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Intervention de Joël Ménard

Réunion du 15 décembre 2011 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Joël Ménard, professeur agrégé de médecine à l'université René Descartes Paris V :

Lorsque, en 1985, mes étudiants m'interrogeaient sur la norme de la tension, je leur répondais : 16095 pour la sécurité sociale et 11070 pour l'industrie. En cette matière, il n'existe pas de formule idéale mais la norme doit résulter d'un consensus.

Reste à savoir si ce consensus peut être biaisé, en particulier par les industriels. La baisse des normes a en réalité trois causes. La première est la tendance naturelle du corps médical à l'exagération : voyez Knock. En toute bonne foi, les médecins surestiment les risques des maladies et sous-estiment ceux des traitements.

Ensuite, les épidémiologistes, qui n'ont pas affaire aux malades mais travaillent sur des chiffres, lient l'espérance de vie au niveau de la tension ou du cholestérol. Ils ont établi dans les années 1980, pour l'essentiel à partir des données de Framingham, un modèle fondé sur les 10 % de la population qui leur semblent avoir le profil cardiovasculaire idéal. Or, si l'on ne parvient pas à atteindre cet idéal par l'alimentation ou les exercices physiques, on préconise le recours aux médicaments.

La troisième cause vient en effet de l'industrie. Si les experts sont soumis à des conflits d'intérêt, je dois être à vos yeux, monsieur Gérard Bapt, celui qui l'est le plus ! J'ai en effet commencé ma carrière en 1969, et dirigé l'entreprise Ciba-Geigy pendant trois ans et demi, à Bâle. De tels soupçons me font pourtant sourire : de 1970 jusqu'à aujourd'hui, mes comptes sont restés transparents ; par ailleurs, j'ai toujours refusé de travailler sur les dossiers liés à l'hypertension, étant un spécialiste en ce domaine. Du coup, et bien que je connaisse les statines et les prescrive à mes patients, on m'a fait observer, lors d'une réunion en 1992 ou 1993 consacrée à la pravastatine, que l'on ne suivrait pas mes observations car je n'étais pas considéré comme un expert. Les experts qui sont aussi des praticiens sont soupçonnés de conflit d'intérêt, et les autres, qui ont une connaissance plus théorique, ne sont pas reconnus en tant que tels ; dans les deux cas, on est exclu du système.

Le prix des médicaments peut dépendre de la dose, auquel cas il est dit linéaire, soit rester fixe, auquel cas on parle de prix plateau. Pour le prix linéaire, la tricherie est la règle : Les études préconisent volontairement un faible dosage au départ, que l'on augmente par la suite, de sorte que le nombre de comprimés prescrits est multiplié d'autant. Une vraie politique de santé publique voudrait que l'on ajuste la dose en fonction du malade. Pour la pravastatine, le dosage initial était de 20 milligrammes ; mais après l'étude WOSCOPS – West of Scotland coronary prevention study –, qui avait fixé la dose utile à 40 milligrammes, les patients se sont vu prescrire deux comprimés au lieu d'un.

À la demande de la direction générale de la santé, j'ai rédigé un rapport sur les statines en 2005 et, avec l'appui de Mme Blum-Goisgard, de la Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes, je me suis opposé aux conceptions du professeur Hubert Allemand sur ces médicaments. Sans trancher sur les statines – une telle décision revient en fin de compte à la population –, je me suis borné à indiquer que la prise systématique d'un comprimé, à titre préventif, pourrait présenter un bénéfice-risque favorable pour un homme âgé de cinquante à soixante ans. Si l'on ne peut formellement recommander un tel traitement, on peut le proposer individuellement aux patients.

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