Non, notre vigilance, c'est une alerte que nous lançons.
D'abord le Président sortant, après avoir pleinement exercé ses pouvoirs, va probablement se représenter au terme d'un quinquennat. Or on sait que cette durée de mandat accélère les données de la vie politique et modifie sensiblement la place qu'occupe le Président de la République dans le fonctionnement des institutions, ce qui n'a pas été, nous le verrons, sans conséquence sur l'évolution de la jurisprudence qui encadre le statut du Président de la République.
Ensuite, la campagne va se dérouler selon des règles de propagande et de communication en période électorale qui ont été rendues sans cesse plus draconiennes au fil des années. En effet, il ne s'est pas passé une seule élection depuis 1988 où le juge de l'élection n'ait précisé par petites touches sa doctrine toujours plus restrictive en matière de dépenses électorales.
En 1988, par exemple, il avait souligné – c'était le début – combien les comptes de campagne qui lui avaient été adressés avaient fait apparaître des appréciations divergentes de la part des candidats en ce qui concerne la définition d'une dépense électorale. Pendant de nombreuses années, le Conseil constitutionnel s'est donc attaché, scrutin après scrutin, à lever les ambiguïtés. Tous, ici, nous ne pouvons que louer sa cohérence.
Comme l'écrivait le 20 janvier 1996, Olivier Schrameck, alors secrétaire général du Conseil constitutionnel, en commentant l'action du Conseil lors de la présidentielle de 1995, « cette consultation a donné lieu à des décisions qui ont enrichi la jurisprudence élaborée jusque-là dans le cadre du contentieux des élections législatives ». C'est en effet en 1995 que, pour la première fois, le Conseil constitutionnel a procédé au contrôle des comptes de campagne. Il a effectivement adapté à la présidentielle un certain nombre de dispositions qui avaient été prises pour les législatives.
Ainsi, en 1995, il a dû résoudre un problème qui ne s'était posé qu'à l'occasion d'une législative : la publication d'un ouvrage à caractère politique par un candidat. Il considéra – cela fait jurisprudence aujourd'hui – que si cette démarche n'était pas en elle-même un acte de propagande électorale, la promotion de cet ouvrage devait néanmoins être considérée comme une dépense de la campagne au sens de l'article L. 52-12 du code électoral.
A l'époque, Jacques Chirac avait ainsi vu son compte réformé de 500 000 francs pour deux ouvrages qu'il avait publiés, l'un en juin 1994, époque bien éloignée de l'élection, et l'autre en janvier 1995. Le Conseil a eu l'occasion, dans d'autres comptes, de transposer des obligations comparables à celles qui s'imposaient à des candidats aux élections municipales ou législatives.
En 2002, notre rapporteur y a fait référence il y a un instant, le Conseil réintégra pour partie les coûts relatifs à sept réunions publiques qui s'étaient pourtant tenues avant la déclaration officielle de candidature. Il avait estimé que ces rassemblements n'étaient pas organisés par le candidat, mais par le soutien d'un parti en vue de l'élection, et que ces dépenses devaient être considérées comme des dépenses électorales. La campagne de 2002 a aussi permis au Conseil d'appeler l'attention du législateur sur une question aujourd'hui en discussion. Il s'agit des incertitudes du calendrier des opérations électorales. Le Conseil a effectivement écrit, le 7 novembre 2002 : « Dès avant la publication de la liste des candidats par le Conseil, certaines personnalités qui envisagent de se présenter peuvent se comporter en candidats, ce qui soulève des problèmes de comptabilisation au regard des règles relatives à l'équilibre de la couverture médiatique, comme du point de vue de la législation sur le financement de la campagne ».
Comme l'a évoqué René Dosière, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est, depuis la loi organique votée en avril 2006, compétente, en première instance, pour vérifier les comptes, le Conseil retrouvant ses prérogatives en cas de rejet du compte par la Commission ou en cas de contestation de la décision de cette dernière. Le fait que la Commission nationale soit maintenant responsable de ce contrôle a conduit, dès la dernière élection présidentielle, à une harmonisation des pratiques. Il est assez logique qu'elle ait été mandatée, car elle a une expérience diversifiée du contrôle des comptes de campagne, toute son organisation étant dédiée à cette tâche. Elle a ainsi établi utilement, pour un même type de dépenses, une règle commune à l'ensemble de ces élections.
Il y a pourtant encore un certain nombre de zones d'ombre qui méritent d'être dissipées dans la perspective de l'an prochain, ce qui justifie cette motion de renvoi en commission, le ministre devant apporter des précisions sur ce point. Ces zones d'ombre portent sur ce qui doit être remboursé ou ce qui doit figurer dans le compte de campagne.
Il y a d'abord la notion de « candidat ». Il ne s'agit pas de s'intéresser au fait que Nicolas Sarkozy tienne des meetings imputés à son compte de campagne. Chacun s'accorde à reconnaître que, lorsqu'il sera candidat, ses meetings figureront dans son compte de campagne. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir à quel moment Nicolas Sarkozy sera considéré comme étant candidat. Or la notion de « candidat » n'est définie dans aucun texte. La seule date qui figure est celle du 19 mars 2012, lorsque le Conseil publiera la liste officielle des candidats à l'élection présidentielle. On pourrait ainsi, par exception, et c'est ce que sous-entendent aujourd'hui le Gouvernement et sa majorité, considérer que, tant que le candidat Nicolas Sarkozy ne s'est pas déclaré, il n'est pas candidat. Il peut donc exercer, avec l'argent de l'État, toutes les activités possibles et imaginables, sans que cela figure dans le compte de campagne.
Cette vision n'est malheureusement pas juste. Un certain nombre d'organismes officiels ont déjà commencé à tracer des contours nettement plus réalistes. Je citerai par exemple le cas du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui observe les agissements des candidats. Depuis le 23 octobre 2001, ce n'est donc pas récent, il a pris l'habitude de différencier les candidats déclarés et les candidats qu'il appelle « présumés ». Un candidat présumé est une personne qui concentre autour d'elle des soutiens à sa candidature.
Les déplacements électoraux, coeur du propos de René Dosière, nous interpellent également. Le meeting de Toulon était-il un déplacement électoral ? La majorité nous explique que non, considérant que ce déplacement était organisé dans le cadre de l'activité du Président de la République, qui a parlé de son action en tant que Président de la République, meeting qui n'a donc aucune raison de figurer dans le compte de campagne hypothétique de Nicolas Sarkozy. Étudions ce point avec précision. En 2007, la Commission des comptes de campagne avait demandé à un candidat de réintégrer les dépenses d'un meeting, lequel s'était tenu avant sa propre déclaration, mais où il avait exposé des éléments qui allaient devenir son programme électoral. C'est donc, en toute logique, que M. Logerot a signé le courrier que le rapporteur et René Dosière ont évoqué, courrier en date du 15 décembre dernier. Rappelons en effet, à ce stade, que la législation sur le financement et le plafonnement des dépenses comporte des obligations concrètes à partir du début de l'année précédant le premier jour du mois de l'élection. Cela signifie par conséquent, dans le cas de 2012, que, depuis le 1er avril 2011, un certain nombre de dépenses peuvent se retrouver dans le compte de campagne.