Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, grâce à la révision constitutionnelle adoptée l'été dernier et qui se met progressivement en place, le Parlement peut désormais faire entendre sa voix sur les interventions militaires que la France mène hors de ses frontières.
Sur les cinq théâtres d'opérations que sont la Côte d'Ivoire, le Tchad, la République centrafricaine, le Kosovo et le Liban, pas moins de 9 000 militaires français sont déployés, soit plus de 70 % de nos effectifs présents dans le monde.
Contrairement à ce qu'annonçaient les analyses les plus optimistes, le monde n'est pas entré dans une ère de paix après la fin de la guerre froide. Au contraire, la relative stabilité qu'offrait l'équilibre entre les deux superpuissances a laissé la place à de nouvelles menaces, qui constituent autant de facteurs de tensions et de risques de conflits régionaux qu'il s'agit d'apaiser au plus vite afin d'en limiter les conséquences sur les populations civiles et sur les grands rapports de force internationaux.
Prospérant sur les situations créées par les conflits existants, des groupes terroristes internationaux d'un nouveau genre, qui utilisent à leur profit les avancées technologiques, font planer sur nos populations une menace constante et bien réelle, comme l'ont dramatiquement rappelé les attentats de New York, Londres, Madrid ou plus récemment Bombay.
En rétablissant la stabilité d'une région, en aidant les États à garantir la sécurité à leurs frontières et sur leur propre territoire, la France, par ses interventions extérieures, contribue à la défense de ses intérêts et de sa population, et défend les valeurs qui lui sont chères, celles de la liberté et de la démocratie.
Nos interventions extérieures doivent aussi s'accorder aujourd'hui aux exigences de solidarité et d'obligations humanitaires qui, progressivement, émergent au sein des relations internationales. La France ne peut reculer devant les responsabilités que lui confère son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Comme l'a rappelé le Président de la République, la France, pays des droits de l'homme, ne saurait rester sourde à l'appel des populations civiles victimes des affrontements.
Nos interventions à l'étranger traduisent nos choix et nos priorités. Elles sont, de ce fait, une des expressions de notre politique étrangère. Dans le contexte actuel de crise économique mondiale où, malheureusement, toutes ces tensions ne devraient pas aller en s'apaisant, notre engagement militaire international ne devrait pas décroître, et nous aurons sans doute à hiérarchiser nos interventions pour adapter au mieux nos capacités aux besoins. C'est dans ce cadre général que nous devons examiner les cinq opérations qui font l'objet du débat d'aujourd'hui.
À ce sujet, monsieur Cazeneuve, je peux vous dire que non seulement les commissions permanentes ont mené les auditions nécessaires pour instruire ces OPEX, mais c'est, en outre, à la suite de ces auditions et de ces débats que le Premier ministre nous a adressé un rapport, à la demande même de l'un de vos collègues, demande formulée lors d'une audition de la commission des affaires étrangères.
À des degrés différents, ces cinq opérations dans lesquelles la France est engagée sont utiles, dans la mesure où elles ont permis et permettent de contenir, voire de résoudre un conflit. Dans tous les cas, sans l'intervention de la France et de ses alliés, la seule certitude que nous ayons est que la situation serait devenue incontrôlable et les pires débordements n'auraient pu être évités.
Au Tchad, notre réponse a certainement épargné aux populations civiles une catastrophe humanitaire annoncée. Même si le conflit est loin d'être résolu, nous avons au moins contribué à stabiliser et à normaliser les relations entre les différentes communautés, même si les moyens déployés étaient peut-être un peu surdimensionnés.
L'opération Boali a, pour sa part, permis de rétablir une situation sérieusement compromise, à la suite d'une tentative de coup d'État, et contribue encore, à l'heure actuelle, à aider l'État centrafricain à assurer la sécurité de sa population.
En Côte d'Ivoire, si la date de la prochaine élection présidentielle n'a pas encore été fixée – et c'est regrettable – il est clair que les rapports entre les différentes factions sont incomparablement moins belliqueux aujourd'hui qu'avant l'intervention française.
De la même manière, si les tensions n'ont pas disparu en ex-Yougoslavie, la présence de militaires français a, jusqu'à présent, permis d'en limiter les effets. Imaginons ce qui se serait passé si les forces françaises n'étaient pas intervenues le soir de la déclaration d'indépendance au Kosovo.
Au Liban, enfin, la force d'interposition de l'ONU, la FINUL, malgré les imperfections de son mandat initial, a offert, au sud du pays, une période de calme de plus de deux ans, ce qui est presque sans précédent dans cette région. Une telle opération pourrait d'ailleurs servir de référence pour apporter une solution d'apaisement à Gaza, grâce à la présence d'une force multinationale.
Mes chers collègues, je ne crois pas nécessaire d'insister davantage sur l'intérêt incontestable de la présence militaire française sur ces différents théâtres d'opérations. Je souhaiterais plutôt attirer votre attention sur quelques questions qui ne manqueront pas de se poser à l'avenir.
D'abord, le contexte juridique dans lequel nos armées sont appelées à intervenir. L'ampleur des menaces actuelles interdit d'imaginer que la France puisse répondre seule aux défis militaires de demain. Il s'agit donc de nous doter d'alliances durables et efficaces.
Aujourd'hui, comme le rappelait le Premier ministre, un triangle institutionnel semble émerger, qui repose principalement sur l'Organisation des Nations unies, et associe l'OTAN ainsi que l'Union européenne. Toutefois, bien que seule l'ONU possède la légitimité internationale suffisante pour décider où et quand intervenir, elle n'est pas dotée des forces qui lui permettent de mettre toujours ses choix à exécution.
La France peut jouer un rôle d'initiateur, en proposant de lancer des opérations chaque fois qu'elle estime que des valeurs essentielles sont bafouées ou que l'équilibre du monde est menacé. Mais la complexité des situations auxquelles nous pourrions avoir à faire face exige qu'une répartition plus claire des rôles soit entreprise, notamment entre l'Union européenne et l'OTAN.
À cet effet, deux démarches me semblent devoir être lancées. D'abord, celle qui consisterait à doter l'Union européenne d'un commandement stratégique autonome, afin de pouvoir préparer, lancer et suivre une opération sans avoir besoin de recourir à des capacités extérieures. La visite du quartier général de l'EUFOR Tchad, que j'ai effectuée la semaine dernière avec une importante délégation de la commission des affaires étrangères, m'a convaincu, monsieur le ministre, de la nécessité de doter l'Union européenne de moyens permanents de commandement. Cette visite nous a également montré qu'il fallait réfléchir à une meilleure adaptation entre le coût des moyens utilisés et la durée prévue pour une opération.
En second lieu, la question des missions de l'OTAN doit être posée. L'Alliance atlantique connaît un profond mouvement de transformation, et son concept stratégique pourrait – pourrait – évoluer dans un avenir proche. À cette occasion, il faudra définir plus précisément les nouvelles missions de l'OTAN, qui ne peut plus se limiter à la seule application de l'article 5 du traité de l'Atlantique nord.
Il est indispensable, pour que nos opérations futures aient le plus de chances de réussir, que nous sachions parfaitement dans quel cadre nous pouvons les lancer, et sur quels alliés nous pouvons compter. Les relations entre l'ONU, l'Union européenne et l'OTAN doivent être clarifiées pour être plus cohérentes, plus harmonisées, plus efficaces.
Notre retour dans les structures intégrées de l'OTAN pourrait éventuellement être un élément de cette clarification.