Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture tend à lutter contre l'usurpation d'identité grâce à l'instauration d'un titre national d'identité biométrique.
Ce texte, loin d'être anodin, pose de nombreux problèmes, à la fois juridiques, politiques et éthiques. C'est pourquoi nous continuons de considérer que, sur un tel sujet, un projet de loi aurait été préférable car il nous aurait permis de disposer d'une étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État, notamment sur les risques majeurs d'atteinte aux libertés publiques.
Aujourd'hui, notre débat se concentre sur la création d'un fichier centralisant les données biométriques et sur ses finalités, ce qui fait l'objet du seul article encore en discussion : l'article 5.
Deux questions sont au coeur de nos débats : faut-il mettre en place un fichier central d'identité biométrique et, le cas échéant, quelles finalités assigner à ce fichier central et de quelles garanties l'entourer ?
S'agissant de la nécessité de créer un tel fichier, force est de constater que l'utilisation de la biométrie se développe irrésistiblement pour des besoins affirmés d'accroître la sécurité. Nous reconnaissons que des données biométriques peuvent utilement être utilisées pour vérifier l'identité des individus, à condition, bien entendu, que l'intéressé conserve la maîtrise des données servant à son identification. En revanche, nous sommes beaucoup plus dubitatifs sur la nécessité de créer un fichier central. Il nous paraît légitime de nous interroger sur le point de savoir si la création et l'utilisation d'un tel fichier assurent une conciliation proportionnée entre les exigences de protection des libertés individuelles et les impératifs de sécurité publique.
Sur la création même du fichier, le Conseil d'État s'est prononcé le 26 octobre dernier sur des requêtes en annulation du décret relatif au passeport biométrique. S'il a validé l'essentiel du dispositif, il a en revanche censuré la conservation, dans un fichier centralisé, des empreintes digitales de huit doigts, au lieu des deux figurant dans le composant électronique du passeport. Reprenant à son compte les arguments développés par la CNIL dès la fin de l'année 2007, la plus haute juridiction administrative considère en effet qu'enregistrer une telle quantité d'empreintes dans cette base apparaît inadéquat au regard de la finalité officiellement mise en avant pour en justifier la nécessité, à savoir sécuriser la procédure de délivrance de ce document. On ne peut donc que saluer l'amendement adopté en commission des lois tendant à limiter le nombre d'empreintes digitales collectées.
En revanche, les observations de la CNIL qui a présenté, de sa propre initiative, une note sur cette proposition de loi, le 25 octobre dernier, sont sans appel, évoquant même un détournement de finalité du fichier à des fins purement judiciaires. Si la CNIL n'est pas hostile par principe à l'utilisation de la biométrie dans le cadre de la délivrance des titres d'identité, elle estime en revanche que « la proportionnalité sous forme centralisée de données biométriques, au regard de l'objectif légitime de lutte contre la fraude documentaire, n'est pas à ce jour démontrée ». C'est également l'avis des organisations de défense des droits de l'Homme, qui invoquent les risques liberticides d'un tel fichier.
C'est ainsi, comme le souligne le rapporteur du texte au Sénat, que la Ligue des droits de l'homme considère que la base biométrique équivaut à la création d'un unique grand fichier général de la population française, croisant à la fois une identité civile et légale et une identité physique ; elle s'inquiète notamment de l'usage qu'un régime différent de celui de la République pourrait faire de tels moyens.
C'est d'ailleurs également l'avis du Comité consultatif national d'éthique, qui s'oppose à la généralisation et à la centralisation des données biométriques, et de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme.
Ce fichage généralisé de nos concitoyens nous semble totalement disproportionné par rapport au but poursuivi, d'autant qu'il existe déjà un arsenal législatif pour lutter contre l'usurpation d'identité.
Se pose aussi la question des finalités assignées au fichier et de la possibilité de les détourner.
Ce n'est pas tant la biométrisation de la carte d'identité en elle-même qui nous préoccupe que le lien qui sera établi entre les données civiles et biométriques au sein d'une base unique et centralisée.
L'établissement d'un « lien fort » entre données d'identité et données biométriques laisse craindre une utilisation dans le cadre de missions de police judiciaire et non pas dans celui d'une simple gestion administrative des procédures de délivrance des titres.
À cet égard, les amendements adoptés par la commission des lois tendant à consolider le régime juridique d'accès au fichier central ne nous paraissent pas suffisants pour garantir la protection des libertés individuelles.
Bref, nous craignons que l'objectif de ce texte de loi ne soit tout simplement, sous prétexte de lutter contre l'usurpation d'identité, de créer un fichier généralisé de la population française.
Pour notre part, nous contestons la création de ce type de fichier, et, qu'il soit utilisé à des fins de gestion administrative ou à des fins de police judiciaire, nous considérons qu'il constitue une menace pour les libertés publiques.
J'ajoute que, si, en Europe, plus de douze pays ont adopté une carte nationale d'identité électronique, peu d'entre eux prévoient l'inclusion de données biométriques et presque aucun la mise en place d'un fichier central.
C'est pour toutes ces raisons essentielles que le groupe GDR votera une nouvelle fois contre ce texte.