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Intervention de Bernard Bigot

Réunion du 7 décembre 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Bernard Bigot, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives :

Je me présente en effet devant vous, mesdames, messieurs les députés, sur la sollicitation du Président de la République, dans la perspective du renouvellement de mon mandat actuel. Ce mandat a débuté le 9 janvier 2009 après que j'ai exercé la fonction de Haut-commissaire à l'énergie atomique pendant cinq ans et demi. Ces deux fonctions sont clairement distinctes. L'une est une mission de conseil auprès de l'administrateur général du CEA, et plus largement de la Présidence de la République et du Gouvernement, en tant que haute autorité scientifique indépendante, notamment dans les domaines nucléaires civils et militaires, en vue de garantir la pertinence à long terme des choix stratégiques scientifiques et technologiques du pays dans tous les domaines de compétences du CEA. L'autre fonction, celle que j'assume depuis trois ans, consiste à diriger, avec ce que cela implique de responsabilité managériale lourde, le CEA, établissement public de recherche à caractère industriel et commercial regroupant 16 000 personnes – principalement des chercheurs, ingénieurs, techniciens et chefs de projet, tous aux compétences très élevées.

Le CEA doit réunir, puis gérer avec toute l'efficacité et la rigueur souhaitées par l'État, un budget de quelque 4,3 milliards d'euros par an. C'est un opérateur nucléaire, civil et militaire, par ailleurs chargé de représentation et de mission dans ces domaines, dans des instances nationales et internationales. Au-delà du champ nucléaire, il a aussi pour mission de créer de la valeur économique et de développer l'emploi qualifié sur le territoire national et européen par l'innovation technologique et le transfert vers la sphère industrielle et les services.

Mon activité de base est celle d'un professeur des universités, spécialiste de physico-chimie, affecté à l'École normale supérieure de Lyon depuis quarante-deux ans interrompus par plusieurs périodes de détachement dans d'autres institutions de recherche et d'enseignement supérieur françaises et étrangères. J'ai ainsi été assistant professeur dans deux universités péruviennes et américaines, chef de la mission scientifique et technique, puis directeur général de la recherche et de la technologie au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Enfin, j'ai assumé deux fonctions en relation avec le CEA, que je viens de décrire, après avoir été directeur de cabinet de la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, Mme Claudie Haigneré.

Je suis très honoré de la confiance du Président de la République et du Gouvernement, qui me proposent de poursuivre mon mandat à la tête du CEA. Je l'accepte si je puis être encore utile à la recherche et à l'innovation au service de notre pays et, de manière plus précise, au CEA dans l'accomplissement de ses difficiles missions dans ces domaines. Je me tiens à votre disposition pour détailler mon bilan et le programme d'activités que nous prévoyons de conduire au cours des prochaines années, notamment dans le cadre du contrat d'objectifs et de performance passé par l'État et le CEA sur la période 2010-2013 au titre de ses activités civiles – ce contrat a été signé le 8 mars 2011 par cinq ministres – et dans le cadre de la loi de programmation militaire 2008-2013.

Le CEA est un acteur clef majeur de la recherche scientifique et de l'innovation technologique en Europe dans cinq grands domaines de compétences : l'énergie – l'énergie nucléaire depuis 1945, ainsi que les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique dans une vision politique énergétique globale – ; la défense ; la sécurité, en particulier la prévention des menaces terroristes ; les technologies pour l'information et les technologies pour la santé, le tout s'appuyant sur un socle de recherches fondamentales d'excellence en relation avec ces objectifs technologiques et incluant la conception, la construction et l'exploitation des très grandes infrastructures et plateformes de recherche pour repousser, avec nos partenaires de la communauté scientifique nationale et internationale, les frontières des connaissances relatives aux lois fondamentales de la matière et de la vie.

En 2010-2011, le CEA représente dix centres de recherche en France – cinq centres d'étude civils et cinq centres d'étude pour les applications militaires – qui sont, par ordre de grandeur : Saclay – plus de 6 000 personnes, dont 4 200 salariés du CEA –, Cadarache – environ 6 000 personnes également –, Marcoule – 5 000 personnes –, Grenoble, Bruyères-le-Châtel ; Fontenay-aux-Roses ; Valduc ; Cesta ; Le Ripault et Gramat. Près de 16 000 personnes sont ainsi employées – environ 11 250 sur des programmes civils et 4 750 sur des programmes de défense. Le budget du CEA est de 4,3 milliards d'euros, dont 2,4 milliards pour les programmes civils et 1,9 milliard pour la défense. En outre, le CEA est le premier organisme public déposant de brevets en Europe. Avec 615 brevets déposés l'année dernière, toutes catégories confondues, il occupe la troisième place en France, après les deux grands constructeurs automobiles. Le CEA, c'est aussi une production scientifique abondante – plus de 4 200 publications – et 136 créations d'entreprise depuis 1984 dans les différents secteurs technologiques et innovants, à un rythme de quatre par an.

Les missions extrêmement importantes relevant de la défense et de la sécurité globale du pays, qui imposent un très haut niveau de compétences scientifiques et techniques, nous sont confiées directement par le Président de la République et le Premier ministre dans le cadre du conseil de défense et par le Parlement au travers des lois de programmation militaire dont l'exécution détaillée est suivie tous les mois par un comité mixte composé de représentants du ministère de la défense, de la Direction générale de l'armement et du CEA. Je ne crois pas nécessaire de détailler les résultats obtenus par les 4 750 personnes travaillant sur des programmes de défense, sachant que 75 % du budget de la direction des applications militaires du CEA sont en fait des contrats industriels qui servent à dynamiser le tissu industriel national et que des opérations remarquables ont été accomplies ces trois dernières années. Je pense en particulier à la première garantie au monde d'une arme nucléaire sans essais associés, uniquement sur la base de la simulation, avec le développement de très grands calculateurs. Le CEA a en effet contribué, avec l'entreprise Bull, à crédibiliser le calculateur Tera 100, dont la capacité de calcul est de plus d'un million de milliards d'opérations par seconde. Il faut également souligner l'état d'avancement satisfaisant du grand programme du laser mégajoule à Bordeaux, qui devrait délivrer ses premiers faisceaux en 2014.

Les activités civiles m'ont été clairement notifiées dans les attendus de la puissance publique au travers d'une lettre de mission de mars 2009, signée par les deux ministres de tutelle – à l'époque Mme Pécresse et M. Borloo –, qui portait sur le développement en France de la base technologique de filières industrielles performantes dans les énergies nouvelles et la contribution active au développement de l'énergie nucléaire civile dans les pays partenaires dans les meilleures conditions de sûreté. Le Président de la République m'a ainsi demandé, dans le cadre d'un partenariat global avec la Chine, de promouvoir les propositions françaises articulées sur toute la chaîne, depuis la mine jusqu'à la gestion des déchets, dont les deux points les plus marquants sont la perspective de livraison à la Chine, à l'horizon 2020, d'une usine de retraitement et de recyclage des combustibles usés – nous sommes dans une phase active de ce contrat qui nécessite un accord intergouvernemental encadrant les conditions de la livraison de cette réplication de l'usine de La Hague actualisée, sans aucune séparation du plutonium – et le développement, en association avec CGNPC, un grand électricien chinois, d'un réacteur de 1 000 mégawatts – MW – qui serait donc une coproduction franco-chinoise.

La Présidence de la République m'a également chargé de faire avancer le projet de la fourniture de quatre réacteurs EPR en Inde, sur le site de Jaïtapur. L'Inde venant de reconnaître le cadre réglementaire de responsabilité civile nucléaire, étape indispensable pour un accord avec la France, toutes les conditions sont maintenant réunies pour que nous puissions espérer voir ce contrat se finaliser en juin 2012.

Au-delà du présent et de l'avenir proche, nous devons aussi nous préoccuper de l'avenir lointain du nucléaire. Le CEA a donc été chargé des travaux sur le nucléaire de quatrième génération avec le développement des réacteurs à neutrons rapides. Le Parlement lui a notamment confié la responsabilité de proposer, à l'horizon 2020, un prototype industriel démonstrateur de la filière des réacteurs à neutrons rapides isogénérateurs qui seront capables de consommer le plutonium et, surtout, de mieux valoriser l'uranium naturel et l'uranium appauvri sur notre sol. La mise au point de cette technologie nous assurerait des milliers d'années de production électrique avec des ressources purement domestiques, à savoir matérielles et intellectuelles.

Par ailleurs, une recherche technologique porteuse d'innovations dans les secteurs industriels faisant appel aux technologies de l'information et de la santé se développe en particulier avec la mise en place du plan nanotechnologies qui repose sur trois piliers essentiels. À Saclay, un bâtiment Nano-INNOV regroupera les acteurs du CEA, du CNRS, de l'université et des entreprises. Le CEA a fait ce qui lui a été demandé puisque les personnels entrent dans ce bâtiment depuis le début du mois d'octobre. Par ailleurs, une recherche fondamentale d'excellence en sciences de la matière et en sciences de la vie est maintenue.

Nous avons réalisé un effort particulier dans le domaine du développement des énergies renouvelables. La France est lourdement pénalisée par le fait qu'elle ne possède plus de ressources domestiques fossiles. En 2005, elle a dû importer pour 23 milliards d'euros de produits pétroliers et gaziers, ce qui représentait environ 10 % des revenus qu'elle tirait de l'exportation, mais l'année dernière ce chiffre était de 48 milliards, soit 25 % des revenus tirés de l'exportation, et cette année il s'élèvera sans doute à 65 milliards. En moins de six ans, notre dépense en la matière aura donc été multipliée par trois du simple fait du renchérissement du prix du baril sur le marché et de la variation des taux de change entre l'euro et le dollar. La première des priorités est donc, selon moi, de démontrer qu'il est techniquement faisable et économiquement viable de remplacer les énergies fossiles que nous consommons par les énergies renouvelables en assurant une meilleure efficacité énergétique.

Dans ce cadre, le CEA s'est fortement mobilisé sur trois axes, le premier étant le développement de l'énergie solaire avec la création de l'Institut national de l'énergie solaire. Aujourd'hui, plus de 300 salariés du CEA sont mobilisés sur ce programme localisé essentiellement à Chambéry et qui bénéficie d'un soutien très marqué des collectivités territoriales en termes d'investissement pour son infrastructure. L'énergie solaire repose à la fois sur le photovoltaïque et le solaire thermique. C'est donc un enjeu majeur et notre objectif est de tenir toute la chaîne, depuis la production des matériaux nécessaires – le silicium – jusqu'à la démonstration de panneaux particulièrement performants. Aujourd'hui, nous agissons en partenariat avec près de 200 entreprises, dont beaucoup de petites et moyennes entreprises. La France possède en effet un tissu de petites et moyennes entreprises extrêmement performantes dans ce domaine, qui sont capables de gagner des marchés. C'est le cas notamment en matière de purification du silicium : l'entreprise ECM Technologies vient d'emporter un contrat en Norvège et un autre extrêmement important au Kazakhstan. Elle a réalisé dix ventes de cette nature en Chine, où nous l'accompagnons, comme nous l'accompagnons au Kazakhstan. Le CEA est fédérateur d'un ensemble de petites et moyennes entreprises qui viennent de gagner un contrat de 200 millions d'euros, dont une centaine de millions pour ces petites et moyennes entreprises qui proviennent de Grenoble, de Montpellier, du nord de la Lorraine ou des pays de la Loire. Le CEA joue donc pleinement son rôle à cet égard et il accepte de prendre des risques. Avec l'entreprise d'ingénierie Alcen, nous expérimentons ainsi, sur le site de Cadarache, une production d'électricité par le système du miroir de Fresnel, qui permet de concentrer le rayon solaire sur un tube transportant un fluide caloporteur, dans la perspective de développer ce programme au Maroc.

Deuxième axe : nous devons ensuite faire des efforts en matière de stockage. Les énergies renouvelables étant diffuses et intermittentes, il est en effet primordial de disposer localement de moyens de stockage permettant d'utiliser l'électricité produite par le solaire ou l'éolien. Nous rejetons actuellement la production solaire sur le réseau parce qu'elle est inutilisable localement. Sans moyen permettant de lisser la production, celle-ci sera hachée par le moindre nuage, le moindre mouvement d'atmosphère. Notre stratégie consiste donc à développer le stockage de l'électricité pour l'habitat et pour le transport. Nous travaillons ainsi en partenariat avec un grand constructeur automobile pour essayer de développer une filière de production de véhicules électriques avec des batteries de conception française.

Le troisième axe sur lequel nous sommes mobilisés est celui de la transformation de la biomasse en biocarburants de synthèse. Le véhicule électrique peut se développer en France en raison des caractéristiques qui sont les nôtres. En effet, le nucléaire et les énergies renouvelables nous permettent de produire une électricité pratiquement sans dioxyde de carbone. Nous disposons, en outre, d'un parc automobile de près de 36 millions de véhicules, dont plus de 80 % sont immobilisés au moins vingt heures par jour et accomplissent moins de 100 kilomètres dans la journée. Il serait donc possible de recharger ces véhicules en mobilisant l'électricité disponible à un instant donné. Avec le nucléaire c'est la plus grande stabilité qui est recherchée alors que le renouvelable se caractérise par une grande intermittence et variation. Et la demande n'est pas corrélée avec l'un et l'autre. Nous pourrions stocker l'électricité dans le parc automobile qui serait soit électrique, soit hybride, en mettant de l'intelligence dans le réseau. Même si l'on fait cela, certains secteurs auront toujours besoin d'hydrocarbures. L'idée est donc d'utiliser la biomasse produite par la photosynthèse, de récupérer la biomasse non mobilisable à des fins alimentaires ou industrielles, en particulier les rémanents forestiers ou les déchets agricoles à condition que l'équilibre global soit préservé. Il y a en effet suffisamment de biomasse non utilisée aujourd'hui en France pour produire annuellement de l'ordre de 10 millions de tonnes d'équivalents pétrole, soit le seuil que l'on estime indispensable pour satisfaire les besoins du transport aérien, du transport maritime ou du transport routier lourd. L'idée est d'utiliser cette électricité disponible à un instant donné pour décomposer l'eau, produire l'hydrogène indispensable du point de vue de la stoechiométrie, c'est-à-dire la bonne proportion des différents composants, afin d'aboutir à la production d'un hydrocarbure hautement valorisable du type kérosène ou diesel. Notre stratégie d'ensemble dans le domaine de l'efficacité énergétique nous conduit aussi à nous pencher sur la récupération de la chaleur, à usage industriel ou domestique, et sur l'isolation des bâtiments – nous travaillons étroitement avec un ensemble d'entreprises dans ce domaine.

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