Je vous remercie de m'accueillir exceptionnellement dans cette Commission et vous prie d'excuser l'absence de M. Jean-Pierre Brard, rapporteur du texte, qui est actuellement en convalescence.
Le projet de résolution est le fruit d'un travail commun entre le groupe des député-e-s communistes, républicains, citoyens et Parti de gauche, qui forme une composante du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, et le groupe Die Linke, du Bundestag. Il sera porté le même jour à Paris et à Berlin, dans les deux assemblées.
Le texte concrétise l'exigence d'un autre avenir pour l'Europe et d'une autre vision du couple franco-allemand. Les réponses apportées à la crise du système économique par le duo Sarkozy-Merkel, en lieu et place des peuples d'Europe, ne nous conviennent pas. Si l'axe franco-allemand doit jouer un rôle moteur dans la construction européenne, nous n'acceptons pas ce que Jean-Pierre Brard nomme, avec son humour habituel, le « fédéralisme caporalisé ». Sous couvert de rigueur budgétaire, un tel système prive progressivement les peuples du contrôle souverain. Or le couple franco-allemand doit être, non un instrument au service des marchés, mais un outil aux mains de nos deux peuples pour construire une autre Europe.
Pour qu'un couple dure, il faut que chaque partenaire ait confiance en l'autre, qu'il trouve en lui une complémentarité, un soutien de chaque instant, qu'il lui apporte respect, franchise, solidarité, et le soutienne dans l'épreuve. A contrario, le chacun pour soi, la cupidité et l'arrogance ne peuvent mener qu'au divorce. Le couple franco-allemand ne fait pas exception. Depuis plus de dix ans, la plupart des pays européens se sont lancés dans une course au moins disant fiscal – pudiquement baptisée « attractivité fiscale » –, qui a abouti à l'abandon de 100 milliards de recettes par an, selon notre rapporteur général, et à un transfert de la fiscalité des bases les plus mobiles – capital, ménages les plus aisés, grandes entreprises multinationales – vers les bases les moins mobiles – classes moyennes et populaires, PME.
Comme l'affirme notre collègue du Bundestag Richard Pitterle, « le temps est venu de mettre fin à la redistribution des richesses du bas vers le haut », car cette politique a eu deux effets que nous payons collectivement. D'une part, elle a augmenté le déficit et la dette, ces deux alibis de la rigueur et de l'austérité qui risquent d'entraîner la zone euro dans une spirale de récession, mêlant chômage de masse et recul des droits sociaux. D'autre part, elle a créé des politiques de recherche de compétitivité non coopérative, dont l'Allemagne offre l'exemple type. Qu'a fait de si remarquable ce pays qu'on présente aujourd'hui comme le modèle à suivre ? Il a bloqué les salaires et, par le biais de la TVA sociale, transféré le financement de la protection des entreprises vers les ménages. Est-ce cette politique que nous voulons ? Elle a donné à l'Allemagne un avantage comparatif non sur la Chine ou le Brésil, mais sur la France et l'Italie. Le déficit commercial grec, portugais, espagnol ou français a financé l'excédent allemand, comme le déficit américain finance l'excédent chinois. Si la France se lance dans une politique de convergence avec l'Allemagne, vers qui celle-ci exportera-t-elle ? La politique du « passager clandestin » ne peut fonctionner que lorsqu'il n'y en a qu'un. Si personne ne paie son billet, le système s'effondre. Il est donc temps de passer de ce système, qui fait la part belle à l'arrogance, à la cupidité, au chacun pour soi à un système coopératif, solidaire et marqué par le respect mutuel. Tel est le sens de la proposition de résolution.
Le Fonds européen de développement social, solidaire et écologique pourrait être un véritable instrument de gouvernance économique. Il canaliserait des financements importants au service de grands projets d'intérêt général. Il financerait des projets publics de création et de sécurisation des emplois, de formation et de recherche, et de protection de l'environnement. Il compléterait les trois fonds européens existants – Fonds européen de développement régional – FEDER –, Fonds social européen – FSE – et Fonds de cohésion – censés prendre en charge la réduction des écarts de développement et renforcer la cohésion économique et sociale entre pays et régions de l'Union européenne.
Son financement serait assuré par la mobilisation de l'épargne populaire, sur laquelle les établissements bancaires veulent faire main basse, et par l'émission de titres publics de développement social, qui lui donnerait accès à la monnaie de la Banque centrale. Par ailleurs, nous proposons de créer une taxe sur le patrimoine excédant un million d'euros. Cette « taxe sur les millionnaires » aurait la double vertu d'abonder les budgets nationaux et de permettre une plus grande harmonisation. C'est une nécessité que même le Gouvernement technocratique de M. Mario Monti semble avoir comprise, puisqu'il a proposé de rétablir en Italie un impôt sur la fortune.
D'autres mesures sont incontournables si l'on veut lutter contre la spéculation, notamment celle qui s'exerce sur les dettes souveraines : adoption dès 2012 d'une taxe sur les transactions financières, avec des taux plus élevés sur les transactions concernant les obligations d'État, afin de décourager la spéculation, et les actions, afin de stabiliser l'actionnariat des entreprises et d'éviter les rachats boursiers, préludes à des restructurations désastreuses ; interdiction des ventes à découvert et des CDS sur les dettes publiques ; fermeture des marchés de gré à gré grâce au rapatriement des transactions sur les marchés réglementés ; interdiction du trading haute fréquence dont l'utilité sociale n'a jamais pu être démontrée et qui, en provoquant le mini-krach boursier du 6 mai 2010 à Wall Street, a prouvé sa nocivité ; enfin, interdiction aux agences de notation de porter une appréciation non sollicitée sur les dettes souveraines.
Telles sont les mesures que je vous invite à adopter pour passer enfin du discours à l'action et pour montrer notre détermination à contrer ce que des membres éminents de la majorité ont appelé une « guerre contre les marchés financiers ».
Comme l'a proposé Jean-Pierre Bard la semaine dernière devant la commission des Affaires européennes, considérez cette proposition comme une chance pour la démocratie et pour l'Europe, et comme une opportunité pour le pouvoir politique de reprendre la main sur un système financier hors de contrôle.