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Intervention de Jean-Claude Etienne

Réunion du 15 décembre 2011 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jean-Claude Etienne :

Le rapport sur les enjeux de la prévention en matière de santé n'a pas encore été adopté par le Conseil économique, social et environnemental, ni même validé par les sections concernées ; je m'exprimerai donc à titre personnel.

La prévention rencontre beaucoup d'intérêt aujourd'hui : depuis trois ans, le sujet est à la mode. Pourtant, même si l'on sait a priori qu'elle coûte assez cher, les derniers chiffres disponibles, selon lesquels les dépenses en ce domaine s'élèvent à 10,5 milliards d'euros, soit 0,6 % du produit intérieur brut et 6,4 % des dépenses de santé, datent de dix ans. Du point de vue financier, les données précises manquent donc, d'autant plus que prévention et soin s'entremêlent souvent.

Dans son communiqué du 29 septembre relatif à la programmation de ses travaux, la MECSS ne s'est pas contentée de citer l'Organisation mondiale de la santé pour définir la prévention sanitaire – « l'ensemble des mesures prises pour éviter l'apparition, le développement ou la complication d'une maladie » – ; elle a aussi rappelé la coexistence de deux approches, l'une centrée sur les pathologies et l'autre sur les populations. Or ce dernier aspect est fondamental, et reste négligé par beaucoup de ceux qui écrivent sur le sujet.

Il existe en effet en France un travers culturel que d'autres pays comme la Grande-Bretagne, les pays scandinaves ou certains Länder allemands ne connaissent pas dans la même mesure : pour les professionnels de santé comme pour le reste de la population, c'est la maladie qu'il faut guérir, en particulier dans ses manifestations les plus aiguës. Or la courbe exprimant l'investissement financier en fonction de l'âge montre bien que les dépenses de santé culminent dans les dernières années de la vie. La prévention – et notamment la prévention primaire – doit intervenir avant, au moment où cela coûte le moins. Financièrement parlant, il convient de séparer le bon grain, ce que l'on dépense en faveur de la prévention primaire, de l'ivraie, c'est-à-dire du désordre des autres dépenses de prévention – préventions secondaire, tertiaire, et même quaternaire, contre la surmédicalisation –, qui se mêlent aux dépenses consacrées aux soins. Tant que l'on n'aura pas effectué cette séparation, on ne pourra pas estimer le coût de la prévention.

Que cette dépense soit ou non équivalente à ce qu'elle était il y a dix ans, j'ai le sentiment qu'elle pourrait être plus efficace. Avant de se préoccuper de nouveaux moyens de financement, il importe donc de chercher des solutions pratiques, concrètes, simples et pas nécessairement très coûteuses qui permettraient d'être plus efficient. Nos résultats ne sont certes pas mauvais, mais ils sont loin d'égaler ceux qu'obtiennent certains pays européens à niveau de développement comparable. Cela tient à cette culture du « tout curatif » qui imprègne notre pays : être soignant, c'est d'abord soigner un malade.

Désormais, nos concitoyens, avec raison, demandent à la collectivité de les accompagner afin qu'ils restent en bonne santé : c'est le champ de la prévention. Même si les assurances qu'elle peut procurer sont encore scientifiquement incertaines, certaines pistes sont déjà reconnues comme très prometteuses.

Je ne peux donc qu'approuver les dix préconisations formulées par la Cour des comptes. Mais si l'on s'en tient à ces mesures, nous n'aurons encore effectué qu'une petite partie du chemin. Il reste à décliner concrètement, dans la vie de nos concitoyens, l'action de prévention, notamment primaire, même sans la certitude d'obtenir des résultats immédiatement tangibles. La prévention, surtout primaire, est comme le placement or : coûteux au début, mais rentable ultérieurement. Le retour sur investissement apparaît lorsque l'on passe au versant curatif. C'est pourquoi j'appellerai dans mon rapport à rechercher la meilleure utilisation possible des fonds actuellement consacrés à la prévention primaire.

Dans un pays préoccupé avant tout par la performance des technologies curatives, il convient en premier lieu de diffuser une culture de prévention. Mais nous n'obtiendrons rien de nos concitoyens si nous cherchons à leur imposer des préconisations trop éloignées de la vie courante. Je souscris donc à la notion de prévention tout au long de la vie, en commençant dès l'âge scolaire. Ainsi en matière de consommation de tabac, les enfants du cours moyen sont les meilleurs vecteurs de prévention. Celle-ci doit par conséquent dépasser le cadre trop étroit du ministère de la santé et associer l'Éducation nationale. Pour l'instant, la prévention n'apparaît pas dans les programmes scolaires relatifs aux sciences et techniques de la vie, alors qu'à l'époque de mon grand-père, instituteur de campagne, les manuels donnaient des règles d'hygiène. Or les jeunes élèves ne peuvent se contenter de disséquer le muscle gastrocnémien chez la grenouille ; ils doivent également diffuser une culture de prévention auprès de leurs aînés.

De même, chaque étape de la vie mérite de bénéficier d'un relais en matière de prévention. Alors que celle-ci se décline aujourd'hui de manière confuse à travers de nombreux programmes, il n'existe pas d'étape obligée permettant à un professionnel – de santé ou non – de dispenser des conseils en la matière.

J'ai examiné le programme de formation des aides-soignantes : la partie consacrée à la prévention, qu'elle soit primaire, secondaire ou tertiaire, reste insuffisante. Elles pourraient pourtant jouer, à moindre coût, un plus grand rôle en ce domaine. D'une façon générale, la prévention doit être enseignée à tous ceux qui interviennent auprès de nos concitoyens en matière de santé. Toutes les catégories doivent être concernées et pas seulement les médecins. Ces derniers sont d'ailleurs ceux qui font le moins de prévention, car les personnes bien portantes, par définition, les consultent rarement. Quant aux autres, elles souhaitent avant tout guérir, et peu leur importe de savoir ce qui leur aurait permis d'éviter de tomber malade. De toute façon, le médecin n'a pas de temps de s'occuper d'autre chose que de soin.

Le résultat est que les contacts entre la population et les médecins se limitent à une action curative. Les contrats d'amélioration des pratiques individuelles pourraient permettre la diffusion d'une culture de prévention, mais celle-ci doit également occuper une plus grande place dans la formation des médecins ou des infirmières ; ainsi, dans les questions d'internat, la prévention tient en deux lignes sur un total de quinze pages. Pourtant, former à la prévention l'ensemble des professionnels de santé et en diffuser la culture auprès des associations ne seraient pas coûteux, à la différence des messages de prévention pour lesquels on dépense aujourd'hui des sommes considérables sans en évaluer correctement l'efficacité !

Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse à ce propos. Pour tester la pertinence de ces messages, il suffirait d'utiliser l'imagerie par résonance magnétique qui renseigne sur leur mémorisation ! La mention « Fumer tue », apposée sur les paquets de cigarette, n'a absolument pas fait diminuer le tabagisme. En revanche, les informations selon lesquelles la fumée du tabac peut rendre malade son entourage, en particulier les enfants, ou encore selon lesquelles les spermatozoïdes sont beaucoup moins mobiles chez les fumeurs, ont un réel impact sur la population. L'approche cognitive préalable que permet cette imagerie par résonance magnétique, et dont le coût est beaucoup moins élevé qu'une enquête de résultats réalisée au bout de deux ou trois ans, permet de donner une consistance objective à ces observations. D'ailleurs, cette approche scientifique moderne est en usage chez certains de nos voisins.

Je suis favorable à la mise en place de quatre visites de prévention, une à chaque grande étape de la vie. La première, pour les enfants, serait celle qui est déjà assurée par la protection maternelle et infantile des départements. La deuxième concernerait les jeunes étudiants et les apprentis. La troisième devrait être effectuée par la médecine du travail, à l'entrée dans la vie professionnelle. Les visites périodiques de prévention obligatoires pour les entreprises, selon le code de la santé publique, ne sont malheureusement réalisées qu'à raison d'une sur trois aujourd'hui ! Enfin, la quatrième visite – ô combien utile – doit se faire au moment de la retraite. Dernièrement, j'ai reçu en consultation à l'hôpital un retraité qui ressentait une douleur au pli de l'aine : il n'avait jamais eu de problèmes articulaires avant sa cessation d'activité et marchait quatre kilomètres chaque jour, comme le préconisent toutes sortes de publications. L'examen médical a révélé qu'il souffrait d'une coxarthrose, qu'une visite de prévention lui aurait épargnée en permettant de détecter une coxa valga et une coxa retrorsa, ce qui aurait conduit à prescrire le vélo ou la natation, mais surtout pas la marche à pied ! Combien de gonarthroses et de coxarthroses pourraient ainsi être évitées grâce à une visite de prévention autour de la soixantième année !

En outre, les résultats de ces visites devraient être consignés dans le carnet de santé ou, à défaut, dans un document renseigné par les professionnels de santé – pas seulement par les médecins – et que le patient conserverait toute sa vie. Le coût pour le budget de l'État ne serait pas important.

À ce propos, je me permets d'appeler votre attention sur le fait que le dossier médical personnel, pour lequel de gros investissements ont été réalisés, n'est toujours pas opérationnel : la prévention n'y est même pas formalisée et, des quatre régions dans lesquelles il est expérimenté, une seule a souhaité qu'on y remédie !

La loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique énumère cent thèmes, dont certains se recoupent très largement ; ainsi la maladie d'Alzheimer y est citée trois fois, l'accident vasculaire cérébral deux fois. Or la prévention ne peut reposer sur « un inventaire à la Prévert », qui ne peut conduire à une politique budgétairement viable. Cette liste n'est d'ailleurs pas exhaustive puisqu'elle n'inclut aucun élément se rapportant à l'environnement et aux différentes étapes de la vie – si ce n'est une petite ligne sur la consultation préretraite et une autre sur les activités physiques et sportives.

Une des oppositions à la hiérarchisation des priorités de santé publique, est la crainte qu'en cas d'effort consenti pour le cancer, les cardiaques ne se sentent lésés. Il faut sortir de cette ambiguïté, dénoncée par la Cour des comptes dans sa recommandation n° 8, car elle est coûteuse et est contre-productive.

La hiérarchisation relève d'une décision politique. Tant qu'elle ne sera pas effectuée, la prévention primaire se révélera inefficace, sans compter que son évaluation budgétaire restera impossible. Une nouvelle loi de santé publique est aujourd'hui nécessaire afin de définir, non pas les priorités, mais la méthode à suivre pour déterminer celles-ci. Cette méthode devrait nous conduire à faire porter l'effort sur les maladies pour lesquelles n'existe pas de dispositif curatif et pour lesquelles la prévention primaire présenterait par conséquent le plus fort intérêt.

Ainsi que le montre la Cour des comptes, d'autres pays ont procédé à cette hiérarchisation, comme certains Länder allemands, mais aussi le Royaume-Uni qui a retenu quatre thématiques seulement : les maladies cardiovasculaires pour sauver 200 000 vies, les cancers pour en sauver 100 000, les accidents pour en sauver 12 000 et la santé mentale pour en sauver 4 000 –, assorties d'indicateurs de suivi. Nous gagnerions beaucoup à nous inspirer de ces exemples, étant entendu qu'il conviendrait chez nous de faire prévaloir la prévention des cancers sur celle des maladies cardiovasculaires.

Au lieu de cela, on lance à grands frais un plan Alzheimer tandis que certains politiques soutiennent qu'une fois diagnostiquée, cette maladie évolue inéluctablement. Or la recherche clinique a montré, certes depuis un an et demi seulement, qu'il était possible de prévenir le changement de stade de la maladie. Ce serait donc une erreur dramatique que de porter l'effort sur les cas les plus graves et non sur les patients atteints au premier stade de la maladie ! C'est justement au moment du diagnostic que la prévention secondaire doit intervenir pour éviter une aggravation ! C'est donc à ce moment qu'il convient d'investir, d'autant que les scientifiques sont très loin d'avoir mis au point le médicament qui agira sur la corne de l'hippocampe, malgré les sommes consacrées à cette recherche ! Je ne préconise pas l'arrêt de la recherche médicamenteuse sur les maladies pour lesquelles il n'existe pas de procédure curative efficace ; mais je souligne que le seul levier dont nous disposons aujourd'hui est celui de la prévention primaire et secondaire.

Il faut non pas des financements supplémentaires, messieurs les parlementaires, mais une refonte du système, car il est possible de faire beaucoup mieux avec les moyens budgétaires actuels.

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