Monsieur le président, madame la présidente de la mission d'information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, éclairer sur la réalité de la prostitution aujourd'hui, interpeller sur sa légitimité dans une démocratie comme la nôtre, telle est l'ambition que s'est donnée la mission d'information sur la prostitution de l'Assemblée nationale.
J'ai déjà eu l'occasion de saluer votre travail, chère Danièle Bousquet, cher Guy Geoffroy, chers parlementaires qui avez participé à ce travail, et je me suis également exprimée sur cette question qui nous rassemble lorsque vous m'avez auditionnée le 30 mars 2011.
J'ai lu, vous l'imaginez, avec beaucoup d'intérêt votre rapport publié le 13 avril 2011. Ce rapport et ses recommandations contribueront à faire évoluer notre politique en matière de prostitution, comme le prévoit le troisième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes.
Je tiens à le rappeler ici solennellement, la prostitution est une négation de nos principes fondamentaux : celui de la dignité de la personne humaine, celui de l'égalité entre les femmes et les hommes, celui de la non-patrimonialité du corps humain qui s'oppose à ce que le corps humain soit traité comme un bien marchand.
Au regard de ces principes, quelle légitimité accorder dès lors à la prostitution dans notre société ? Nous le savons tous, meurtres, actes de torture, viols, agressions, humiliations sont le lot quotidien des personnes prostituées. Faut-il encore rappeler que les personnes prostituées sont principalement des femmes tandis que les clients sont pratiquement toujours des hommes ?
Je le réaffirme ici : la prostitution est une violence faite aux femmes, une violence de genre. J'ai déjà eu l'occasion de souligner que les violences faites aux femmes ne sont pas des faits divers, mais des faits majeurs parce qu'elles constituent des crimes. Je l'ai tout récemment encore rappelé à la presse, le 24 novembre, à l'occasion du lancement de la campagne 2011 de lutte contre les violences faites aux femmes. Je tiens d'ailleurs à remercier vivement tous les parlementaires qui ont accepté de porter le ruban blanc, symbole international depuis 1991 de la lutte contre les violences faites aux femmes. Ils auront ainsi témoigné de leur attachement à cette cause.
Comme vous le savez, le slogan de cette campagne est «Oser en parler », parce que parler des violences faites aux femmes est une nécessité absolue dans une démocratie. Le rapport de la mission s'inscrit dans ce même état d'esprit humaniste et féministe. Il contribue à lever le tabou de la prostitution pour nous aider à mieux réagir collectivement. En tant que ministre chargée des droits des femmes, je veux combattre avec toute mon énergie cette atteinte grave à la dignité humaine et à l'égalité entre les femmes et les hommes qu'est la prostitution.
Les médias se sont récemment fait l'écho de cette question – je pense aux dossiers consacrés en avril et encore tout récemment, fin novembre, aux débats sur la prostitution. Non, la prostitution n'est ni une activité professionnelle ni une activité « glamour », qui serait moderne ou socialement acceptable. La complaisance envers ce fléau ne peut que favoriser le développement de nouvelles formes de prostitution – celles des jeunes – et de nouveaux vecteurs – internet – moins visibles, donc plus difficiles à combattre.
Non, comme Armand Jung, Laurence Dumont ou d'autres, je ne crois pas à la prostitution libre ou choisie. La notion de consentement est pour moi, dans ce domaine, totalement inopérante. Il suffit, d'ailleurs, de confronter le discours de cette minorité de personnes, auto-désignées comme porte-parole des prostituées, avec la parole de celles qui se présentent comme anciennes professionnelles, pour que la réalité des souffrances vécues apparaisse, ce que Guy Geoffroy a très justement appelé leur « parcours de douleur ». Je vous renvoie également à l'admirable livre sur ce sujet de Jeanne Cordelier : La Dérobade.
C'est également pour toutes ces raisons que je suis fermement opposée à l'assistance sexuelle pour les personnes handicapées. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet, lors de mon audition en mars dernier, devant la mission parlementaire. Les « aidants sexuels » représenteraient une forme de prostitution professionnalisée et spécialisée. Cela ne peut que heurter profondément ma conception de la dignité de la personne humaine, celle de la personne handicapée, celle de la salariée au titre de services sexuels. Non, le corps de la femme n'est pas un objet devant répondre aux besoins prétendument irrépressibles de la sexualité masculine. Au nom de la dignité humaine, nous devons réaffirmer avec Danièle Bousquet et vous toutes et tous la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Cette position vise à protéger les droits fondamentaux des personnes prostituées et à décourager la prostitution.
Nous le savons tous, la prostitution a, depuis ces dernières années, un nouveau visage : elle est alimentée par la traite des êtres humains. Vous avez pratiquement tous rappelé ce chiffre : les femmes de nationalité étrangère représentent près de 90 % des femmes se prostituant dans l'espace public. La plupart sont sous la coupe de réseaux criminels organisés. Nous le savons, il n'est pas possible de combattre efficacement la prostitution sans combattre la traite des êtres humains. Les deux combats sont indissociablement liés, car la traite et la prostitution se nourrissent mutuellement. Ces combats sont l'affaire et la responsabilité de tous.
De quel arsenal juridique disposons-nous ? Notre cadre juridique est aujourd'hui axé sur la condamnation du proxénétisme, c'est-à-dire l'exploitation de la prostitution d'autrui, même avec son consentement. En revanche, l'activité prostitutionnelle en elle-mêmn'est pas interdite. Seules certaines de ses manifestations troublant l'ordre public sont sanctionnées – Philippe Goujon en a utilement rappelé le cadre. Face à l'ampleur du phénomène de la traite et du proxénétisme qui, par définition, n'a pas de frontières, et dépasse les frontières, il est urgent de renforcer la lutte en ce domaine et de garantir les droits fondamentaux des victimes de l'exploitation sexuelle. Plusieurs conventions internationales y engagent la France ; j'en citerai deux, que vous avez, vous aussi, rappelées à raison. Dans le cadre des Nations unies, la convention du 2 décembre 1949 a ouvert la voie pour qu'au fil des générations, on puisse construire des sociétés qui refusent l'asservissement de l'autre, donc la prostitution. Cette convention phare, que la France a ratifiée voilà plus de cinquante ans, réaffirme que « la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine… » Au niveau européen, le cadre juridique s'est récemment enrichi avec l'adoption, en avril dernier, par l'Union européenne, d'une nouvelle directive sur la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains. Cette directive prévoit notamment, dans son article 3, que « les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite des êtres humains ».