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Intervention de Catherine Vidal

Réunion du 8 novembre 2011 à 16h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l'Institut Pasteur :

Je suis très honorée de cette occasion qui m'est donnée de débattre avec vous de cette question qui nous taraude tous : le cerveau a-t-il un sexe ?

Les découvertes sur le cerveau ont commencé au XIXe siècle lorsque les médecins ont essayé de comprendre les relations entre l'intelligence et la taille et le poids du cerveau : c'était la grande époque de la crâniométrie et il paraissait naturel que le cerveau des hommes soit plus gros que celui les femmes, celui des blancs plus gros que celui des noirs, celui des patrons plus gros que celui des ouvriers. Le neurologue Paul Broca a défendu ces thèses après avoir pesé et mesuré de nombreux cerveaux. Ses expériences ont montré que le cerveau des hommes pesait en moyenne 1,350 kg et celui des femmes 1,200 kg, soit une différence de 150 g. Il a déclaré : « Nous nous sommes demandés si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse de son corps, pourtant il ne faut pas perdre de vue que la femme est un peu moins intelligente que l'homme ».

La relation entre la taille du cerveau et l'intelligence est totalement vaine car il n'existe aucun rapport entre eux. Nous le savions déjà au XIXe siècle grâce à quelques hommes célèbres qui ont donné leur cerveau à la science, ce qui a permis de constater que le cerveau d'Anatole France pesait 1 kg, celui de Tourgueniev 2 kg et celui d'Einstein 1,250 kg – soit le même poids que le cerveau des femmes ! De fait, en matière de cerveau, ce n'est pas la quantité qui importe mais la qualité des connexions entre les neurones.

Venons-en à des considérations plus scientifiques. C'est très tôt au cours de la vie utérine que s'effectue ce que l'on appelle la sexualisation du cerveau, lorsque la fabrication des organes sexuels – ovaire et testicules – libère des hormones qui, passant dans le sang du foetus, vont imprégner son cerveau. La région du cerveau la plus sensible aux hormones sexuelles est l'hypothalamus, qui se situe à la base du cerveau près de la glande hypophyse. Chez les femmes, on constate une activité périodique des neurones de l'hypothalamus au moment du déclenchement de l'ovulation, cette activité étant naturellement inexistante dans le cerveau des hommes. Il existe donc des différences cérébrales entre les deux sexes pour tout ce qui concerne les fonctions liées à la physiologie de la reproduction.

En ce qui concerne les différences entre les sexes dans les fonctions cognitives - l'attention, la mémoire, le raisonnement –, les idées reçues sont encore fréquentes.

La première est que les femmes seraient multitâches, douées pour faire plusieurs choses à la fois, la communication entre les deux hémisphères de leur cerveau étant plus développée chez elles que chez les hommes. Cette thèse est née d'une expérience publiée en 1982 : réalisée sur 20 cerveaux conservés dans du formol, elle a montré que la région du corps calleux – il s'agit du faisceau de fibres qui relie les deux hémisphères – est plus épaisse chez les femmes que chez les hommes. Mais depuis, l'exploration du cerveau a beaucoup évolué grâce à l'imagerie par résonance magnétique (IRM), qui permet d'étudier des cerveaux vivants et non plus uniquement ceux conservés dans le formol. L'observation par IRM du corps calleux montre qu'il n'existe aucune différence entre le cerveau des femmes et celui des hommes.

Autre idée reçue : les femmes seraient plus douées pour le langage que les hommes parce qu'elles activent pour cette activité leurs deux hémisphères. Un test de langage réalisé sur 20 sujets par IRM en a fait la démonstration en 1995. L'observation était intéressante pour les scientifiques et plusieurs équipes de recherche ont tenté de reproduire ce résultat. Mais depuis, on a réalisé une méta-analyse rassemblant toutes les expériences publiées entre 1995 et 2009 sur le langage, avec un échantillon de 2 000 femmes et hommes. Celle-ci a montré qu'il n'existe aucune différence significative entre les sexes dans la répartition des aires du langage. Cette méta-analyse montre que lorsqu' un grand nombre de sujet est analysé, les différences qui avaient pu être mises en évidence sur un petit nombre de sujets se trouvent gommées.

Au cours d'une autre expérience, on a demandé à des sujets d'effectuer un calcul mental. Tous ont obtenu les mêmes scores et dans le même temps. L'observation par IRM a montré que dans le groupe des femmes, certaines avaient activé les régions antérieures de leur cerveau, d'autres les régions postérieures. Cette variabilité se retrouvait également dans le groupe des hommes. Il s'avère que pour arriver à un même résultat, chaque individu a sa propre façon d'activer son cerveau, ce qui correspond à autant de stratégies différentes. Cette variabilité entre les individus d'un même sexe égale ou dépasse la variabilité existant entre les sexes.

Il existe une autre variabilité bien connue des neurologues, celle de l'anatomie du cerveau. La morphologie du cerveau diffère d'un individu à l'autre qu'il s'agisse de ses circonvolutions – les sillons du cortex cérébral – ou des cheminements empruntés par les vaisseaux sanguins qui entourent le cerveau. En bref, nous avons tous des cerveaux différents, indépendamment du sexe.

D'où vient une telle variabilité ? Notre cerveau est constitué de 100 milliards de neurones, reliés entre eux par un million de milliards de connexions, mais seulement 6 000 gènes s'expriment dans notre cerveau : ils ne sont donc pas suffisamment nombreux pour contrôler de façon détaillée la fabrication de milliards de synapses. Les gènes jouent un rôle très important lors du développement du cerveau et de la formation des hémisphères, du cervelet et du tronc cérébral. Ces gènes de développement sont indépendants des chromosomes sexuels X et Y, ce qui veut dire que la fabrication du cerveau n'est pas sexuée.

Le bébé humain, à sa naissance, possède 100 milliards de neurones, qui cessent dès lors de se multiplier. Des coupes très fines d'un cortex cérébral, réalisées chez un enfant à sa naissance, puis à un mois, trois mois, six mois, 15 mois et 24 mois, montrent que la densité des neurones ne change pas. Ce qui change, et de façon flagrante, ce sont les ramifications entre les neurones qui témoignent de la fabrication des connexions. On considère que dans le cortex cérébral humain un neurone est connecté à 10 000 autres – un cerveau est donc plus complexe qu'un ordinateur… Or 90 % de ces synapses se forment après la naissance. C'est donc sur la fabrication de ces connexions que l'environnement et l'apprentissage jouent un rôle très important. Pour décrire la façon dont le cerveau se construit en fonction de l'expérience vécue, on utilise le terme de plasticité cérébrale.

La plasticité cérébrale, si elle est flagrante chez les enfants, existe aussi chez les adultes. Je vais vous en présenter quelques exemples.

Dans le but de rechercher si une pratique intensive laisse des traces dans le cerveau, des chercheurs ont étudié un échantillon de pianistes professionnels. Leur étude a permis d'observer la présence d'un épaississement du cortex cérébral dans les régions qui contrôlent la coordination des doigts et l'audition. Ce phénomène d'épaississement, dû à la fabrication de connexions supplémentaires, est proportionnel au temps consacré à l'apprentissage du piano pendant l'enfance.

Dans une autre étude, on a demandé à des étudiants d'apprendre à jongler avec trois balles. Lorsqu'ils y parviennent, après trois mois d'entraînement, on observe à nouveau ce phénomène d'épaississement dans les régions qui contrôlent la coordination motrice des bras et la vision. S'ils cessent de s'entraîner, les régions épaissies rétrécissent. Cela montre que les changements d'épaisseur du cortex peuvent être réversibles dès lors que la fonction n'est plus sollicitée. La même expérience menée chez des personnes de 60 ans a donné le même résultat, ce qui montre bien que la plasticité cérébrale persiste avec l'âge.

Je voudrais à présent évoquer l'exemple exceptionnel de cet homme de 44 ans, marié, père de deux enfants, qui menait une vie professionnelle normale. Un jour, il s'est rendu en consultation à l'hôpital de la Timone, à Marseille, pour une légère faiblesse de la jambe. L'examen par IRM a montré que son crâne était essentiellement rempli de liquide céphalorachidien, et que son cerveau était réduit à une mince couche collée sur les parois crâniennes. Il s'avère que ce patient souffrait à sa naissance d'hydrocéphalie. On lui a donc posé un drain à la base du crâne pour évacuer le liquide en excès., Or le drain s'est bouché et la pression du liquide a progressivement refoulé le cerveau contre les parois du crâne, sans pour autant entraîner la moindre gêne pour cet homme, qui ne s'est jamais douté de rien. Et l'on peut supposer que la faiblesse de sa jambe n'était pas forcément due à la malformation de son cerveau.

Ce très bel exemple de plasticité cérébrale, qui n'est pas unique, met l'accent sur une question fondamentale en neurobiologie qui est celle de la nature des relations entre la structure du cerveau et son fonctionnement. Nous sommes encore loin de comprendre comment le cerveau de cette personne peut assurer les mêmes fonctions qu'un cerveau normal.

La plasticité cérébrale fait que le cerveau se remanie en fonction des expériences vécues à tous les âges de la vie. Elle doit être prise en compte dans l'interprétation des clichés d'IRM. On peut constater des différences entre le cerveau d'un homme et celui d'une femme, mais cela ne veut pas dire qu'elles sont présentes depuis la naissance, ni qu'elles resteront inscrites dans le cerveau. La découverte de la plasticité cérébrale permet de mieux comprendre l'influence de l'environnement social et culturel sur la façon dont se forgent nos identités de femmes et d'hommes.

Le bébé humain, à sa naissance, ne connaît pas son sexe. Très tôt, le jeune enfant peut distinguer le féminin du masculin à travers la voix et l'attitude des adultes, mais ce n'est qu'à 2 ans et demi qu'il est capable de s'identifier au genre féminin ou masculin. Or l'enfant évolue depuis sa naissance dans un environnement sexué – ses habits, ses jouets, la décoration de sa chambre – sans oublier que les adultes adoptent une attitude différente avec les bébés selon qu'il s'agit d'une fille ou d'un garçon. C'est l'interaction de l'enfant avec son environnement qui va contribuer à forger son identité en fonction des normes du féminin et du masculin données par la société.

Venons-en aux idées reçues sur les différences d'aptitudes cognitives entre les sexes. Les hommes sont réputés supérieurs pour se représenter un objet dans les trois dimensions de l'espace, tandis que les femmes obtiennent de meilleurs résultats dans les tests de langage comme la fluence verbale où il s'agit d'énoncer un maximum de mots commençant par la même lettre . Compte tenu de la plasticité cérébrale, si l'on constate des différences de performances entre les sexes, cela ne veut pas de dire qu'elles sont innées. En l'occurrence, elles ne sont détectées qu'à partir de l'adolescence et disparaissent avec l'apprentissage : si on fait passer les tests,pendant une semaine, on voit les scores s'égaliser, ce qui prouve l'influence de l'éducation et de la culture dans les différences de scores entre femmes et hommes.

Le contexte dans lequel se passent les tests est aussi très important. Prenons l'exemple du test de rotation mentale en trois dimensions – les candidats doivent reconnaître deux figures identiques –soumis à des élèves dans une classe. Si avant le test, le professeur le présente comme un test de géométrie, les garçons ont de meilleurs scores que les filles. Si en revanche il annonce qu'il s'agit d'un test de dessin, les filles sont meilleures que les garçons. . Ce résultat montre l'influence des stéréotypes sur les performances. Les filles ont peu confiance en elles face aux tests de mathématiques : on leur a tellement dit qu'elles n'étaient pas douées pour cette matière qu'elles l'ont intériorisé de façon inconsciente.

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