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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 19 décembre 2011 à 17h00
Remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Ces questions ne sont pas mineures et c'est pourquoi nous les soulevons à l'occasion de l'examen de ce projet de loi organique.

Le principe d'égalité devant le suffrage et le principe de sincérité des élections sont les fondements de la démocratie représentative. Si la démocratie est représentative, la qualité de la démocratie repose sur la qualité de ce qui fait la représentation, c'est-à-dire l'élection, et la qualité de l'élection dépend de l'égalité des candidats devant le suffrage et de la sincérité de l'élection. Or, comme l'argent est devenu un facteur important, sinon déterminant, d'une élection, en particulier dans le cadre de la présidentielle, le respect de l'égalité et de la sincérité dépend du régime de financement des dépenses électorales. Selon son contenu, il garantit ou non l'égalité ou la sincérité. Cela signifie concrètement que les dépenses engagées pour des manifestations auxquelles un candidat participe dans la période précédant l'annonce éventuelle de sa candidature peuvent être réintégrées ultérieurement dans son compte de campagne.

En d'autres termes, toutes les dépenses avant la déclaration officielle de candidature n'ont évidemment pas vocation à figurer dans le compte de campagne, quand il s'agit du Président de la République notamment. Mais nous prétendons que les réunions au cours desquelles le candidat a eu l'occasion d'exposer ce qui pourrait se retrouver dans son programme, ou à l'occasion desquelles il s'est livré à des critiques de candidats déclarés, occasionnent des dépenses qui doivent figurer dans le compte de campagne. C'est une règle de bon sens et il n'est tout de même pas interdit au droit d'en faire preuve !

Une autre juridiction administrative a d'ailleurs commencé à prendre ce chemin. Une décision du Conseil d'État a contribué à lever une ambiguïté sur le statut du Président de la République. Longtemps, le chef de l'État a vu son temps de parole exclu de la comptabilisation des temps de parole de nature politique. Ce principe, arrêté en 1969, n'a à vrai dire jamais été contesté avant 2005. Un consensus existait, partagé par tous, sur l'interprétation traditionnelle de la Constitution qui voyait dans le Président de la République non un chef de parti mais un « arbitre », notion présente dans l'article 5 de la Constitution. Cette situation singulière vis-à-vis de la nation suffisait à ce qu'il bénéficie d'une immunité verbale. La première contestation vint à la suite de la campagne précédant le référendum du 29 mai 2005. Saisi, le Conseil d'État estima, dans un arrêt du 13 mai 2005, dit arrêt Hoffer que la tradition républicaine d'expression du Président de la République n'avait pas été enfreinte et que c'est à bon droit que le CSA n'avait pas comptabilisé dans le temps de la majorité ou du Gouvernement celui du Président de la République. Mais, en 2009, il modifia son jugement afin de tenir compte, notamment, de la place croissante de la parole de Nicolas Sarkozy dans le débat politique, et notamment dans les médias audiovisuels. En effet, le rapporteur public du Conseil d'État constate qu'alors que les interventions du chef de l'État représentaient, en moyenne, 7 % du temps de parole des personnalités politiques entre 1989 et 2005, elles dépassaient 20 % au cours des quatre trimestres allant de juillet 2007 à juin 2008, lorsque la contestation est intervenue.

C'est donc la pratique des institutions de l'actuel chef de l'État qui a entraîné une modification de la jurisprudence du Conseil d'État. Je cite, là encore, ce que nous dit le rapporteur public du Conseil d'État, jugeant cette situation. Il estime : « Le chef de l'État est l'homme d'une politique » et « dans ces conditions, il paraît difficile de considérer que [sa] parole est par nature et toujours neutre au regard de l'équilibre à rechercher entre l'expression des courants d'opinion politiques ». Le Conseil d'État censura donc une décision du CSA en imposant que la parole du Président soit dorénavant « prise en compte pour le respect du pluralisme » par un considérant qui doit être analysé comme étant de principe et donc d'application générale. Je cite le Conseil d'État : « Compte tenu du rôle qu'il [le Président de la république] assume depuis l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 dans la définition des orientations politiques de la nation [...] ses interventions et celles de ses collaborateurs [ne peuvent] être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction selon leur contenu et leur contexte, au débat politique national et, par conséquent, à l'appréciation de l'équilibre à rechercher entre les courants d'opinion politiques ».

Cette décision de 2009 avait beaucoup surpris. Pourtant, dès octobre 2007, le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par Édouard Balladur considérait comme une anomalie que le temps d'expression du Président de la République ne soit pas pris en compte dans le temps de la majorité ou du gouvernement. Édouard Balladur écrivait : « Cette situation est la traduction d'une conception dépassée du rôle du chef de l'État ».

Par le parallélisme des formes que pratiquent traditionnellement les juristes, il est probable que le futur compte de campagne de Nicolas Sarkozy devra donc intégrer une partie des déplacements du Président de la République depuis le 1er avril 2011. Comment pourrait-il, d'ailleurs, en être autrement ? J'évoquais précédemment le rassemblement de Toulon. Le trésorier de la fédération UMP du Var a précisé à ce sujet, sur le site du Monde le 2 décembre dernier, que sa fédération avait financé l'affrètement d'une quinzaine de cars afin d'assurer le déplacement des militants pour aller assister à ce discours. On voit bien là qu'il y a tout de même une dimension partisane, à moins que je ne connaisse pas bien l'utilité des fonctions des fédérations des partis politiques !

Il conviendra aussi d'intégrer les déplacements des collaborateurs du Président de la République. Je pense par exemple aux frais engagés pour les réunions de M. Henri Guaino, « conseiller spécial du président », titre mentionné sur ses affiches. Il s'envole chaque semaine pour tenir meeting devant les militants UMP tout en prenant soin de préciser dans Libération du 14 décembre dernier qu'il en a soumis l'idée au chef de l'État, qui lui a dit banco. Et le journal d'énumérer les cinq dernières dates des six dernières semaines – Égletons, Saint-Quentin, Vaujours, Agen, Évreux...– avant que le conseiller spécial ne se rende bientôt à Poitiers, Royan, Carpentras et Tarbes. J'ajoute que le Conseil d'État a aussi dans sa décision mentionné que « les interventions publiques des collaborateurs du Président » devaient tout autant que les siennes être comptabilisées, afin que cela ne se déroule pas au détriment du temps de l'opposition.

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