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Intervention de Mourad Medelci

Réunion du 7 décembre 2011 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Mourad Medelci, ministre des affaires étrangères de la République algérienne démocratique et populaire :

M. Asensi m'a interrogé sur les événements qui se produisent depuis quelques mois dans la zone constituant le voisinage de l'Algérie, et il m'a demandé pour quelles raisons notre pays reste stable alors que d'autres connaissent des intifadas, des révolutions et des mutations très profondes. Je tiens à préciser que nous ne sommes pas les seuls à conserver une telle stabilité : c'est aussi le cas du Maroc, ce dont nous nous réjouissons, car nous souhaitons une zone stable. Par ailleurs, même s'il y a peut-être une insistance plus grande depuis le printemps dernier, les Algériens ne font que continuer à revendiquer ce qui leur semble faire partie de leurs droits.

Fort heureusement, les causes du « printemps arabe » n'étaient pas réunies à Alger : les pays concernés avaient un système centralisé en matière de pouvoir politique, ils ne reconnaissaient pas la liberté de la presse et ils n'avaient pas pris très au sérieux la question de l'équilibre régional et, dans certains cas, ethnique. Dans ces pays, qui vont de la Tunisie au Yémen, la pression exercée s'est trouvée mise à nu à cause de la conjoncture économique et sociale ou, parfois, à cause d'un simple événement. Les populations ont alors voulu renverser cette pression à la faveur d'une révolution ou d'une révolte.

En Algérie, le pluralisme politique existe depuis 1988 : des dizaines de partis sont représentés à l'Assemblée, et le Gouvernement rassemble, depuis 2000, entre trois et cinq partis politiques, dont un est de tendance islamiste. Nous sommes donc très loin d'un système centralisateur. En outre, je tiens à rendre hommage à la liberté de la presse exceptionnelle de l'Algérie – même si les membres du Gouvernement apprécient diversement les pointes d'humour auxquels ils sont soumis, celles-ci sont désormais entrées dans les moeurs. Si notre situation est différente, c'est aussi parce que nous avons engagé des réformes depuis dix ans, notamment en ce qui concerne l'école et la justice, et parce que notre situation s'est très sensiblement améliorée au plan économique et social. Le PIB par tête, le taux de chômage et le taux d'inflation montrent que l'Algérie a réalisé des avancées très positives au cours des dernières années.

En revanche, les Algériens n'ont pas changé : ils restent des frondeurs qui en veulent toujours plus, et ils ont bien raison. Ils ont donc saisi l'occasion du « printemps arabe » pour sortir plus souvent, parfois en faisant plus de bruit, mais la qualité des rapports entre le Gouvernement et la population a permis de traiter les doléances en apportant, le plus souvent, des solutions raisonnables et consensuelles, même s'il y a un coût budgétaire qu'il faudra assumer.

Selon nous, l'UPM présente une valeur ajoutée par rapport au processus de Barcelone que l'on peut résumer à la question suivante : comment faire de l'UPM une somme de projets concrets et opérationnels permettant de prendre en charge de manière plus économique et plus efficiente des demandes qui peuvent venir de chacun des pays concernés ?

Depuis 2008, nous n'avons pas eu l'impression de passer du domaine des idées à des projets concrets qui seraient en cours de développement. Pour sa part, l'Algérie apportera son appui à tout projet s'inscrivant dans une dynamique de résultats et d'efforts conjointement réalisés par les États, les opérateurs économiques et, dans certains cas, la société civile – je pense en particulier à la question de la formation. Nous sommes désireux de voir l'UPM avancer sur cette voie. En revanche, si elle s'engage dans les questions politiques en se dotant d'un secrétariat qui ne serait pas technique, économique ou opérationnel, elle en souffrira –c'est malheureusement le cas aujourd'hui. J'espère que les premiers projets vont naître en 2012 grâce à la nomination d'un nouveau secrétaire général, de nationalité marocaine, que nous avons soutenue, et grâce à l'expérience acquise au cours des dernières années. De toute façon, il n'y a pas d'autre choix possible pour les Méditerranéens que nous sommes. Nous n'avons pas d'autre salut que de travailler ensemble, mais il faut poser les règles du jeu et faire en sorte que la discipline soit consensuelle. C'est pourquoi nous croyons en une UPM revue et corrigée, et éventuellement boostée par une nouvelle conférence.

La Syrie est une source de préoccupation majeure pour les pays arabes et pour tous ceux qui s'intéressent à la situation de ce grand pays dont la profondeur historique est exceptionnelle et qui se trouve aujourd'hui – j'utilise des termes prudents – dans une situation de pré-guerre civile. La Ligue arabe a très rapidement porté une initiative appuyée par la communauté internationale malgré les difficultés et même si c'est parfois du bout des lèvres. Je profite de cette audition pour demander à nos amis français de continuer à nous aider à faire en sorte que cette initiative atteigne un point de non-retour. Pour aller dans cette direction, nous aurons aussi besoin que les Syriens eux-mêmes nous aident – je veux bien l'admettre.

Membre du comité ministériel chargé de promouvoir l'initiative de la Ligue arabe, l'Algérie s'efforcer d'exercer, d'une main, une pression positive sur les autorités, et de tendre l'autre main au gouvernement et à l'opposition pour créer les conditions d'un dialogue en dehors duquel nous sommes persuadés que la transition, attendue par les uns et par les autres, ne pourra pas avoir lieu. Nous essayons donc de donner autant de chances que possible à cette initiative arabe dont les principes sont l'arrêt des violences, la libération des détenus, l'ouverture d'un dialogue et une meilleure connaissance de ce qui se passe sur le terrain.

Ce dernier objectif est particulièrement important, car il nous semble que les informations en provenance de la Syrie ne sont pas toujours frappées du sceau de l'objectivité. Nous avons besoin qu'une commission, composée de représentants des États de la Ligue arabe ou de leurs sociétés civiles, se rende sur le terrain pour procéder à des vérifications et restituer l'information afin de nous permettre d'intervenir plus efficacement en faveur de la préservation des vies humaines. Le bilan augmente chaque jour, même si nous ignorons quelle est la part des civils, notamment les enfants, eux aussi touchés en grand nombre alors qu'ils ne sont pas parties au conflit, et celle des membres des forces de sécurité. Nous espérons parvenir à éviter l'internationalisation du conflit et les solutions extrêmes à l'oeuvre dans d'autres pays.

M. Guéant aurait proposé une baisse de l'immigration légale de 10 % à son homologue algérien : merci, monsieur Vauzelle, de cette information que j'essaierai d'utiliser au mieux. De mon côté, je peux vous dire qu'il n'est pas interdit de se fixer des objectifs. Celui de la réduction de l'immigration peut ne pas être porté seulement par l'Europe ou par la France, mais aussi par l'Algérie, surtout quand il s'agit de personnes que nous formons à grands frais et qui nous quittent trop souvent par la suite.

Je concède, monsieur Luca, que nous devons accorder toute notre attention, et même plus que cela, à la question des rapatriés et à la situation des cimetières en Algérie. Sur ce point, des efforts sont déjà réalisés, même s'ils ne sont pas suffisants. C'est une question de dignité et peut-être même un aspect central pour la mémoire. Comme tout ce que nous pourrons faire, d'un côté comme de l'autre, pour la dignité des êtres chers qui nous ont quittés sera toujours insuffisant, nous devons continuer notre travail.

Comme tous les anniversaires, celui des cinquante ans de notre indépendance sera l'occasion de former des voeux. Cela étant, je ne peux pas affirmer que des décisions seront prises le 5 juillet prochain : ce n'est pas ce que l'on attend d'un anniversaire, qui est plutôt l'occasion de faire un bilan. En quoi avons-nous fauté ? Dans quelle mesure avons-nous bien fait ? Comment nous améliorer ? Toutes les directions que vous avez indiquées sont à explorer, sans exception. Pourquoi ne pas envisager, par exemple, la question du droit de vote s'il existe une réciprocité ? Nos pays évoluent à une vitesse parfois surprenante, comme en témoigne le « printemps arabe », et il n'y a pas de limite à la pensée, ni à l'action, si nous adoptons progressivement une même acception de la démocratie.

Quant au statut de partenaire avancé, je répondrai là aussi : pourquoi pas ? Si l'Algérie n'a pas encore adhéré à la politique européenne de voisinage (PEV), c'est parce qu'elle n'avait pas bien compris qu'on pouvait être un pays associé sans être concerné par cette politique. D'autres pays se sont trouvés dans le même cas et le fait est que la PEV a été rénovée. Elle nous paraît désormais plus sympathique, plus claire et plus souple. Je peux donc vous annoncer que nous avons décidé d'entamer des négociations exploratoires pour adhérer à cette politique. Si nous avançons sur cette voie, pourquoi ne pas passer aussi au statut de partenaire avancé ? Je crois que l'Algérie en a les moyens et qu'elle n'a pas vocation à se singulariser systématiquement en reculant ou en se marginalisant : compte tenu de son importance, elle doit, au contraire, aller de l'avant avec les autres pays, en partageant les profits.

En ce qui concerne le peuple sahraoui, nous n'avons jamais cessé de souhaiter qu'il bénéficie du droit à l'autodétermination. Il n'en demeure pas moins que c'est la communauté internationale qui gère le dossier, et non l'Algérie. Nous avons certes plus intérêt que d'autres pays à voir le problème réglé, mais il ne nous revient pas nécessairement d'être les premiers à alimenter la machine, même si les « conditions d'ambiance » font partie des objectifs de Christopher Ross. A cet égard, je rappelle que nous avons développé une coopération bilatérale avec le Maroc dans des secteurs très sensibles, en particulier pour les populations concernées, et que nous sommes convenus de continuer dans la même direction.

S'agissant de l'UPM et du développement africain, nous devons assurer, dans les deux cas, la rencontre entre des projets transversaux concernant l'Europe, la Méditerranée et l'Afrique. Pour sa part, l'Algérie porte plusieurs projets pour lesquels elle n'a pas attendu la création de l'UPM. Nous avons ainsi terminé la partie de la Transsaharienne qui nous concerne et nous avons aidé nos amis du Niger et du Mali à réaliser une partie des travaux dans leur pays. Les efforts étant achevés au Niger, entre 85 et 90 % de la transsaharienne sont aujourd'hui utilisables, la jonction avec l'Europe se faisant grâce à un port réalisé par l'Algérie, à Djen Djen. Tous les spécialistes reconnaissent que le transport de marchandises entre l'Europe et l'Afrique trouvera là le meilleur des débouchés. Le gazoduc qui doit relier le Nigéria à l'Europe, en traversant le Niger, est un second projet, porté de concert avec les Européens. Plus généralement, je rappelle que nous avons tracé les principales étapes de la jonction entre l'Europe, la Méditerranée et l'Afrique dans le cadre du NEPAD, le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique : nous devons travailler de manière solidaire avec le continent européen et la Méditerranée, tout en impulsant un mouvement plus franc d'intégration au plan continental.

Pour ce qui est de la Libye, le président Abdeljalil viendra probablement en Algérie avant la fin de l'année. Nos contacts avec les ministres libyens et avec le président Abdeljalil, que j'ai rencontré à Paris puis à New York, sont très encourageants. Du reste, l'Algérie et la Libye n'ont pas d'autre choix que de travailler ensemble et de renforcer leur solidarité. La situation demeure, en effet, très préoccupante, même si la page de Kadhafi est tournée : il faut veiller à préserver l'unité, mettre en place des institutions républicaines et reconstruire le pays. A cet égard, la Libye a des atouts financiers, mais il faudra l'aider au plan humain. Ce pays nous est très cher, comme à vous, il présente une dimension historique remarquable, et sa nouvelle vocation républicaine devrait donner des chances supplémentaires à l'UMA, l'Union du Maghreb arabe – cela pourrait être un effet insoupçonné du « printemps arabe ».

Quant aux Sahraouis présents à Tindouf, ils vont aussi bien que possible dans cette situation. L'Algérie aide beaucoup les Sahraouis, mais elle n'est pas seule à agir : tous ceux qui travaillent sur ce dossier, en particulier de nombreuses associations françaises, méritent notre considération.

L'histoire est effectivement en perpétuel mouvement, monsieur Bacquet, mais je crois m'être suffisamment exprimé sur la question des « harkis » en répondant à la question de M. Luca.

Comme à l'accoutumée, l'esprit dans lequel M. de Charette m'a posé ses questions l'honore. L'année 2012 sera importante, et nous allons faire en sorte qu'elle nous permette d'avancer ensemble – j'en parlerai tout à l'heure avec M. Juppé. Nous préparons un programme qui débutera le 5 juillet, dans un esprit qui n'est pas revanchard : ce sera plutôt l'occasion de nous évaluer nous-mêmes. Nous devrons non seulement veiller à ce que la dimension historique de ce mouvement révolutionnaire qu'a été la révolution algérienne n'échappe pas aux générations montantes, mais aussi adresser un message d'amitié et de coopération. Nous élaborons donc un programme sans tambour ni trompette, mais serein. Il me semble que nous devons nous demander, en France comme en Algérie, si nous ne pouvons pas essayer de faire avancer un certain nombre de projets pour marquer cet anniversaire. J'ai quelques idées que je soumettrai à M. Juppé.

Dans ce domaine très complexe qu'est l'économie, certaines dispositions peuvent sembler en contradiction avec l'objectif général. C'est en partie lié au fait que la communication n'a pas été suffisante. Cela étant, les investissements directs étrangers sont presque symboliques dans notre pays, compte tenu de son potentiel : on ne peut donc pas dire que les nouvelles mesures adoptées à l'occasion de la loi de finances complémentaire de 2009 ont freiné un flux. Par ailleurs, si ces dispositions ont pu être mal comprises, c'est moins le cas aujourd'hui. Je rappelle que nous discutons sur cette base avec Renault et de nombreuses autres entreprises européennes.

Pour autant, nous sommes conscients que rien n'est jamais acquis dans le domaine économique, comme dans le domaine politique : nous devons sans cesse nous évaluer et changer si nécessaire. C'est pourquoi les réformes concernent aussi le secteur des affaires, qui fait l'objet d'un groupe de travail. Le Gouvernement, les opérateurs économiques et les syndicats travaillent en ce moment à l'amélioration du climat des affaires, car nous savons que la bureaucratie est trop lourde : nous devons réaliser un effort de simplification pour exploiter tous nos atouts. On pourrait se demander si cette situation n'est pas liée à l'héritage colonial, mais c'est peut-être un argument un peu facile.

Monsieur Christ, les questions de sécurité au Sahel, notamment celles qui concernent les armes et les extrémismes dits religieux, nous préoccupent beaucoup. Si certains phénomènes sont plus visibles et plus audibles aujourd'hui, ils existaient déjà avant les événements qui ont eu lieu en Libye. Cela fait deux ans que nous travaillons avec les « pays du champ » : nous avons réussi à développer un certain nombre de synergies avec eux depuis la première conférence des ministres des affaires étrangères, qui s'est déroulée en mars 2010. Nous avons ainsi créé un centre d'état major conjoint, qui est opérationnel et dont la présidence tourne chaque année. C'est la preuve que nous pouvons nous approprier la question de sécurité de la zone dans le cadre des « pays du champ », mais cela ne signifie pas, pour autant, que nous sommes en mesure de régler seuls tous les problèmes. Sur ce point, la conférence organisée en septembre dernier à Alger a permis de poser les jalons d'un partenariat très sérieux avec les pays européens, notamment la France, et avec les Etats-Unis. Nous avons, en effet, des besoins en matière de formation, d'équipements spécialisés et de renseignement, domaine dans lequel un travail commun s'impose. Après la conférence d'Alger, qui a permis de dégager un consensus sur ces sujets, deux autres réunions ont été organisées, d'abord à Washington puis à Bruxelles, aujourd'hui même. Nous sommes donc en train de transformer en cadre opérationnel de coopération les intentions formulées au mois de septembre.

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