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Intervention de Michel Mercier

Réunion du 1er décembre 2011 à 9h30
Responsabilité civile et pénale du président de la république — Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les Français ont une relation particulière avec le Président de la République. Ils l'élisent directement, ce qui lui confère une légitimité sans égale au sein de nos institutions.

La Constitution confie, en outre, au Président de la République le rôle éminent de garant de la continuité de l'État. Le général de Gaulle résumait la place centrale du Président de la République dans nos institutions en le définissant, en 1964, comme « l'homme de la nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin ».

Investi de la confiance de la nation et chargé de la représenter, le chef de l'État est supposé observer un comportement vertueux dans l'exercice de son mandat. Mais il doit aussi être protégé à l'égard des poursuites qui pourraient viser à paralyser ou à amoindrir la fonction présidentielle.

Nécessaire, et d'ailleurs établie dès la Constitution du 3 septembre 1791, cette protection doit cependant être conciliée avec nos principes fondamentaux. Parmi ces principes, figure celui de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».

C'est la conjugaison de ces deux exigences qui doit guider le pouvoir constituant lorsqu'il définit les règles applicables aux poursuites pénales dirigées contre les plus hautes autorités de l'État.

La proposition de loi constitutionnelle établissant la responsabilité civile et pénale du Président de la République pour les actes commis antérieurement à sa prise de fonction ou détachables de celle-ci, et supprimant la Cour de justice de la République a, comme l'indique son intitulé, deux objets bien différents, qui vont d'ailleurs à l'encontre des principes que j'ai rappelés.

Il s'agit tout d'abord de modifier l'article 67 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 février 2007. Il convient de rappeler que les solutions adoptées à cette occasion par le constituant sont très largement inspirées du rapport établi par la commission spéciale créée par décret du 4 juillet 2002 et présidée par le professeur Avril. Pour reprendre les termes du rapport de cette commission, « tout Président détient un mandat de représentation nationale, garantit la continuité de l'État et s'inscrit dans la séparation des pouvoirs. À ce triple titre, sa fonction doit être protégée contre ce qui pourrait abusivement l'atteindre, de bonne ou de mauvaise foi ».

Selon l'article 5 de la Constitution, le Président de la République « assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. » Il assure ainsi, dans la Ve République, la plus haute fonction du pouvoir exécutif ; il est, pour reprendre une expression bien connue mais très juste, la clé de voûte de notre système institutionnel.

À ce titre, le chef de l'État bénéficie d'une double protection : l'irresponsabilité, en vertu de laquelle il n'a pas à répondre des actes accomplis en sa qualité de Président de la République – principe, je le rappelle, commun à la plupart des démocraties contemporaines –, et l'inviolabilité, qui, pendant la durée de son mandat, le protège des poursuites judiciaires, de tout acte d'enquête et, bien sûr, de toute mesure privative ou restrictive de liberté. L'inviolabilité est absolue, mais temporaire ; l'irresponsabilité est définitive, mais limitée dans son champ.

La proposition de loi ne revient pas sur l'irresponsabilité du Président de la République à raison des actes accomplis dans le cadre de son mandat. En revanche, elle précise qu'il est « civilement et pénalement responsable des actes commis antérieurement à sa fonction ou détachables de celles-ci ». Or c'est ce que prévoit déjà la Constitution : l'irresponsabilité du Président de la République est bien limitée aux actes accomplis en cette qualité. Sont donc exclus à la fois les faits commis antérieurement à l'élection et ceux qui ne sont pas accomplis en qualité de chef de l'État.

La proposition de loi prévoit un dispositif totalement différent du droit actuel quant à l'inviolabilité du Président de la République, qui n'est, selon moi, pas acceptable.

Actuellement, le chef de l'État ne peut, pendant la durée de son mandat, et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner, non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. A ce système simple et facile à mettre en oeuvre, les auteurs de la proposition de loi souhaitent substituer un dispositif qui, d'une part, permettrait les actes d'information, d'instruction ou de poursuite contre le chef de l'État après avis public et motivé d'une commission composée de magistrats et, d'autre part, autoriserait l'arrestation, voire l'incarcération du Président de la République, après autorisation de l'Assemblée nationale statuant à la majorité.

Cela revient à mettre en cause l'objectif principal assigné à l'inviolabilité du Président de la République : assurer la séparation des pouvoirs et mettre la fonction de chef de l'État à l'abri des procédures judiciaires. De ce point de vue, l'idée même que l'on puisse permettre à l'Assemblée nationale d'autoriser l'incarcération du chef de l'État est inenvisageable. En effet, si le chef de l'État a commis un acte d'une gravité telle qu'elle pourrait conduire à son incarcération, c'est la procédure de l'article 68, qui permet au Parlement réuni en Haute Cour de prononcer la destitution du Président de la République, qui doit être utilisée pour mettre fin à son mandat.

Pour des actes ou des litiges de moindre gravité, il faut que le chef de l'État demeure totalement hors du champ d'action de l'autorité judiciaire au sens le plus large. Tout procès pourrait en effet être instrumentalisé à des fins politiques et mettre le chef de l'État dans une position politiquement difficile.

Le dispositif constitutionnel actuel pose-t-il un problème moral ? Non, car il n'institue aucune impunité : les actes détachables de la fonction ou commis antérieurement au mandat peuvent être poursuivis une fois le mandat achevé. Je rappelle à ce propos, que la réforme constitutionnelle a limité à deux le nombre des mandats qui peuvent être exercés consécutivement. Si des préjudices peuvent naître de ce différé, ils sont indemnisables.

Ce dispositif a-t-il créé des dysfonctionnements importants de la justice ? Je ne le crois pas. En revanche, le dispositif proposé ne manquerait pas de créer des polémiques sans fin sur les décisions que la commission de filtrage serait amenée à prendre.

Ce dispositif affaiblit-il la fonction présidentielle ? Certainement pas. Le Président de la République demeure en effet un requérant comme les autres. Il peut notamment attaquer en diffamation ou engager la responsabilité civile de toute personne lui ayant causé un préjudice, et ce sans attendre la fin de son mandat.

La proposition de loi constitutionnelle vise ensuite de supprimer la Cour de justice de la République. Le texte prévoit que les ministres puissent relever des juridictions de droit commun y compris pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions, dès lors que les procédures dirigées contre eux sont filtrées par une commission composée exclusivement de magistrats.

Les ministres bénéficient d'un privilège de juridiction au plan pénal devant la Cour de justice de la République lorsqu'est engagée leur responsabilité pour les délits et crimes qu'ils auraient commis dans leurs fonctions. En confiant ce contentieux à une juridiction spécifique, le constituant a souhaité éviter aussi que des recours infondés viennent paralyser l'action du Gouvernement ; les constitutionnalistes y voient un parallèle avec l'immunité dont bénéficient les parlementaires. En proposant la création de la Cour de justice de la République, le doyen Vedel soulignait les principes qui la fondent encore aujourd'hui : par sa composition et son fonctionnement, elle est « une instance juridictionnelle conciliant les principes judiciaires et la séparation des pouvoirs ». Préserver cette juridiction spécifique, c'est éviter que les ministres « soient constamment exposés à devoir se justifier devant les juges de leur activité ministérielle ». La responsabilité politique, disait le doyen Vedel, ne doit pas être transformée en responsabilité pénale.

Or, dès lors qu'il s'agit d'actes commis dans l'exercice de leurs fonctions, se pose immanquablement la question du régime de responsabilité qui doit être mis en oeuvre. Faire le départ entre ce qui relève de l'action politique et d'une démarche purement personnelle n'est pas chose facile. A cela, il convient d'ajouter que les décisions prises par la Cour de Justice de la République, qui comprend trois magistrats, dont l'un est son Président, peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. La procédure de filtrage des procédures que la proposition de loi prévoit de confier à une commission composée de magistrats ne fera rien de plus que ce que fait aujourd'hui la commission des requêtes de la Cour de justice de la République, qui est elle-même composée uniquement de magistrats.

Comme vous l'aurez compris, les dispositions que le constituant a retenues tant pour la responsabilité du président de la République que pour celle des ministres garantissent l'équilibre et le bon fonctionnement de nos institutions. Je crois que modifier ces dispositifs, comme le suggère la proposition de loi soumise à votre examen, c'est risquer de les déstabiliser. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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