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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 16 novembre 2011 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Il est en effet regrettable que ce texte, attendu depuis une proposition faite par Jacques Chirac en 2002 – le temps de la maturation, sans doute – nous soit soumis en fin de législature. Il est vrai que le sujet n'est pas simple, puisqu'il s'agit de rendre opérationnelle une procédure qui doit être exceptionnelle.

Sur le fond, le bizarre mécanisme mis en place en 2007 est contestable, notamment du fait de son caractère bâtard : il n'établit ni une responsabilité politique ni une responsabilité pénale, alors que certains des comportements les plus susceptibles de justifier une destitution du chef de l'État seraient sans aucun doute passibles d'une sanction pénale. La dissociation du caractère politique et du caractère pénal demeure donc parfaitement artificielle.

Même si les propos du rapporteur m'ont en partie rassuré, certaines dispositions restent à mes yeux contestables.

Ainsi, réserver l'initiative de l'engagement de la procédure à un dixième des parlementaires établit une différence injustifiée entre l'Assemblée et le Sénat. Conformément au souci du bicaméralisme qui anime l'ensemble du texte, il aurait été logique d'imposer la signature de soixante députés ou de soixante sénateurs.

Le filtrage des propositions de résolution par la commission des Lois constitue le point de clivage principal. Cette disposition n'a d'équivalent dans aucune autre procédure parlementaire. Cette solution n'a jamais été évoquée dans les débats parlementaires. Elle ne figure pas dans le rapport Avril, qui propose à l'inverse une inscription de droit à l'ordre du jour de la proposition à compter du moment où elle est recevable. Elle ne figure pas davantage, monsieur le rapporteur, dans votre rapport préalable à la révision constitutionnelle de février 2007. Au moment de nous présenter le projet de révision, M. Pascal Clément, à l'époque garde des Sceaux, n'a jamais évoqué un tel dispositif, et on n'en trouve nulle trace dans l'intervention de Mme Alliot-Marie, garde des Sceaux, le 14 janvier 2010 lors de l'examen au Sénat de la proposition de loi du groupe socialiste relative à l'article 68.

Or l'étude d'impact du projet de loi organique prétend que cette novation vise à éviter que la procédure de destitution ne soit enclenchée de manière manifestement abusive. Certes, nous sommes tous convaincus qu'il est nécessaire de parer au risque de dévoiement de la procédure. C'est ce qui justifie, aux États-Unis, l'intervention préalable de la commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants. Mais ce risque n'existe pas dans le cas d'espèce, le seuil de majorité ayant été élevé, à l'initiative d'André Vallini, aux deux tiers des membres de chaque assemblée, alors que le projet de loi constitutionnelle avait repris la préconisation du rapport Avril de la majorité absolue. À l'époque, le rapporteur avait estimé que cet amendement constituait un « verrou sérieux » face au risque de dévoiement de la procédure. Le garde des Sceaux, quant à lui, s'était félicité de son adoption par ces mots : « il est important d'empêcher toute exploitation politicienne de la procédure ». Au Sénat, on avait estimé que ce seuil « offrait toutes les garanties nécessaires pour éviter un détournement à des fins partisanes ». C'est aussi dans cette perspective que les délégations de vote ont été interdites.

En bref, on ne voit pas en quoi cette novation correspond à l'intention du constituant, alors que personne ne l'évoque au cours des débats constitutionnels de 2007, que ce soit à l'Assemblée, au Sénat ou lors du Congrès.

Il faut encore préciser que l'appréciation du « caractère sérieux » de la proposition par la commission des Lois sera inévitablement discrétionnaire, la plasticité d'un tel terme autorisant toutes les stratégies, tous les stratagèmes et toutes les dérives. Le mot a en outre un caractère profondément insultant pour les parlementaires. Il n'y a aucune raison pour que la majorité s'arroge un tel droit de veto.

En outre, la légitimité de la commission des Lois à exercer un tel filtrage est pour le moins contestable au regard de l'histoire de notre assemblée. À l'époque de la Haute Cour de justice, les articles 159 du règlement de l'Assemblée nationale et 86 de celui du Sénat faisaient intervenir le Bureau de l'Assemblée comme une instance plus appropriée, à la fois plus solennelle et plus adaptée, compte tenu de son rôle dans le fonctionnement de l'Assemblée.

L'exclusion du droit d'amendement à tous les stades de l'examen de la proposition de résolution est, selon l'étude d'impact, justifiée par l'objet même de la résolution et par l'exigence de célérité. Si l'argument de la contrainte temporelle ne paraît guère dirimant, d'autant que vous avez inventé le temps législatif programmé, il est vrai que cette restriction est acceptable s'agissant d'une procédure qui n'est pas législative.

Selon l'article 4, le Bureau de la Haute Cour est composé de façon paritaire de députés et de sénateurs, alors que le rapport Avril suggérait qu'il réunisse le Bureau de l'Assemblée nationale, qui compte 22 membres, et celui du Sénat, composé de 26 membres. Pourquoi cette différence ? Il faudra par ailleurs préciser que cette composition doit assurer la représentation de tous les groupes parlementaires. Dans l'état actuel du texte, rien n'interdit à la majorité de s'y réserver l'intégralité des sièges.

Eu égard aux délais impartis à la Haute Cour pour se prononcer, la commission chargée de réunir toute l'information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour, sera l'acteur principal de la procédure. En effet, l'article 6 du projet de loi organique prévoit un délai incompressible de quarante-huit heures entre l'ouverture des débats et le vote. La remarque sur la composition du bureau de la Haute Cour vaut pour celle de la commission. L'article 5 du texte prévoit qu'elle sera composée à parité « de » – et non « des » – vice-présidents de l'Assemblée et du Sénat. Mais le projet de loi organique ne dit rien du mode de désignation du président et du rapporteur de cette commission. Pourquoi ne pas prévoir que l'une de ces deux fonctions revient de droit à un représentant du groupe dont serait membre le premier signataire de la proposition ?

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