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Intervention de Jean-Marie Mantz

Réunion du 22 novembre 2011 à 17h00
Commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi sur l'enfance délaissée et l'adoption

Jean-Marie Mantz, professeur, membre de l'Académie nationale de médecine :

J'ai en effet présenté, le 12 février dernier, à l'Académie nationale de médecine, au nom d'un groupe de travail dont faisait partie le professeur Wattel, ici présent, un rapport sur le thème « Faciliter l'adoption nationale ».

Alors que l'adoption internationale a quadruplé au cours des vingt dernières années et concerne aujourd'hui près de 4 000 enfants par an, l'adoption nationale a diminué de moitié pendant la même période. Le nombre d'enfants adoptés dans notre pays se situe autour de 700 par an. Parmi eux, une centaine seulement sont des enfants dits en danger, c'est-à-dire ayant fait l'objet d'une mesure officielle de protection judiciaire ou administrative. Les autres sont des orphelins, des enfants abandonnés ou nés sous X.

Pourtant, le nombre d'enfants en danger ne diminue pas dans notre pays : il est actuellement d'environ 300 000. L'adoption n'est évidemment pas la solution pour tous ces enfants, mais la disproportion est flagrante.

Autre constat : de 25 000 à 30 000 familles agréées attendent, souvent depuis plusieurs années, qu'on leur confie un enfant. Le schéma que nous présentons dans notre rapport permet de suivre l'itinéraire d'un enfant en danger. Il montre la multiplicité des instances concernées – commissions, cellules, navettes –, laquelle explique la lenteur du processus d'adoption, qui aboutit au bout de cinq à six ans en moyenne. L'enfant entre alors, du fait de son âge, dans la catégorie des enfants dits « à particularité », qui ont peu de chances d'être adoptés.

Deux situations – la maltraitance et le désintérêt parental – ont retenu notre attention en raison de leur fréquence et de leur gravité.

Je m'arrêterai un instant sur la maltraitance, qui n'est pas un épiphénomène anecdotique ou un fait divers. Entre 19 000 et 20 000 enfants maltraités sont recensés chaque année en France, et ce chiffre est probablement bien inférieur à la réalité car de nombreux enfants sont savamment torturés dans la clandestinité, sans défense et sans témoin – qu'il s'agisse de sévices physiques ou psychologiques, ou encore, depuis quelques années, sexuels. Une difficulté majeure tient à la capacité de dissimulation et à la perversité des parents maltraitants, qui présentent des troubles profonds de la personnalité sous une apparence de normalité. Les médecins, eux, s'abritent trop souvent derrière l'article 4 du code de déontologie médicale, qui prône le respect absolu du secret médical. En conséquence, 3 % seulement des signalements émanent des médecins.

Que deviennent ces enfants maltraités ? Les médias décrivent le drame et font pleurer Margot le soir dans les chaumières, mais ne renseignent nullement sur le devenir des enfants concernés, quand ils survivent.

Le retrait des droits parentaux, qui permet à l'enfant d'être adopté, d'oublier et de repartir, est très rarement prononcé en France, contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, au Canada et en Italie. En général, un placement provisoire est suivi du retour et du maintien de l'enfant dans sa famille d'origine sous AEMO (action éducative en milieu ouvert) judiciaire. Il sert alors de matériel de travaux pratiques et de tests à la rééducation des parents. En général, les sévices reprennent en changeant de forme.

Une modification de la loi s'impose, et il y a urgence ! Comme le dit le député Alain Suguenot, cosignataire de la proposition de loi visant à faciliter et améliorer la procédure d'adoption, il nous est permis d'espérer.

Le désintérêt parental concerne les enfants placés en institution ou en famille d'accueil. D'après la loi du 22 décembre 1976, sont considérés comme s'étant désintéressés de leur enfant les parents qui n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.

Selon les termes de l'article 350 du code civil, le désintérêt avéré des parents pendant au moins un an justifie, de la part du président du conseil général, une demande de déclaration judiciaire d'abandon adressée au président du tribunal de grande instance. L'enfant sera alors admis comme pupille de l'État, statut qui le rend adoptable. Bien entendu, cet article ne s'applique pas aux cas de désintérêt dit involontaire, lié à l'incapacité physique ou à l'incarcération des parents. Or, le nombre d'enfants déclarés pupilles de l'État après déclaration judiciaire d'abandon a diminué de 70 % au cours des vingt dernières années : on lui préfère la délégation de l'autorité parentale, qui place l'enfant sous tutelle de l'État, même si ce statut est beaucoup moins protecteur.

Que deviennent les enfants placés ? Ils sont exposés à l'inégale qualité des familles d'accueil, à la multiplicité des changements, à la rigidité administrative. Et le temps passe. La tutelle cesse à la majorité de l'enfant, qui se retrouve, à dix-huit ans, seul, souvent sans diplôme et sans emploi. On sait que 30 % des sans domicile fixe sont d'anciens enfants placés.

L'adoption est à l'évidence une solution plus satisfaisante. On objecte que l'enfant délaissé reste habituellement attaché à ses parents – ce serait une forme clinique du syndrome de Stockholm. En pareil cas, l'adoption simple, qui transfère l'autorité parentale au parent adoptif, tout en conservant des liens avec la famille d'origine, semble répondre à cette objection. Encore faudrait-il que l'adoption simple soit, à l'instar de l'adoption plénière, déclarée irrévocable.

En ce qui concerne la proposition de loi sur le délaissement parental, soumise à votre commission, on ne peut qu'approuver sans réserve son objectif : améliorer l'adoption en réaffirmant son rôle central en matière de protection de l'enfance. Mais il est surprenant de ne pas y trouver mention de la nécessité d'accélérer les procédures de demande de déclaration judiciaire d'abandon, au lieu d'attendre une hypothétique métamorphose des parents, tandis que l'enfant est en souffrance. Quant au recours aux visites obligatoires médiatisées, il peut masquer la réalité du délaissement parental et retarder d'autant la déclaration d'abandon.

De même, à l'article 2 de la proposition de loi, le rapport sur la situation de l'enfant placé, élaboré au terme des six premiers mois, ne devrait pas concerner uniquement les enfants de moins de deux ans mais être étendu à tous les enfants car c'est en effet l'éducateur qui suit l'enfant qui dispose de la connaissance attentive et approfondie de la situation.

Je souscris par contre à la disposition de l'article 1er concernant la modification de l'article 350 du code civil, qui substituerait à la notion floue de « désintérêt parental » celle, plus claire, de « délaissement » – en espérant que le référentiel soit rapidement rédigé.

Je souscris également aux modifications prévues par l'article 3 concernant l'agrément des familles candidates à l'adoption, ainsi qu'à la proposition, à l'article 4, d'une expérience pilote concernant l'information et la préparation des candidats à l'agrément. Mais j'aimerais que soit étudiée la création d'une filière de familles candidates bénévoles, parallèlement à la filière rémunérée, comme c'est le cas en Suède.

J'adhère enfin à l'article 5, qui propose de rendre irrévocable l'adoption simple, à l'instar de l'adoption plénière. Cette mesure soulignerait le caractère généreux de l'adoption et lui rendrait sa véritable signification : donner une famille à un enfant, et non l'inverse.

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