Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Marie-Hélène Thoraval

Réunion du 16 novembre 2011 à 11h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Hélène Thoraval, rapporteure :

Le projet de loi poursuit deux principaux objectifs : d'une part, garantir une compensation équitable des ayants droit au titre de l'exception de copie privée ; d'autre part pérenniser les financements en faveur de la création, du spectacle vivant et de la formation des artistes.

Les auditions que nous avons menées ont montré que les ayants droit, les associations de consommateurs et les représentants des industriels ne remettaient en cause ni la légitimité de l'exception pour copie privée ni son régime de rémunération.

Le système en vigueur vise à faciliter la copie à usage privée sans que l'autorisation de l'auteur soit requise à chaque fois. Il favorise ainsi la diffusion des oeuvres et l'accès du public à la culture, comme il incite à l'achat de supports d'enregistrement. Il existe donc bien une convergence d'intérêts entre les créateurs et les industriels : les supports d'enregistrement se vendent en partie parce que le consommateur peut y copier des oeuvres ; les oeuvres trouvent leur public parce qu'elles deviennent disponibles sur des supports qui les ont fixées. On constate donc l'intérêt commun que conjuguent la diversité culturelle et la richesse de la création. Cette situation est l'essence même de l'exception culturelle française, dont chacun d'entre nous s'enorgueillit.

Avant d'en venir au coeur du débat, je me permets de vous apporter quelques éléments chiffrés sur le dispositif de la rémunération pour copie privée : l'assiette totale de celle-ci se montait, en 2010, à 189 millions d'euros ; la loi a prévu un prélèvement de 25 % de la recette brute, destiné à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes ; ce prélèvement permet à près de 5 000 projets culturels de voir le jour chaque année, et chacun d'entre nous peut en bénéficier sur son territoire ; enfin, la rémunération pour copie privée représente entre 5 % et 10 % des revenus des ayants droit. Il s'agit donc d'un dispositif indispensable tant pour les ayants droit que pour la création et le spectacle vivant.

Toutefois, le système rencontre des limites, qui doivent retenir notre attention de législateur : si les industriels adhérent à ces grands principes, ils multiplient néanmoins les recours afin de contester les décisions successives de la commission chargée de fixer les barèmes de la rémunération et, plus généralement, les mécanismes de rémunération pour copie privée au niveau européen, et ce en fonction de trois facteurs.

Un facteur juridique d'abord, en raison de l'affirmation des sources communautaires du droit d'auteur : les dispositions figurant dans la directive de 2001 sur l'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, telles qu'interprétées par la CJUE, s'incorporent désormais dans notre droit national.

Un facteur technologique ensuite, car le système suit la révolution numérique et doit notamment s'adapter au cloud computing. C'est pourquoi le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique travaille actuellement sur les conséquences du développement de cette technique.

Enfin, un facteur lié à la composition de la commission de la copie privée : du fait de sa composition – des représentants industriels, des consommateurs et des ayants droit – la commission rassemble des intérêts contradictoires. Or ces contradictions sont de plus en plus difficiles à surmonter, ce que traduit la saisine systématique des juridictions et l'annulation contentieuse presque aussi systématique des décisions de la commission.

Certes, les enjeux sont immenses, mais nous devons d'abord faire face à une urgence : ce projet de loi a pour but d'y répondre et n'a pas d'autres ambitions. Certains le regrettent et je le regrette aussi. Cependant, compte tenu de l'importance des défis à venir et de la sensibilité du sujet, il serait imprudent que le législateur s'engage sur le terrain d'une réforme en profondeur du système de rémunération pour copie privée dans des délais d'examen aussi brefs. C'est pourquoi je ne proposerai pas aujourd'hui de bouleverser le régime de la rémunération pour copie privée, même si, à terme, le législateur devra s'atteler à son aménagement, notamment en raison des trois facteurs que j'ai cités.

On peut objecter qu'il suffirait de se donner un peu de temps pour cela. Mais je crains que nous ne puissions nous le permettre en raison de l'échéance du 22 décembre prochain, date fixée par le Conseil d'État pour que prenne effet l'annulation de la décision qu'il a prononcée le 17 juin dernier. Cette décision fixait des règles pour plus d'une dizaine de supports. À défaut d'une intervention de notre part, nous subirions un dramatique retour en arrière, et ce pour trois raisons : sans l'intervention du législateur, la rémunération des ayants droit reposerait sur des bases réduites à 27 % de l'assiette actuelle ; cette même rémunération se fonderait sur des bases obsolètes, c'est-à-dire sur des supports en perte de vitesse, en laisserait de côté les supports les plus modernes dont les ventes sont les plus dynamiques ; enfin, les dites bases seraient contraires au droit communautaire.

Le présent projet de loi a donc pour objet d'inscrire dans le code de la propriété intellectuelle les trois grands principes dégagés par le juge communautaire et le juge administratif.

En premier lieu, l'obligation de fonder tout barème de rémunération sur des études d'usage, sauf si des éléments objectifs permettent d'établir un barème provisoire pour une durée n'excédant pas un an.

En deuxième lieu, la non prise en compte, dans le calcul de la rémunération, des copies réalisées à partir de sources illicites.

En troisième lieu, la non prise en compte des usages professionnels puisque, par définition, la rémunération correspond à un usage pour copie privée : le choix retenu en la matière est celui de conventions d'exonération conclues entre Copie France et les utilisateurs professionnels ou, à défaut de convention, celui d'un système de remboursement.

Le projet de loi a également pour objectif de rendre le système plus transparent, en imposant que le montant de la rémunération soit porté à la connaissance de l'acquéreur et qu'une notice explicative lui soit communiquée. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous indiquer qui prendra en charge le coût de cette information car la question nous a été posée de façon récurrente. Je proposerai, lors de l'examen des articles, d'élargir les moyens de communication de cette notice par l'intermédiaire d'un fichier électronique présent sur l'ensemble des dispositifs de stockage assujettis à la rémunération pour copie privée.

Enfin, l'article 5 du projet de loi est important à un double titre. Dans son arrêt annulant la décision n° 11 de la commission de la copie privée, le Conseil d'État a jugé que l'intérêt général commandait que l'annulation – dont je rappelle qu'elle revient à considérer que l'acte n'a jamais existé – ne prenne effet qu'à compter du 22 décembre 2011, « sous réserve des instances en cours ». Il a également estimé indispensable que les décisions de la commission de la copie privée se fondent sur des études d'usage ; or comme la décision n° 11 concernait plus d'une dizaine de supports, celle appelée à la remplacer doit être précédée d'une dizaine d'enquêtes : autant dire que publier une nouvelle décision d'ici au 22 décembre s'avère pratiquement impossible. En outre, à défaut de nouvelle décision, les bases juridiques deviennent obsolètes, restreintes et encore moins conformes au droit communautaire que la décision n° 11 : c'est pourquoi le I de l'article 5 propose de proroger les effets de cette dernière jusqu'à ce que la commission de la copie privée prenne une nouvelle décision, au plus tard dans un délai de 24 mois.

La décision n° 11 continuera donc de s'appliquer, mais uniquement pour les supports acquis à des fins de copie privée, et non pour les usages professionnels, l'assujettissement de ces derniers étant le motif pour lequel le Conseil d'État a annulé la décision.

Le délai de 24 mois me semble toutefois trop long : la commission a commencé à examiner le résultat des premières études réalisées et son plan de charge devrait lui permettre d'en examiner la totalité d'ici à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine. Je pense qu'il faut adresser aux membres de la commission un signal montrant notre souhait de les voir aboutir rapidement et, à partir du moment où des études exhaustives, sur la méthodologie desquelles ils se sont mis d'accord, sont disponibles, de ne pas s'enliser dans d'interminables querelles à propos des barèmes.

Le Conseil d'État a également jugé que l'annulation de la décision n° 11 ne prenait effet qu'à compter du 22 décembre, « sous réserve des instances en cours au 18 juin 2011 ». Or certains fabricants, anticipant la décision du Conseil, avaient déjà saisi les tribunaux de grande instance afin de ne pas avoir à payer ou afin d'obtenir le remboursement des sommes réclamées par Copie France en application des barèmes de la décision n° 11. Pour ces instances en cours, l'annulation du Conseil d'État conserve une portée rétroactive.

Rappelons que la décision n° 11 a été annulée parce qu'elle n'exonérait pas les usages professionnels. Même s'il n'y avait qu'un seul motif d'annulation – la perception de la rémunération sur des supports susceptibles d'être utilisés à des fins de copie privée n'était pas contestée –, c'est l'ensemble de la décision qui a été annulé. Il en résulte que l'ensemble des sommes perçues, y compris sur des supports acquis à des fins de copie privée, peut être ainsi remis en cause, le trop perçu étant alors calculé par rapport à des décisions anciennes et obsolètes de la commission. Notons au passage que ces dernières assujettissent les usages professionnels et les copies réalisées également à partir de sources illicites !

En outre, les fabricants qui réclament le remboursement des sommes n'en ont pas réellement supporté le coût – sauf bien sûr le coût de gestion –, puisqu'ils les ont répercutées sur le consommateur. Ne serait-ce que pour des raisons pratiques, s'ils en obtiennent le remboursement, ils ne le répercuteront probablement pas en sens inverse.

Le II de l'article 5 propose donc de valider la perception ou la demande de versement des rémunérations perçues sur le fondement de la décision annulée, c'est-à-dire d'empêcher que les fabricants obtiennent d'être remboursés ou de ne pas payer ces sommes, en s'attachant uniquement à celles relevant de la qualité de copie privée. Ils pourront tout de même prétendre au remboursement ou au non-versement des sommes qui correspondaient à des supports acquis notamment à des fins professionnelles : il s'agit là d'une validation législative poursuivant d'impérieux objectifs d'intérêt général. En la matière, des conditions très strictes doivent être observées afin que notre texte soit conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Mes chers collègues, il nous est demandé d'adopter ce projet de loi d'urgence. Et il est vrai qu'il y a urgence car si ce texte n'était pas voté avant le 22 décembre, les ayants droit et le spectacle vivant souffriraient d'un manque à gagner estimé à 15 millions d'euros par mois.

Bien sûr, cela ne nous dispensera pas, dans un avenir proche, de mener une réflexion approfondie en vue de conforter un système fragilisé par un environnement dont on ne peut ignorer les mutations.

Pour l'heure, je vous propose d'adopter le projet de loi qui nous est soumis.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion