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Intervention de Chantal Berthelot

Réunion du 9 avril 2008 à 15h00
Opérations spatiales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Berthelot :

Madame la ministre, permettez-moi d'abord de saluer la parfaite réussite de l'opération ATV Jules-Verne, le programme le plus complexe et le plus important réalisé à ce jour par l'Agence spatiale européenne. Ce fut la première fois qu'Ariane 5 lança un véhicule aussi lourd – un cargo spatial de 20 tonnes –, la première fois aussi qu'a été effectué un rendez-vous spatial automatisé avec un amarrage à la station spatiale internationale sans intervention humaine. Je félicite l'ensemble des acteurs de cette formidable prouesse technique : les équipes de l'ESA, du CNES, d'Arianespace, d'Astrium et des industriels européens concernés, ainsi que tout le personnel du Centre spatial guyanais.

Cette prouesse nous permet de voir le long chemin parcouru depuis le début des années 60, quand les bases de la politique spatiale française ont été jetées, grâce – il convient de le rappeler – à la prise de conscience par le général de Gaulle de l'enjeu stratégique que représentait la maîtrise de l'espace. C'est ainsi que le CNES, tout comme le Centre spatial guyanais, ont vu le jour, entités publiques sans lesquelles l'aventure spatiale française et, par la suite, européenne, n'aurait pas été possible. La Guyane fournit en effet un site idéal pour les lancements en raison de sa proximité avec l'équateur, de sa large ouverture sur l'océan Atlantique et de ses conditions météorologiques favorables. Quant au rôle primordial qu'a joué le CNES, il suffit de rappeler le lancement de la fusée civile Diamant A et du satellite Astérix, dès le milieu des années 60, sa contribution au développement des lanceurs Ariane, son apport à la création de l'Agence spatiale européenne, ainsi que, grâce à son réseau de laboratoires et d'établissements techniques, son très haut niveau de compétences en matière de recherche dans les domaines technique et industriel. C'est notamment grâce à lui que notre pays est devenu la troisième puissance spatiale dans le monde, après les États-Unis et la Russie, et la première en Europe.

La France a accédé à cette position sans toutefois se doter d'un cadre juridique national relatif aux opérations spatiales, contrairement à la plupart des États ayant cette activité même faible. Elle n'a jamais traduit dans le droit interne les règles internationales issues essentiellement du traité de 1967, qui régit les activités en matière d'exploitation et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, et de la convention de 1972 relative à la responsabilité des États de lancement pour les dommages causés par des objets spatiaux.

Ce paradoxe s'expliquait par la situation de monopole que l'État exerçait sur ces activités, notamment par l'intermédiaire du CNES, premier actionnaire d'Arianespace et actionnaire de nombreuses entités créées pour commercialiser les utilisations des satellites ou des sondes envoyés dans l'espace extra-atmosphérique.

Or aujourd'hui le contexte a changé : la multiplication et la privatisation des activités spatiales ainsi que l'ouverture du Centre spatial guyanais appellent un encadrement juridique clair tant pour les activités de lancement que pour les activités d'opération de satellites. Le lanceur Ariane domine depuis quelques années le marché des gros satellites : 180 fusées ont été déjà lancées et près d'une soixantaine sont en cours de montage pour faire face aux futures commandes. La base spatiale de Guyane est en pleine expansion avec la construction du pas de tir pour le lanceur Soyouz, qui sera opérationnel mi-2009, et pour la fusée Vega, qui emportera dès la fin 2008 de petites unités. Parallèlement, les opérations spatiales et les opérateurs se sont multipliés avec l'exploitation commerciale de l'espace tandis que la concurrence internationale s'est renforcée. Or la déréglementation et l'essor des opérateurs privés, parfois à bas prix, augmentent les risques d'accidents.

Tel est l'objet du présent projet de loi, qui vise à définir un cadre législatif national devenu nécessaire en matière d'opérations spatiales. Il traduit en droit interne la règle internationale de responsabilité étatique pour le contrôle des activités spatiales et pour la prise en charge de l'indemnisation des dommages qu'elles peuvent éventuellement provoquer.

Les dispositions de ce texte, qui s'inspirent des préconisations du rapport du Conseil d'État de 2006, tentent de concilier deux exigences : permettre à la France de maîtriser les risques en vertu de sa responsabilité tout en garantissant un environnement de sécurité juridique pour les entreprises, afin de préserver l'attractivité du territoire français.

Madame la ministre, je partage bien évidemment cet objectif : c'est pourquoi je tiens à préciser que toutes mes observations sur le texte découlent de cette préoccupation.

Vous permettrez toutefois à une élue de la Guyane, terre d'accueil du Centre spatial, d'aborder prioritairement la question de la maîtrise des risques. Le spatial demeure une activité à haut risque – vous l'avez rappelé et nous en sommes tous persuadés –, même s'il est vrai qu'elle devient plus fiable au fil des progrès technologiques et des innovations. Maintes installations du Centre spatial guyanais sont classées de type Seveso 2 et il suffit d'assister, comme, je l'espère, un grand nombre d'entre vous, mes chers collègues, à un seul lancement, pour faire l'expérience à la fois de l'émerveillement devant l'exploit technologique et de l'effroi à l'idée de la catastrophe qu'occasionnerait un éventuel incident : d'où mon exigence de prévention et de sécurisation de l'ensemble du site et de ses activités. Aucune indemnisation ne saurait en effet compenser les dommages subis, tant leur nature pourrait être dramatique.

La disposition clé du texte en matière de sécurité est le régime d'autorisation : sa délivrance est subordonnée au constat d'une pleine conformité des systèmes et des procédures utilisées avec une réglementation technique bien définie. Or un amendement adopté au Sénat a introduit un régime de licence qui vaut autorisation pour certaines opérations et remplace le contrôle obligatoire par une simple obligation d'information de l'autorité administrative. Si je comprends parfaitement le souci d'alléger les procédures, je voudrais être assurée que les opérations telles que le lancement et le changement d'orbite ou de manipulation d'objet dans l'espace continueront à faire l'objet d'une autorisation spécifique, d'autant qu'il est question d'accorder des licences pour une période de dix ans. Madame la ministre, la sécurité, je vous le rappelle, est aussi un élément de la compétitivité et de l'attractivité de la base spatiale.

Dans le même esprit, je voudrais qu'on définisse plus clairement le rôle du CNES : j'avais, à cette fin, déposé des amendements en commission. Je voudrais saluer non seulement le travail remarquable du rapporteur mais également sa volonté de prendre en considération à la fois mes préoccupations et les amendements que j'ai proposés et qui ont été adoptés par la commission. Je m'en félicite.

Dans le même esprit, je voudrais qu'on définisse plus clairement le rôle du CNES : j'avais, à cette fin, déposé des amendements en commission. Je voudrais saluer non seulement le travail remarquable du rapporteur mais également sa volonté de prendre en considération à la fois mes préoccupations et les amendements que j'ai proposés et qui ont été adoptés par la commission. Je m'en félicite.

Cependant, madame la ministre, je tiens à vous faire part des interrogations qui ont motivé le dépôt de mes amendements. Je ne comprends pas, en effet, les raisons pour lesquelles le Gouvernement est revenu sur la rédaction initiale de l'article 8, soumis en première lecture au Sénat, qui déléguait au président du CNES ou aux agents habilités par lui le pouvoir de prendre et d'imposer les mesures nécessaires au respect de la sécurité des personnes et des biens, de la protection de la santé publique et de l'environnement dans le cadre du lancement ou de la maîtrise d'un objet spatial. Les dispositions adoptées au Sénat aux articles 21 et 28, renvoyant au code de la recherche cette compétence du CNES, sont beaucoup plus restrictives. La délégation que le CNES peut recevoir de l'autorité administrative n'est plus de plein droit mais devient une simple possibilité. Or, vous le savez bien, aucune autre structure publique française que le CNES ne dispose, de manière permanente et globale, pour tous les systèmes, de la compétence, des moyens et de l'expertise nécessaires pour les mesures prévues à l'article 8. Vous ne voulez pas vous lier les mains : soit ! Mais, aujourd'hui ou demain, qui peut ou pourra remplacer le CNES ? Et, dans un tel cas de figure, n'ira-t-on pas vers un démantèlement de celui-ci, qui se verra uniquement cantonné à ses activités de recherche ?

S'agit-il de préparer déjà la perspective annoncée par le Président de la République dans son discours de Kourou ? Vous avez du reste apporté un début de réponse au cours de votre intervention initiale. Souhaitant une redéfinition du rôle et de la position du Centre spatial guyanais, le Président de la République a en effet déclaré : « Je ne vois pas comment on peut promouvoir une politique spatiale européenne et laisser la base spatiale à Kourou à un niveau national. » Ces interrogations ne peuvent laisser indifférente l'élue nationale et, a fortiori, l'élue de Guyane que je suis : s'il est vrai que l'Agence spatiale européenne a aujourd'hui un droit de contrôle sur la gestion technique et financière de la base, la responsabilité du Centre spatial guyanais incombe à l'État français à travers le CNES. Il serait inconcevable pour les Guyanais que la France s'en désengage.

S'agissant de la définition des dommages prévue à l'article 1er, qui fait également l'objet d'un de mes amendements adoptés par la commission, il me semble important de mieux la préciser afin d'y inclure les atteintes directement causées à l'environnement et à la santé publique. Cela est non seulement conforme à la charte de l'environnement, qui est désormais une norme constitutionnelle, mais également en accord avec la logique même du projet de loi. En effet, ce dernier soumet la délivrance des autorisations des opérations au respect par les opérateurs de la réglementation technique édictée, comme le précise l'article 4, « notamment dans l'intérêt de la sécurité des personnes et des biens et de la protection de la santé publique et de l'environnement ». Cette formulation revient à plusieurs reprises dans le projet de loi. Je suis d'autant plus sensible à cette question que le développement de la Guyane devra s'articuler autour de deux pôles, le spatial, bien sûr, mais également la biodiversité dont la sauvegarde et la valorisation sont plus que jamais essentielles dans la lutte mondiale pour la préservation de l'environnement.

En ce qui concerne la question de la sécurité juridique des entreprises et du maintien de l'attractivité du territoire français, il me paraît tout aussi important que leurs préoccupations concernant certaines ambiguïtés du texte relatives aux définitions et au champ de responsabilité de l'opérateur soient levées. De même, plusieurs chapitres du projet renvoient aux décrets la mise en application des dispositions prévues. Là aussi, il sera nécessaire que le Gouvernement associe étroitement les principaux acteurs concernés afin que leurs légitimes préoccupations soient prises en considération.

Permettez, madame la ministre, que, pour terminer, je m'éloigne du texte et formule deux remarques. Je souhaite avant cela me faire le relais auprès de vous des inquiétudes des membres du conseil d'administration de l'ONERA, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales, concernant le risque d'affaiblissement de leur potentiel de recherche dans le domaine aéronautique et spatial, tant sur le plan des ressources humaines que sur le plan financier.

Pour revenir à mes remarques, la première concerne la définition d'une politique de l'espace que devront élaborer tant la France que l'Union européenne. Selon le rapport Cabal-Revol – mes collègues et moi-même tenons à saluer la mémoire de M. Cabal – sur la politique spatiale, présenté en 2007, l'avenir de ce secteur ne réside plus essentiellement dans les services marchands – télécoms, télédiffusion –, mais aussi dans d'autres missions, comme l'étude du changement climatique, la recherche sur Mars, l'auscultation du soleil, le spatial de défense, les vols habités, d'autant plus indispensables que les Américains, les Chinois et les Indiens ont annoncé leur retour sur la Lune pour les premiers ou leur arrivée pour les autres. Cette vaste ambition nécessite évidemment des financements substantiels aujourd'hui inexistants. N'oublions pas, en effet, que les États-Unis investissent quatre fois plus que l'Europe dans le spatial civil et vingt fois plus dans le spatial militaire.

Je souhaite insister sur la nécessité de hiérarchiser les objectifs et de donner la priorité aux activités spatiales au service du développement durable. Si l'espace est aussi un outil de renseignement en matière de défense, si nous devons pouvoir y accéder en toute autonomie pour garantir notre indépendance stratégique, gardons-nous cependant de le militariser et de franchir ainsi la ligne d'une conception pacifique, coopérative, d'un espace mis au service de la Terre.

Ma seconde remarque concerne mon territoire. Je tiens à souligner l'atout formidable que constitue pour notre région le Centre spatial guyanais qui couvre une superficie de 65 000 hectares et représente 50 % de l'économie locale. J'entends néanmoins souligner tout ce qui reste à faire pour que la Guyane bénéficie pleinement de l'ensemble des avancées permises par l'aventure spatiale. Il en est ainsi de ses applications dans le quotidien de l'homme et de son environnement.

Beaucoup de retard a été pris en Guyane s'agissant de l'acheminement des communications, de la diffusion de la télévision, du désenclavement numérique et de l'aménagement du territoire pour les zones isolées – exemples parmi d'autres. Autrement dit, l'activité spatiale n'intervient que trop inégalement dans ce quotidien et cet environnement guyanais, et elle n'a pas permis, encore, de déclencher pleinement une dynamique en termes de formation des hommes, mais aussi en termes d'emploi, de recherche, d'innovation et de développement économique.

Schématiquement, je dirai que l'activité spatiale demeure exogène par rapport à la Guyane alors qu'elle peut et doit concourir à la diversification des activités économiques et à l'émergence des entreprises.

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