Il faut bien l'avouer, le système tel qu'il existe aujourd'hui est de plus en déconnecté des attentes de la communauté militaire et des évolutions de la société.
Nous avons constaté, tout d'abord, une grande défiance à l'égard des instances nationales de concertation.
Alors que les présidents de catégorie sont connus et appréciés de leurs pairs, les membres des instances nationales de concertation nous ont semblé isolés. Leur statut ne leur permet en effet pas de remplir correctement leurs fonctions. Ils ne disposent que d'une dizaine de jours par an pour préparer les sessions nationales, là où beaucoup de présidents de catégorie disposent d'un temps plein. Ils sont peu formés – deux à cinq jours en début de mandat – et, hormis ceux qui occupent des postes dans le domaine des ressources humaines, ils n'ont pas toujours l'expertise suffisante pour se pencher sur des sujets souvent difficiles, et parfois juridiquement très techniques.
Mais c'est surtout leur mode de désignation qui n'est pas satisfaisant. Tirés au sort, ils ne représentent qu'eux-mêmes aux sessions des instances nationales et ne savent souvent pas se faire les porte-paroles de leurs camarades. Certains de nos interlocuteurs nous ont d'ailleurs dit, avec humour, que leur désignation relevait parfois plus du « triage au sort » que du « tirage au sort ». Beaucoup de militaires se sont plaints de ne pas voir leurs attentes relayées au niveau national par les membres des CFM et du CSFM, ce qui pose un réel problème de confiance envers ces institutions.
Le mode de fonctionnement de ces instances ne donne pas non plus pleinement satisfaction. S'il est exagéré de voir en elles de simples chambres d'enregistrement des décisions de l'administration centrale du ministère, il est vrai que la marge de manoeuvre des membres est très réduite, que cela soit en termes de fixation de l'ordre du jour ou de choix des questions auxquelles le ministre va répondre. Nous avons assisté aux séances de trois CFM et d'un CSFM. Les membres nous ont tous semblé pleinement investis dans leur rôle mais, il faut l'avouer, leur expertise est très faible face aux représentants de la direction des ressources humaines du ministère de la défense. On a eu le sentiment qu'ils perdaient beaucoup de temps sur des détails et étaient très dépendants des informations qui leur étaient délivrées par le ministère.
Au final, cela procure de la frustration dans la communauté militaire, qui a l'impression, très largement relayée par les audits effectués en 2008, que ses intérêts ne seraient pas défendus et que tout le système de concertation ne sert qu'à donner bonne conscience au commandement. Beaucoup de militaires expriment leur mécontentement sur les nombreux sites Internet et blogs. Les associations, comme Gendarmes et citoyens ou l'ADEFDROMIL, jouent également un rôle important. Il est difficile de mesurer leur représentativité et leur audience mais il est certain qu'elles relaient beaucoup de préoccupations légitimes, disposent d'une réelle expertise juridique et que le haut commandement a concédé suivre de près leurs travaux.
Le système actuel parait aussi en décalage avec son contexte. Quand je dis : son contexte, je pense d'abord au reste de la société française, où les modes d'expression de l'autorité et le « management » ont connu des mutations profondes ces dernières années. Mais je pense aussi aux autres armées occidentales, aux côtés desquelles nos soldats sont régulièrement engagés, notamment en opérations extérieures : partout, on observe une tendance au renforcement des mécanismes de concertation, avec notamment un assouplissement des restrictions apportées à la liberté d'association.