Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons que la frontière est assez fine entre l'immunité et l'impunité, c'est d'ailleurs une question intéressante du point de vue intellectuel. Certains de nos concitoyens confondent d'ailleurs parfois les deux termes.
Mais depuis deux siècles, la règle est que tous les Français sont égaux devant la loi civile. Pourtant, la Constitution, en son article 67, a dérogé à ce principe du code civil. La présidence de la République semble être une forteresse judiciaire et juridique. Nous ne l'acceptons pas, et c'est l'objet de la proposition de loi que nous défendons aujourd'hui.
La question de l'immunité du chef de l'État avait déjà commencé à défrayer la chronique judiciaire dans les années 2000, quand Jacques Chirac, alors Président de la République, était cerné par des affaires antérieures à son mandat. À l'époque, le juge d'instruction Éric Halphen voulait l'entendre comme témoin dans l'affaire des HLM de Paris.
Les plus grandes instances juridiques du pays avaient été mises à contribution, Conseil constitutionnel et Cour de cassation en tête, et une commission avait été nommée en 2002 pour plancher sur le sujet. Le débat a été finalement tranché par la réforme constitutionnelle du 23 février 2007 introduisant l'article 67 relatif à l'irresponsabilité présidentielle.
Dans le dossier concernant les dépenses de l'Élysée en sondages, que notre ami René Dosière ici présent connaît bien, la cour d'appel de Paris a refusé le 7 novembre dernier, l'ouverture d'une enquête pénale sur un proche de Nicolas Sarkozy pour favoritisme. La cour estime donc que, non seulement l'immunité pénale du Président de la République empêche toute investigation sur ses propres actes, mais qu'elle s'étend aussi à ses proches, comme vient de le rappeler notre collègue Jean-Jacques Urvoas.
La décision de la Cour d'appel est une preuve malheureuse supplémentaire du problème posé par le statut pénal du chef de l'État : en fait, ce statut entrave la justice et la démocratie.
L'arrêt de la cour d'appel aboutit à faire de l'Élysée une zone de non-droit où aucune enquête n'est possible. En affirmant que « la sérénité nécessaire » à la mission du président de la République peut l'amener à ordonner à ses collaborateurs de signer des contrats illicites ou litigieux, pouvant provoquer un détournement de financement public, la Cour d'appel n'a-t-elle pas injurié la fonction même du président de la République, par une sorte de retour de boomerang ?
Cette proposition de loi propose donc deux grandes modifications.
Tout d'abord en finir avec l'immunité temporaire du Président de la République pour les actes détachables de sa fonction, qui résulte de la jurisprudence Breisacher de la Cour de cassation de 2001. Les instances et procédures ne pouvant être reprises ou engagées contre le Président à l'expiration de son mandat qu'à l'issue d'un délai d'un mois suivant la cessation de ses fonctions, les faits sont jugés bien des années après leur commission.
Comment faire reconnaître ses droits face à un Président de la République inatteignable judiciairement ? Comment des individus ordinaires peuvent-ils voir réparer les préjudices civils qu'ils ont subis du fait du Président de la République – par exemple un défaut de paiement de loyer ?
En réalité, l'inviolabilité judiciaire du chef de l'État pendant la durée de son mandat ne protège en rien la dignité de sa fonction ; elle risque, au contraire, d'aggraver les soupçons contre son titulaire et de laisser libre cours au tribunal de la rumeur. Une procédure judiciaire est contradictoire et publique : ce sont ces deux caractéristiques qui garantissent une République de la transparence, une République exemplaire.
La deuxième réforme proposée par ce texte vise à faire des ministres des justiciables ordinaires ne bénéficiant plus d'un privilège de juridiction. Les ministres ou anciens ministres sont le cas échéant appelés à être jugés par des parlementaires ; c'est là un privilège de juridiction que nous récusons.
Au nom du principe d'égalité devant la loi, on ne peut se satisfaire d'un tel privilège. Il est bien entendu indispensable d'éviter les procédures abusives destinées à détourner la procédure pénale de sa vocation originelle en vue de mettre en cause la responsabilité politique des membres du Gouvernement, rien ne justifie pour autant que ces derniers bénéficient d'un privilège de juridiction devant la Cour de justice de la République leur permettant d'être jugés par des parlementaires qui sont en réalité leurs pairs, avec les contradictions que notre collègue Urvoas vient de mettre en évidence.
Notre proposition de loi répond à ces distorsions d'égalité. C'est pour cette raison principale, mes chers collègues, que je vous invite à la voter.