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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 16 novembre 2011 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

La proposition de loi du groupe GDR est très utile à la suite du débat que nous avons eu sur la destitution – de fait, la révision constitutionnelle de février 2007 avait donné lieu à un long débat sur l'immunité et l'inviolabilité du chef de l'État.

À l'évidence, la Constitution présente aujourd'hui un déséquilibre potentiel : s'il peut arriver que le Président de la République soit à l'origine de poursuites, lui-même ne peut être poursuivi, ni même entendu comme témoin, par aucune juridiction.

Du reste, le périmètre de l'inviolabilité est mal défini. S'il est légitime de protéger le Président de la République contre toute manoeuvre dilatoire – ce qui fait consensus sur tous les bancs –, cette protection doit-elle s'étendre à ses collaborateurs ? On se souvient en effet de la décision de la cour d'appel de Paris du 7 novembre dernier, appliquant les garanties de l'article 67 de la Constitution à l'ancienne directrice de cabinet du Président, qui n'avait pas respecté le code des marchés publics : il y a là, à tout le moins, une interprétation extensive ou abusive. L'article 67 de la Constitution fait en effet référence au « Président », et non à la « présidence » de la République, évoquée, quant à elle, dans l'article 7 à propos de la vacance. D'ailleurs, les collaborateurs du Président de la République n'ont pas d'existence juridique et, comme l'exprime M. Olivier Schrameck dans son ouvrage, la Présidence de la République est une instance coutumière. À ma connaissance, en effet, le seul texte qui fonde l'existence juridique d'un collaborateur du Président de la République est un décret de décembre 2009 créant le coordinateur national du renseignement. La situation est différente pour les collaborateurs des ministres, dont l'existence est prévue par une loi de 2011. La question mérite donc d'être débattue.

En évoquant l'injusticiabilité sur le plan civil, M. Mamère soulignait à juste titre que la révision engagée à la suite de la décision de 1999 du Conseil constitutionnel représentait une rupture par rapport à toute la tradition. Sans revenir sur l'ensemble des débats du Congrès, je rappelle qu'ont été évoquées à titre d'exemple, notamment par M. Robert Badinter, des situations injustifiées dans lesquelles pourraient se trouver des victimes. Ainsi, dans le cas où un candidat à l'élection présidentielle signerait avec un éditeur un contrat pour la rédaction d'un ouvrage et toucherait à cette fin un à-valoir très important, mais oublierait de rédiger cet ouvrage une fois devenu président, l'éditeur ne pourrait pas s'adresser à un tribunal pour obtenir remboursement. De même, M. Robert Badinter soulignait que l'enfant illégitime d'un Président de la République ne pourrait pas saisir la justice pour obtenir une reconnaissance de paternité. De telles situations relèvent purement du domaine civil et n'ont aucun lien avec les fonctions présidentielles. Mais en quoi, au demeurant, l'injusticiabilité est-elle nécessaire au salut de la patrie ou à la protection du Président de la République ?

Depuis Napoléon, prévaut la règle selon laquelle tous les Français sont égaux devant la loi civile. Nous avons dérogé à ce principe du code civil.

En 2007, le garde des Sceaux affirmait qu'il convenait de protéger le Président de la République du harcèlement judiciaire. Les exemples que nous citons sont cependant des actes privés, susceptibles d'avoir causé des dommages dont il est logique que les victimes obtiennent réparation. Dans ce domaine, la procédure judiciaire, contradictoire et publique, est bien plus importante que le tribunal de l'opinion. Les propos tenus ne s'adressent qu'au magistrat, qui écoute et qui doit, à la fin du débat, établir le vrai et le faux, refouler les actions abusives et condamner à des dommages et intérêts les plaideurs mal fondés. Le tribunal de l'opinion, seule voie dont la victime pourrait aujourd'hui se saisir, ne semble pas une bonne solution, car il ouvre la porte aux ragots et aux rumeurs : il est sans doute plus pertinent, pour protéger la dignité du Président de la République, de prévoir que le président est, pour les faits civils, un justiciable comme les autres. C'est en cela que nous approuvons la démarche du groupe GDR.

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