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Intervention de Danielle Bousquet

Réunion du 13 décembre 2011 à 15h00
Position abolitionniste de la france en matière de prostitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Bousquet :

Madame la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, mes chers collègues, c'est avec une certaine fierté et aussi beaucoup d'émotion que je prends aujourd'hui la parole devant vous pour défendre cette proposition de résolution.

Il s'agit de réaffirmer que les principes de l'abolitionnisme, officiellement adoptés par la France, doivent être proclamés haut et fort, à une époque où la prostitution semble se banaliser en Europe.

Cette position est un préalable indispensable à l'adoption de mesures efficaces de lutte contre la traite de la personne humaine, le proxénétisme et les réseaux de prostitution, et contre le sexisme qui est encore largement présent dans nos sociétés.

Il était nécessaire de réaffirmer que nous voulons aller vers une société libérée de la prostitution, tout simplement parce que, depuis plusieurs années, la position de la France apparaissait comme floue sur la scène internationale, en particulier du fait de la loi relative à la sécurité intérieure qui, en 2003, avait instauré le délit de racolage passif, ce qui avait pour effet de transformer en délinquantes passibles d'une forte amende, voire de prison, les personnes prostituées et victimes de la traite des êtres humains.

Si nous revendiquons à nouveau aujourd'hui la France abolitionniste, c'est pour affirmer que notre pays refuse la réglementation de la prostitution, que nous voulons mettre l'accent sur la prévention de la prostitution et sur la réinsertion des personnes prostituées, et faire en sorte que rien ne fasse obstacle à une société libérée de la prostitution. C'est d'ailleurs l'ambition de la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ce refus initial de la France implique que toutes les règles de droit qui seraient susceptibles d'inciter à la prostitution disparaissent. Tout doit être mis en oeuvre pour proposer des alternatives crédibles à la prostitution, afin de rétablir la liberté de choix des personnes prostituées qui souhaitent cesser cette activité. Qui plus est, leurs droits fondamentaux doivent être garantis, quelle que soit leur situation administrative, et, au premier rang de ces droits, celui de pouvoir porter plainte et d'accéder à la justice.

C'est donc d'une vision politique de l'abolition que nous voulons nous prévaloir, celle qui nous fait dire dans quel type de société nous voulons vivre.

La France est devenue abolitionniste en choisissant de fermer les maisons closes en 1946 et en ratifiant, en 1960, la Convention de l'ONU de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de 1'exploitation de la prostitution d'autrui. À l'époque, le contexte était devenu plus favorable à la protection des droits et à la liberté des personnes – en particulier des femmes. Nous percevons bien ici le lien historique, voire consubstantiel, qui existe entre le système abolitionniste et l'égalité entre les femmes et les hommes.

Et pourtant, en ce début de XXIe siècle, la prostitution et les trafics qui lui sont intimement liés ont atteint des proportions inédites dans l'histoire de l'humanité. Cette situation découle de la mondialisation du libre marché, qui a permis à des mafias d'étendre leurs réseaux d'affaires en utilisant des étrangères sans papiers et qui a aussi rendu plus facile le travail des trafiquants.

En France, ces trafiquants sont rarement français. Ils viennent le plus souvent des pays d'origine des victimes : les Russes fournissent des Russes et des Ukrainiennes ; les Nigérians exploitent des femmes de leur propre pays. Partout en Europe, les pays qui proposent la légalisation du commerce du sexe sont bien conscients que ce ne sont pas leurs propres ressortissantes qui sont prostituées, mais les femmes d'autres pays qui sont prêtes à tout pour survivre.

Cette proposition de résolution est l'aboutissement d'un long travail, réalisé en étroite collaboration avec mon collègue Guy Geoffroy, travail qui a permis qu'elle soit cosignée par tous les présidents de groupe de l'Assemblée nationale et, pour le groupe GDR, par les représentants de chacune de ses composantes. Elle est la concrétisation de l'important travail de documentation mené au cours des huit mois de son élaboration.

Nous avons rencontré plus de deux cents personnes, dont une quinzaine de personnes prostituées ou s'étant prostituées. À l'occasion de chacun de nos déplacements, nous avons souhaité rencontrer tous les acteurs concernés, qu'il s'agisse d'associations qui viennent en aide aux personnes prostituées, d'infirmiers, de médecins, de policiers ou d'associations de personnes prostituées. Nous avons en outre auditionné, bien sûr, les ministres français de la cohésion sociale, de la justice et de l'intérieur.

Nos déplacements à l'étranger ont certainement été l'aspect le plus intéressant de nos travaux. Nous nous sommes ainsi rendus en Belgique, aux Pays-Bas, en Suède et en Espagne. Nous avons pu voir, je le souligne, toute la mosaïque des réponses apportées à la prostitution, depuis la zone industrielle de La Jonquera, de l'autre côté de la frontière espagnole, où se concentrent certains des plus grands bordels d'Europe, jusqu'aux rues de Stockholm, en passant par les quartiers rouges de Bruxelles et de La Haye et les puticlubs de Madrid.

Ce travail a été pour nous une véritable aventure humaine. Il nous a donné à voir l'exploitation la plus vile de l'homme par l'homme, mais aussi les capacités de résilience hors normes de certaines personnes prostituées, et l'engagement passionné – parce que la question de la prostitution passionne – de nombreuses personnes, que ce soit pour l'abolition de la prostitution, pour sa reconnaissance en tant que métier ou tout simplement pour venir en aide aux personnes prostituées. À plusieurs reprises, nous avons vu la détresse absolue de femmes et d'hommes qui faisaient littéralement figure de survivants de la prostitution et qui ne pouvaient évoquer cette expérience sans souffrances et sans larmes.

Ce que notre travail nous a permis de constater, tout d'abord, c'est que la plus grande part de la prostitution – en Europe occidentale tout au moins – est le fruit de la traite des êtres humains. Le nombre de personnes prostituées en France est difficile à établir, mais on l'estime à environ 20 000, dont 85 % de femmes, 90 % de celles-ci étant étrangères, le plus souvent en situation irrégulière, avec des réseaux qui sont bien connus des services de police.

Rappelons que, dans les années quatre-vingt-dix, les personnes prostituées étaient françaises à 80 %. C'est dire l'évolution de la nature de la prostitution en vingt ans et la nécessité de réaffirmer aujourd'hui notre position abolitionniste, compte tenu de cette nouvelle situation.

Ces personnes prostituées sont donc étrangères, victimes de la traite, et le plus souvent, elles arrivent en Europe occidentale sans savoir ce qui les attend, pensant travailler comme serveuses, comme femmes de ménage. Dans quelques cas, elles savent qu'elles devront se prostituer, mais elles ignorent dans quelles conditions.

D'autres sont vendues par leur famille à des réseaux et subissent ce que l'on appelle un parcours de dressage. Celles qui viennent d'Afrique subsaharienne sont « envoûtées » par le biais d'un rite vaudou. Dans tous les cas, des menaces pèsent sur leur famille, ce qui les asservit totalement.

Il est vrai, aussi, que la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle ne recouvre pas l'intégralité des situations de prostitution, puisque l'on trouve aussi des jeunes, en rupture familiale ou exclus socialement, des personnes en grande précarité économique ou encore en grande vulnérabilité psychologique du fait de violences sexuelles subies antérieurement.

Nous avons analysé ces réalités de la prostitution à l'aune de ces principes les plus fondamentaux de notre droit que sont la non patrimonialité du corps humain et son intégrité, à l'aune, aussi, du principe constitutionnel d'égalité entre les femmes et les hommes.

Accepter, voire promouvoir, l'existence d'une sous-classe de femmes qui n'auraient pas les mêmes droits que les autres contrevient absolument à l'affirmation de cette égalité. Ces personnes prostituées sont le plus souvent exploitées par des réseaux, toujours surexposées aux risques de contamination par le VIH, à la violence des clients, des proxénètes et de la société tout entière. Quand la société considère que le corps des femmes peut être une marchandise comme une autre, il n'est pas possible de penser les rapports entre les femmes et les hommes de manière égalitaire. Il n'y aura jamais d'égalité, de parité, de respect des femmes, de toutes les femmes, tant que certaines d'entre nous verront leur corps mis en vente ou en location, seront enfermées dans une réserve, dans un système d'exploitation à des fins de profit.

La prostitution est un asservissement, une violence, principalement une violence contre les femmes, et c'est ainsi qu'elle fait gravement obstacle au principe d'égalité.

Si la prostitution peut sembler lointaine, si, pour certains, elle n'est pas un problème, c'est parce que nos proches y sont rarement impliqués. La banalisation actuelle de la prostitution chez les jeunes, qu'ils soient lycéens ou étudiants, à une époque où la précarité s'aggrave, devrait pourtant interpeller tous les citoyens.

Ce que nous voulons voir affirmer devrait être une évidence : le corps humain n'est pas une marchandise et l'on doit avoir la liberté de disposer de son corps, pas de celui de l'autre.

C'est pourquoi il faut expliquer aux enfants, dès leur plus jeune âge, qu'une personne ne peut être ni achetée, ni vendue, ni exploitée. Car, dans nos sociétés, les garçons continuent d'être socialisés de manière à devenir de potentiels clients de la prostitution : l'usage de la pornographie, l'image des femmes, la banalisation des établissements de « commerce du sexe » y contribuent. La prostitution ne pourra donc régresser que lorsque prévention et éducation permettront au client d'être informé du rôle qu'il joue et de sa responsabilité dans la perpétuation du système prostitutionnel.

Voter la résolution que nous vous proposons, mes chers collègues, c'est vouloir que la France, sans régir les comportements des individus, affirme un certain nombre de valeurs collectives, comme le refus d'organiser et de promouvoir la marchandisation des êtres humains, comme l'égalité entre les femmes et les hommes, comme le respect de soi et de l'autre. (Applaudissements sur tous les bancs.)

1 commentaire :

Le 08/12/2011 à 12:44, Karl Civis (retraité) a dit :

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Comme à l'habitude, je vais renvoyer à un rétro-débat, qui s'est déroulé début 2003, dans le cadre de la discussion du deuxième projet de loi sur la sécurité.

Le débat était arrivé de façon impromptue ( suite à un amendement dont D.Bousquet était - déjà - signataire ). Le président de séance avait laissé les député(e)s s’exprimer – ce qui ne serait pas le cas aujourd’hui ( le chronomètre castrateur régnant en maître dans l’Assemblée dite réformée ! ).

Les points de vue sur la pénalisation du client étaient très clivés, mais ces clivages étaient transpartisans.

Avec le présent débat sur la résolution, cela semble plus consensuel ( le travail mené par la commission d’information a sans doute fait évoluer le point de vue de certain(e)s député(e)s) sur cette question de la pénalisation du client ;

mais il faudra attendre le débat sur la proposition de loi ( quand ? ) pour voir si ce point se confirme ;

la chronique du débat de 2003 est sur mon blog (« à quoi servent les débats de l’Assemblée nationale ? http://karlcivis.blog.lemonde.fr/ ) :

http://karlcivis.blog.lemonde.fr/les-deputes-dans-le-texte/morceaux-choisis/prostitution-faut-il-penaliser-le-client/

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