Les travailleurs sociaux ne sont pas frileux : ils ne font qu'appliquer un dogme, qui est contenu dans les textes, y compris la loi de 2007, selon lequel la protection de l'enfance passe « nécessairement » par le soutien aux parents. Ce « nécessairement » est de trop. C'est un phénomène culturel. Dans notre pays, la notion d'intérêt supérieur de l'enfant ne parvient pas à se diffuser. Nous sommes encore dans la protection – qu'on appelle aussi soutien ou accompagnement – des adultes. Or, lorsque des adultes et des enfants se font face devant les magistrats ou les travailleurs sociaux, seuls les adultes s'expriment, naturellement pour défendre leurs propres intérêts. Les enfants de trois ou quatre ans ne sont pas présents. Il arrive que des parents assiègent le bureau du magistrat pour que leur enfant passe Noël près d'eux. Je plains le magistrat à qui il incombe de leur opposer un refus, car c'est une décision violente. Et l'enfant n'est pas là pour dire qu'il préfère passer Noël ailleurs qu'avec ses parents. Les magistrats sont confrontés à de véritables rapports de force.
Il convient sans doute de rappeler que l'intérêt supérieur de l'enfant, qui est désormais inscrit dans le droit français et dans le droit international, peut exiger des mesures qui peuvent paraître violentes à l'encontre des parents qui ne sont pas en mesure d'assumer leur rôle.
Il est cependant difficile de stigmatiser des personnes qui connaissent des difficultés physiques ou psychologiques, sans parler des difficultés financières, même s'il est vrai que les personnes qui se trouvent dans la misère matérielle bénéficient d'un certain nombre d'aides. Il est cependant vrai que la misère psychologique conduit souvent à la misère matérielle.
Il n'est pas simple de résister à cette culture, mais tentons au moins de cibler les enfants très jeunes. Le projet de vie de l'enfant ne peut pas adopter le temps de l'adulte car il exige parfois d'aller plus vite. Quelques départements ont réussi à faire accepter cette idée et, à l'étranger, il faut citer l'exemple du Québec, qui a mis en place des indicateurs.