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Intervention de élisabeth Pelsez

Réunion du 30 novembre 2011 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

élisabeth Pelsez, directrice générale de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, AGRASC :

Monsieur le Président, merci de nous accueillir.

L'AGRASC a été créée par la loi du 9 juillet 2010 et elle a commencé ses travaux le 4 février 2011, après la publication d'un décret en Conseil d'État, signé le 1er février 2011. Cela fait donc environ neuf mois que l'Agence est opérationnelle. Dès le 3 février dernier, une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces et de la direction des services judiciaires du ministère de la Justice a été adressée à tous les magistrats pour expliquer le fonctionnement de l'Agence et décrire tous les mécanismes permettant de la saisir.

L'Agence est un établissement public administratif, placé sous la double tutelle du ministère de la Justice et du ministère du Budget. Son équipe est composée de magistrats, de fonctionnaires issus du ministère du Budget, notamment le secrétaire général de l'Agence, Hervé Brabant, et de représentants du ministère de l'Intérieur – des capitaines de gendarmerie et de police, un adjudant-chef de gendarmerie et un douanier. Cette polyvalence est très utile pour remplir les missions qui nous sont confiées.

D'emblée, l'AGRASC s'est positionnée comme prestataire de services pour les juridictions, position que nous cherchons à valoriser pleinement et à développer. Nous souhaitons, en effet, qu'elle s'inscrive pleinement dans le paysage judiciaire et que les juridictions prennent l'habitude de la solliciter pour des orientations, des conseils ou une assistance lorsqu'elles doivent réaliser des saisies. Sur ce point, je rappelle que la loi du 9 juillet 2010 a considérablement renforcé le cadre juridique en créant des procédures spéciales, telles que les saisies immobilières.

L'Agence devant être un interlocuteur privilégié des juridictions, nous nous sommes rendus dans plus de vingt cours d'appel pour exposer nos méthodes de travail et nous avons mis en place un site intranet également ouvert aux enquêteurs et aux douaniers. Nous y mettons en ligne tous les éléments pouvant guider les magistrats dans la compréhension de la loi et les accompagner dans leurs procédures de saisies.

La création de l'AGRASC répond à deux logiques, l'une juridique, l'autre économique et financière. L'Agence est, en effet, destinée à s'autofinancer : loin de coûter de l'argent à l'État, elle doit lui en rapporter. Son financement provient d'une part du produit de la vente des biens confisqués, comme cela est prévu par la loi de finances, et des intérêts que lui rapporte son compte à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), où convergent les numéraires et les saisies bancaires.

La loi a établi plusieurs monopoles qui font de l'Agence un lieu de passage obligé pour les juridictions.

Le premier monopole est la gestion centralisée de toutes les sommes saisies en numéraire dans le cadre des procédures pénales. Depuis le 4 février 2011, nous avons rapatrié tous les flux de numéraires transitant par les comptes ouverts à la CDC par chaque juridiction. Ces fonds sont désormais versés sur le compte unique de l'Agence et rapportent un intérêt de 1 % – le taux des consignations. Les flux sont considérables : nous avons enregistré 6 199 versements sur notre compte, pour des montants très variables – 67 % des saisies numéraires sont inférieures à 1 000 euros, mais d'autres s'élèvent à plusieurs millions. En tout, 85 millions d'euros nous sont parvenus. Au rythme actuel – au moins 200 000 euros sont enregistrés sur notre compte chaque jour –, nous pensons arriver à 90 millions d'euros à la fin de l'année. Outre cette centralisation des fonds et les intérêts rapportés, la réforme nous a permis d'avoir une vue d'ensemble des saisies de numéraire, grâce à la base de données dont la loi a prévu la constitution.

Ajoutons à cela que tous les comptes bancaires sont désormais gérés de manière centralisée : à chaque fois qu'un magistrat procède à la saisie d'un compte, les sommes sont transférées sur le compte de l'Agence à la CDC. Le RIB de l'Agence figure directement dans les décisions des juridictions, ce qui permet d'opérer le transfert, alors que les sommes restaient précédemment bloquées sur chaque compte. Les saisies sont donc plus opérationnelles : elles permettent de priver effectivement les personnes concernées de leurs avoirs saisis.

Un autre monopole, très efficace, concerne les ventes avant jugement. En cas de saisie de biens mobiliers tels que les véhicules, les bateaux, les tapisseries ou les bijoux, les biens étaient auparavant gardés jusqu'à la fin de l'enquête ou de l'instruction. Ils perdaient donc de la valeur et ils occasionnaient des frais de justice. L'AGRASC peut désormais vendre avant jugement les biens qui leur sont confiés par la justice. Notre objectif est de le faire rapidement, à un prix intéressant, afin que les biens ne figurent plus dans les stocks des tribunaux. Le prix de la vente du bien est consigné et, s'il est innocenté, son propriétaire le recouvrera. Il ne sera donc pas lésé : un véhicule, par exemple, sera vendu à la valeur qui est la sienne au moment de la saisie. À ce jour, nous avons réalisé 82 ventes qui ont rapporté plus de 430 000 euros. Un de nos principaux messages à l'égard des juridictions est qu'elles doivent nous confier les biens au lieu de les conserver.

Un autre monopole dont bénéficie l'Agence concerne les saisies pénales immobilières, qui ont connu un essor considérable depuis la loi du 9 juillet 2010, à laquelle je tiens à rendre hommage. La saisie d'un studio, d'un immeuble, d'un terrain, d'une forêt ou d'une chambre de bonne a, en effet, un impact direct sur le patrimoine des délinquants. La variété des biens saisis traduit celle des types de délinquance – la délinquance de proximité, de quartier ou de banlieue, mais aussi la criminalité organisée aux ramifications internationales. Les biens immobiliers sont un enjeu financier très important pour l'Agence, qui gère dès aujourd'hui 199 saisies immobilières, ce qui représente l'équivalent d'environ trois années d'activité des juridictions avant l'intervention de la loi ….

Le fait que les saisies immobilières fassent désormais l'objet d'une procédure pénale, et non plus civile, avec inscription d'hypothèque à renouveler tous les trois ans – opération qui était très complexe –, a permis aux magistrats de s'approprier davantage la procédure. Pour les aider dans la rédaction, nous avons également mis en ligne des trames d'ordonnances. Comme il revient à l'Agence de publier, au nom du procureur de la République ou du juge d'instruction, toutes les saisies pénales immobilières auprès des conservateurs des hypothèques, nous nous sommes rapprochés de ces derniers pour réduire les causes de rejet et assurer une publication plus efficace. Je rappelle, en effet, que le bien n'est plus aliénable dès lors que la saisie est publiée. Cette activité du pôle opérationnel, dirigé par Romain Stiffel, capitaine de gendarmerie, a considérablement augmenté. Comme elle a compétence pour agir en matière d'entraide internationale, l'Agence reçoit d'ailleurs des demandes d'autorités étrangères qui veulent saisir des immeubles situés sur notre territoire – nous avons déjà reçu une vingtaine de demandes à ce titre.

Les confiscations, notamment en matière immobilière, sont un autre monopole de l'AGRASC, qui a pour mission de publier toutes les confiscations d'immeubles prononcées par les juridictions. Si un tribunal confisque un immeuble sans qu'une publication ait lieu, là encore le bien peut être vendu, ce qui fait échouer la procédure.

Depuis la loi du 14 mars 2011, dite « LOPPSI 2 », il revient en outre à l'Agence, et non plus à l'administration des domaines, de récupérer les véhicules immobilisés ou mis à la fourrière à la suite d'un délit routier. Il y a aujourd'hui environ 4 000 véhicules confisqués en application de l'article L. 325-1-1 du code de la route, et leur nombre pourrait aller jusqu'à 6 000 ou 8 000. Or, nous considérons qu'il n'entre pas dans la compétence de l'Agence de récupérer ces véhicules, dont un grand nombre est à l'état d'épave. Nous n'étions pas prêts à exercer cette compétence d'attribution qui ne correspond pas à l'essence de l'Agence, destinée à apporter une plus-value en matière de gestion des biens complexes. En la matière, nous sommes un simple intermédiaire, car nous remettons ensuite les véhicules aux domaines. Le nouveau dispositif n'offre donc pas de plus-value par rapport à l'état antérieur du droit.

En revanche, l'AGRASC a pour vocation de gérer tous les biens nécessitant des actes d'administration : une juridiction ayant à gérer un avion ou un bateau saisi pourra ainsi nous les confier. Nous n'avons pas encore eu à gérer de tels cas, car nos crédits de gestion sont très limités cette année – la gestion d'un seul aéronef nous coûterait 200 000 euros en dix jours. Nous avons donc conseillé aux magistrats de recourir à la saisie sans dépossession, procédure prévue par la loi du 9 juillet 2010 qui permet à un bien de rester entre les mains de son propriétaire ou celles d'un gardien, avant d'être éventuellement confisqué à la fin de la procédure.

J'en viens à l'entraide judiciaire internationale. L'Agence a la possibilité de gérer des biens saisis sur notre territoire pour le compte d'un autre pays, de les aliéner ou de les détruire, et de partager les avoirs en cas de confiscation. Nous avons également développé des échanges avec les pays où des agences comparables existent, comme les Pays-Bas et l'Italie, qui a créé en 2009 une agence chargée de vendre les biens confisqués. J'ai notamment reçu M. Piero Grasso, procureur national antimafia en Italie, et nous allons prochainement nous rapprocher de la Belgique et de la Grande-Bretagne.

L'Agence participe aussi à des réseaux de coopération européens : vingt-trois des vingt-sept États membres de l'Union disposent de bureaux de recouvrement des avoirs avec lesquels nous entretenons des échanges d'informations opérationnelles. Le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Inter-Agency Network) nous permet par ailleurs d'avoir des contacts avec d'autres pays, tels que les États-Unis et le Canada, très actifs en matière de saisie et de confiscation des avoirs.

Depuis la loi du 9 juillet 2010, les parties civiles qui ont obtenu une décision définitive de confiscation peuvent demander à être indemnisées prioritairement sur les biens confisqués. C'est une mesure très intéressante à laquelle nous sensibilisons les magistrats qui nous saisissent, notamment les procureurs ; des patrimoines importants sont parfois saisis, en particulier dans le cadre d'affaires d'escroquerie en bande organisée. L'objectif de l'Agence est, non seulement d'abonder le budget général de l'État par les confiscations et les ventes de biens, notamment grâce au fonds de concours de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), mais aussi d'aider les parties civiles à recouvrer une partie de l'indemnisation qui leur est due.

À chaque fois que nous procédons à une restitution, nous avons également la faculté d'informer les créanciers publics – le fisc, les douanes ou encore l'URSSAF –, qui peuvent faire valoir leurs créances éventuelles sur la restitution effectuée. Nous avons déjà procédé à plus de 150 restitutions, pour un montant de 2,2 millions d'euros, et nous avons conclu un protocole avec douze partenaires en application duquel nous avisons ces derniers lorsqu'une infraction – travail dissimulé, blanchiment ou non-justification de ressources – pourrait avoir un lien avec une créance qu'ils détiennent. Ces différents acteurs peuvent alors se manifester en adressant une opposition à notre comptable public.

La plus-value de l'Agence est d'être un organe centralisé, dédié à la traque et à la confiscation des avoirs, mais aussi d'ouvrir certaines portes. Nous avons ainsi cherché à vendre mieux et plus vite les biens en nous rapprochant d'autres partenaires : pour les ventes avant jugement de biens mobiliers, les méthodes utilisées par les commissaires-priseurs judiciaires nous ont paru très intéressantes ; s'agissant des ventes d'immeubles, nous allons contractualiser avec les notaires – le Conseil supérieur du notariat a d'ailleurs accueilli très favorablement notre initiative. Les domaines subdéléguant aux notaires les ventes d'immeubles, nous pouvons éviter un intermédiaire en nous adressant directement à eux.

Pour ce qui est de l'avenir, l'augmentation du nombre des confiscations prononcées est notre chantier principal. Il est certes normal que le nombre des saisies et celui des confiscations diffèrent – c'est le cas dans tous les pays –, mais force est de constater que trop de peu de confiscations sont prononcées en France. Nous devons donc faire en sorte que les magistrats sachent ce que deviennent les biens saisis et que les juridictions de jugement n'oublient pas de prononcer les confiscations. En cas de vente avant jugement, il s'agit d'indiquer quand le bien a été vendu et à quel prix – je précise que nous fixons un prix de réserve afin d'atteindre un niveau significatif. Pour les saisies pénales immobilières, l'acte de publication de la saisie doit être systématiquement versé au dossier. Pour les comptes bancaires saisis, il faut un retour d'information permettant aux magistrats de connaître les montants effectivement saisis et transférés sur le compte de l'Agence. Cette cote patrimoniale doit être l'occasion d'effectuer un bilan pour tous les biens saisis et susceptibles d'être confisqués à l'issue du jugement.

Nous souhaitons, par ailleurs, retrouver notre coeur de métier. Pour cela, il conviendrait de réécrire l'article L. 325-1-1 du code de la route, que j'ai évoqué tout à l'heure, de même que l'article 707-1 du code de procédure pénale, rédigé de façon si générale qu'il pourrait laisser entendre que nous avons à gérer tous les scellés confisqués.

De manière générale, l'Agence est un révélateur intéressant du fonctionnement des tribunaux en matière de saisies et de confiscations : les magistrats s'approprient peu à peu les nouvelles procédures et les greffes des tribunaux se sont mis en ordre de marche, mais il reste des marges d'amélioration très nettes. Nous devons tendre vers plus d'efficacité dans la saisie et la confiscation des patrimoines illicites, lesquelles doivent devenir pleinement opérationnelles pour contribuer à la lutte contre la délinquance.

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