature sexuelle. Notre rapport décrit de façon précise les difficultés du fichier SALVAC comme du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes et propose plusieurs améliorations.

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