Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il faut toujours être attentif quand les écologistes s'intéressent au statut du Président de la République. Si je me souviens bien, c'était un contribuable parisien, par ailleurs militant écologiste, Michel Breisacher, qui s'était constitué partie civile en lieu et place de la ville de Paris, en vertu d'une autorisation donnée par le tribunal administratif, saisi le 21 novembre 2000 par les juges d'instruction d'une requête en vue de l'audition comme témoin de Jacques Chirac.
Ce dernier était, au moment des faits incriminés, maire de Paris mais était devenu chef de l'État au moment où la contestation est intervenue. C'est parce que Michel Breisacher avait porté requête devant le tribunal administratif que la Cour de Cassation avait été conduite à trancher le périmètre de protection du Président de la République. Ce fut le fameux arrêt Breisacher du 10 octobre 2001 dont, par la suite, l'article 67 de la Constitution consacra les conclusions en les généralisant. À l'époque, d'ailleurs, cette jurisprudence ne fut pas contestée.
Aujourd'hui, le groupe GDR nous fait une double proposition : établir la responsabilité civile et pénale du Président de la République pour les actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci ; supprimer la Cour de justice de la République, transformant ainsi les ministres en justiciables ordinaires.
À la différence de Philippe Houillon, je commencerai par le second point et démontrerai, à l'inverse de ce qu'il a tenté de faire, que la suppression de la Cour de justice de la République est parfaitement légitime.
En 1993, le gouvernement Balladur avait privilégié la voie constitutionnelle à un chemin législatif parfaitement possible : il aurait suffi d'adopter une loi interprétative destinée à contraindre la chambre criminelle de changer sa jurisprudence. Ce n'est pas le choix qu'a fait la majorité de l'époque, et la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 créa donc la Cour de justice de la République dont le fonctionnement fut réglé par la loi organique du 23 novembre suivant. Ces textes marquaient une avancée.
Bien sûr, la composition de la Cour de justice restait majoritairement assurée par des élus, mais les ministres ne pouvaient plus échapper à un procès, ce qui était une rupture avec le passé.
Pour autant, il est vite apparu que ces textes avaient été mal conçus : les victimes n'ont pas le droit de se porter parties civiles ; les avocats n'ont d'autre solution que de présenter leurs réquisitoires à la presse ; les inspirateurs des décisions ministérielles ne pouvant être poursuivis comme complices devant la Cour, un autre procès devrait leur être fait, qui ferait ressortir les insuffisances du premier.
C'est ce que reconnaissait le doyen Vedel, inspirateur de la réforme, dans une interview à Libération, le 1er mars 1999 : « Il faut reconnaître qu'on s'est fourré le doigt dans l'oeil, et on était plusieurs ». C'était admettre que cette réforme, bien inspirée mais mal écrite, ne produisait pas les effets attendus.
Il est facile de le dire a posteriori, à l'époque, chacun avait péché par excès de conservatisme. Personne ou presque n'avait osé remettre en cause ce qui était considéré comme un acquis républicain : l'existence d'une juridiction particulière, politique, pour juger les fautes pénales commises par les ministres.
Au moins, sous la IIIe République, les juges de droit commun demeuraient-ils compétents tant que les députés n'en décidaient pas autrement et ne mettaient pas en oeuvre la Haute Cour. Mais d'une compétence concurrente de la juridiction politique, on est passé à une compétence exclusive.
Cette erreur a été maintenue en 1993. C'est elle que la proposition de loi de Noël Mamère suggère de réparer, cette fois de manière franche, non pas en revenant au système de la IIIe République, dont les vertus ne sont plus adaptées, mais en établissant la compétence exclusive des tribunaux de droit commun. Comment ne pas l'approuver ?
Une juridiction politique, fût-elle mâtinée de magistrats, ne produira jamais des jugements parfaitement acceptés. Comme l'a très justement montré le professeur Olivier Beaud, les thèmes composant la justice politique ne sont pas complémentaires ; ils sont antinomiques. Le soupçon de partialité pèsera toujours sur la Cour de justice de la République. Si elle condamne, on imputera la décision à la présence majoritaire de l'autre camp parmi les juges ; si elle acquitte, la connivence entre politiques sera stigmatisée. Que les arguments se contredisent n'altère malheureusement pas leur efficacité. La Cour de justice de la République est un bon exemple de confusion entre le politique et le judiciaire.
La conclusion s'impose d'elle-même : la faute pénale d'un ministre doit être jugée par un tribunal pénal de droit commun. Le tribunal ne peut différer, que l'on soit ministre ou simple citoyen.
Tout aussi simple est la seconde orientation que défend la proposition de loi s'agissant du régime de responsabilité du Président de la République. Ce texte met le doigt, chacun l'a reconnu, sur une question centrale, laissée pendante depuis la révision de 2007 : la portée de l'irresponsabilité juridictionnelle du chef de l'État. Celle-ci, en raison des articles 67 et 68, est doublement excessive.
D'abord, au regard du droit européen, notamment de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui demande le procès équitable. En effet, le Président de la République peut porter plainte, peut se constituer partie civile, peut même obtenir des condamnations à l'euro symbolique – je fais ici allusion à la décision de la cour d'appel de Versailles du 8 janvier 2010 visant une personne reconnue coupable d'escroquerie à la carte bancaire au détriment de Nicolas Sarkozy. Par contre, le même chef de l'État, ne peut être interrogé, même comme témoin, ni poursuivi devant aucune juridiction, même pour des faits commis antérieurement ou des faits détachables de la fonction de Président de la République. À l'évidence, contrairement à ce que disait Philippe Houillon, il y a là un déséquilibre avéré.
L'injusticiabilité du Président est tout autant excessive au regard de l'interprétation qui vient d'en être faite. Je pense notamment à deux affaires. La première date de 2007 et concerne l'assassinat du juge français Bernard Borrel à Djibouti, le 19 octobre 1995. Le 2 mai 2007, les deux juges d'instruction qui enquêtaient sur cette affaire se sont vu interdire l'entrée du palais de l'Élysée alors qu'ils souhaitaient perquisitionner le bureau d'un collaborateur de la cellule africaine du Président de la République. Autrement dit, l'irresponsabilité présidentielle s'étend aussi aux locaux dans lesquels travaille un collaborateur du Président de la République.
La seconde affaire, Noël Mamère l'a rappelée, date du 7 novembre 2011. La Cour d'appel de Paris a décidé que l'ancienne directrice de cabinet du Président, qui n'avait pas respecté le code des marchés publics, était couverte par l'article 67 de la Constitution.
Ainsi, dorénavant, l'irresponsabilité présidentielle s'étend également à ses collaborateurs.