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Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 13 décembre 2011 à 15h00
Position abolitionniste de la france en matière de prostitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Danielle Bousquet, à qui je succède à la tribune, comme je remercie tous les collègues, sur tous les bancs de cette assemblée, qui ont participé aux travaux de notre mission d'information. Ceux-ci constituent déjà pour notre assemblée et constitueront dans un avenir proche pour notre pays une masse considérable de réflexions et d'éléments de mobilisation, à partir desquels il nous faut introduire davantage de responsabilité dans notre société.

« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. » C'est le préambule de la Constitution de 1946, repris dans celui de celle de 1958, qui le dit.

« La prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine. » Ces propos sont-ils tenus par des pudibonds ou des moralistes de tout poil, dont nous pourrions être et dont la réflexion n'aurait pu trouver d'autre terrain que celui, évident, de ce fameux « plus vieux métier du monde » ? Non : ces propos figurent, à la lettre, dans la Convention de l'ONU du 2 décembre 1949, ratifiée par la France en 1960. À quelques jours près, elle a soixante-deux ans, mais, déjà, à l'époque, elle soulignait ce lien ténu mais permanent qui unit la prostitution et la traite des êtres humains.

« Les convention ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. » Est-ce là une pétition de principe des pudibonds que j'évoquais ou une règle qu'ils voudraient imposer à la société française ? Non. C'est l'article 16-5 de notre code civil.

On le voit, dans notre pays, les choses ont déjà été dites, et elles doivent être considérées comme ayant déjà une forte valeur politique, qui vaut pour le passé, pour le présent et pour l'avenir.

Pourquoi, dès lors, ajouter, au terme de ce travail dont Danielle Bousquet a superbement rendu compte, cette proposition de résolution et, au-delà, une proposition de loi, comme elle et moi en avons l'intention ? C'est que la question de la prostitution, à propos de laquelle la France assumait et continue d'assumer sa position abolitionniste, pèse d'un poids de plus en plus lourd sur une société qui veut se masquer la réalité, qui a peur de l'affronter – ce que l'on peut comprendre –, et ce fléau risque d'autant plus de se développer que la précarité ne cesse de s'installer.

Tout au long de nos travaux, nous avons passé au crible de nos analyses, de nos constats et de nos réflexions toute une série de ce que l'on pourrait appeler des poncifs, des idées reçues, ces quasi-évidences dont on voudrait conclure qu'il ne sert à rien de prétendre changer les choses et que la prostitution fait bel et bien partie de la vie ordinaire de toute société. Au terme de nos travaux, nous avons la certitude, au contraire, que la prostitution n'est ni une fatalité ni un mal nécessaire.

Elle réduirait, paraît-il, le nombre de viols. Au contraire, il faut en convenir, mes chers collègues, il y a plus de viols dans les comtés du Nevada qui ont réglementé, donc autorisé, la prostitution que dans les autres comtés de cet État américain, qui, eux, ont une position abolitionniste. À l'inverse, le nombre de viols n'a pas augmenté en Suède, où a été mise en place en 1999 une politique responsabilisante, qui menace de sanction les clients de la prostitution. L'idée selon laquelle la prostitution empêche le viol est donc une idée reçue dramatique, contre laquelle il fallait s'élever.

Les prostituées seraient des assistantes sociales, à l'écoute d'hommes atteints d'un besoin irrépressible qu'il faudrait bien satisfaire et auquel elles répondraient. C'est l'une des prostituées que nous avons entendues qui nous a démontré le contraire. « S'il y a des assistantes sociales, nous a-t-elle dit, ce n'est pas pour rien. Nous ne sommes pas des assistantes sociales : notre corps est engagé, on ne se contente pas d'écouter. »

Les clients seraient dans la misère sexuelle. Plus des deux tiers d'entre eux, pourtant, vivent ou ont vécu en couple, et 50 % sont pères de famille. À partir de quand y a-t-il misère sexuelle ? Quelle est donc la définition précise de cette « misère sexuelle » ? Quelle est cette nécessité irrépressible de voir satisfait, moyennement finances, un besoin qui ne le serait pas moins ?

La prostitution serait librement choisie. Nous avons malheureusement la certitude du contraire, à l'issue de l'ensemble des échanges que nous avons eus, partout en Europe, avec des personnes qui ont été prostituées. Toutes nous disent quel fut leur parcours de souffrance, leur parcours de violence, leur parcours de douleur. Toutes restent marquées dans leur vie et leur personne, probablement jusqu'à la fin de leurs jours.

Autre preuve que l'idée d'un libre choix de la prostitution n'est qu'une idée reçue, Ulla, la célèbre prostituée lyonnaise qui prétendait, dans les années 1970, que se prostituer était le summum de la liberté, nous a fait savoir il y a quelque temps que, si nous l'avons crue à l'époque, nous avons été bien sots de le faire, car la quasi-totalité des personnes qui se prostituent y sont contraintes, soit par ceux qui les ont placées dans cette situation, soit par leurs conditions d'existence passées ou présentes.

Alors, oui, Danielle Bousquet a eu raison de le dire et je le réaffirme très tranquillement, sans faire oeuvre de moralisme bêtifiant mais avec toute la responsabilité de l'acteur public que chacun d'entre nous, représentant de la nation, est dans cet hémicycle : la non patrimonialité du corps humain est un principe fondamental de notre démocratie et de notre République. Elle signifie que l'on ne peut pas faire commerce du corps, ni pour le vendre, ni pour l'acheter, ni pour le louer. Je citerai, à cet égard, un client, disant de la prostitution : « C'est comme si on entrait dans un supermarché et qu'on choisissait sa marchandise. On lit l'étiquette, ça plaît ou ça ne plaît pas, on prend, ou on ne prend pas ».

Quant au principe de l'intégrité de la personne humaine, nous avons beaucoup travaillé, dans cette assemblée, sur les violences faites aux femmes. Eh bien, la prostitution est une violence de plus faite aux femmes, une violence de plus faite aux personnes prostituées. Toutes les personnes que nous avons rencontrées nous ont dit que la prostitution les a beaucoup abîmées, probablement pour le restant de leurs jours.

Et puis, il est un autre principe fondamental de notre République : l'égalité entre les sexes.

Alors oui, mes chers collègues, ce que nous proposons aujourd'hui, c'est tout d'abord de réaffirmer la position abolitionniste de notre pays. Même si le débat ne fait que s'ouvrir, on attend notre pays dans ses propres profondeurs, mais aussi en Europe.

Notre position sera déterminante pour qu'un débat à l'échelle européenne mette en cohérence la volonté affichée de tous les peuples et de tous les gouvernements de lutter contre la traite des êtres humains. Car, bien que la traite des êtres humains soit au coeur de 90 % de la prostitution, l'on considère trop souvent que ce sont là deux questions différentes.

Un monde sans prostitution, est-ce une utopie ? Mes chers collègues, j'ai la conviction que non.

Nos amis suédois, puis nos amis islandais et norvégiens ont fait ce parcours de réflexion, de sensibilisation et de conviction. Cela les a amenés à mettre en place non seulement un changement radical de l'optique sociétale mais également des mesures sur une base pénale assurée qui ont conduit à une profonde évolution et à de profondes modifications dans les comportements.

Il n'a pas fallu envoyer un seul Suédois en prison, il n'a pas fallu en condamner beaucoup à des peines d'amendes pour que la prostitution diminue de moitié dans ce pays, sans qu'il soit constaté, par ailleurs, un transfert vers les autres formes de la prostitution.

Mes chers collègues, madame la présidente, madame la ministre, avec cette proposition de résolution, c'est tout simplement la République que nous souhaitons réaffirmer.

La République qui nous dit que l'égalité entre les hommes et les femmes est le chemin obligé de notre avenir. La République qui nous dit que toutes les violences doivent être combattues, notamment les violences de genre et celles dont les femmes sont victimes, qui incluent bien évidemment la prostitution. La République qui nous dit que le corps humain et la personne humaine ne sont pas une valeur marchande, qu'ils sont au-dessus de toutes ces considérations.

En approuvant ce projet de résolution, non seulement nous aurons dit encore plus haut et encore plus fort ce que nous ne cessons de dire officiellement depuis plus de cinquante ans, mais nous aurons probablement marqué une étape importante de la responsabilisation de notre société et, au sein de cette société, de chacun de celles et de ceux qui ont à travailler ensemble pour un avenir plus lumineux, plus démocratique et plus républicain. (Applaudissements sur tous les bancs.)

(M. Marc Le Fur remplace Mme Catherine Vautrin au fauteuil de la présidence.)

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