Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, à l'heure où vous nous appelez à nous prononcer par un vote sur cinq opérations militaires extérieures dans lesquelles nos troupes sont engagées, nous nous devons, par-delà les diverses sensibilités qui traversent cet hémicycle, d'avoir une pensée pour nos soldats dont la vie est exposée sur le théâtre de ces opérations.
Nous nous devons aussi, par respect pour eux et pour ceux qui sont tombés sous le feu en Afghanistan, en Côte d'Ivoire ou au Gabon, de nous placer au-dessus de toute contingence politique et de montrer à nos armées que nous sommes capables de leur garantir le plus haut niveau d'équipement possible.
Par-delà ces considérations et cet hommage que la représentation nationale doit naturellement à nos armées, nous devons également profiter de ce débat pour réfléchir ensemble à la place particulière que la France occupe dans le monde du fait des opérations extérieures qu'elle engage. Cette place résulte tout d'abord de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. En outre – vous l'avez à juste titre souligné, monsieur le Premier ministre –, la France fait partie des États qui contribuent le plus au budget de l'OTAN ; elle participe en outre largement à toutes les opérations militaires engagées par l'Union européenne sur des théâtres d'opérations extérieures, telle l'opération de l'EUFOR au Tchad.
Plus de 12 000 hommes sont ainsi engagés sur les théâtres d'opérations extérieures où notre pays a été appelé à se positionner, dont près de 9 000 au titre d'opérations multilatérales et un peu plus de 3 000 dans le cadre d'opérations bilatérales.
Vous nous appelez aujourd'hui à nous prononcer sur le reformatage ou la prolongation de cinq opérations militaires engagées par la France en Afrique – République centrafricaine, Tchad et Côte d'Ivoire –, au Liban et au Kosovo.
Bien entendu, pour que les parlementaires puissent se déterminer en conscience sur ces cinq opérations, il faut qu'ils disposent de l'ensemble des informations nécessaires. Pour cela, certaines conditions doivent être réunies. Or elles ne le sont pas, nous sommes nombreux à le déplorer.
Pour appréhender le sujet de manière approfondie et précise, nous devons l'examiner sous trois aspects : en exerçant le rôle consenti au Parlement de contrôle des opérations militaires extérieures, mais aussi de notre politique étrangère et de défense, sujets dont vous avez précisé qu'ils relèvent des prérogatives régaliennes du Gouvernement et du Président de la République ; en nous prononçant sur la cohérence globale de notre politique étrangère et de défense – et nous avons, sur ce sujet, beaucoup à dire ; en déterminant la possibilité de doter nos forces des équipements dont elles ont besoin pour être efficaces et opérationnelles sur les théâtres de conflits extérieurs. Là encore, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, nous avons des questions à vous poser.
Le premier aspect renvoie à la problématique constitutionnelle. Monsieur le Premier ministre, vous indiquiez dans votre intervention votre désir de concrétiser la volonté du Gouvernement de conforter le Parlement dans son pouvoir de contrôle de la politique extérieure et de défense de la France. Nous y avons vu quelque habileté de votre part et vous nous permettrez d'y répondre par un petit exercice courtois de démystification. Cette volonté serait fondée sur l'article 35, alinéa 3, de la Constitution, qui fait obligation au Gouvernement de solliciter le vote du Parlement pour la prolongation des opérations militaires extérieures quand leur durée excède quatre mois. L'honnêteté intellectuelle nous impose de reconnaître que vous n'étiez pas obligés de soumettre les opérations qui nous occupent aujourd'hui à l'approbation de la représentation nationale puisque la plupart d'entre elles ont été engagées depuis plus de vingt ans, préalablement à la réforme constitutionnelle. Au moment du débat sur la réforme constitutionnelle, nous avions demandé, dans le cadre de la commission de la défense, que les grandes opérations, qui matérialisent notre souveraineté par le volume des hommes engagés, soient toutes soumises à l'approbation de notre assemblée. Les débats avaient montré que vous étiez prêts à le faire. Mais derrière cette apparente volonté d'association du Parlement par la discussion et le vote, qui tombe à point nommé à l'heure où un grand nombre d'entre nous se plaint du cantonnement du droit d'amendement et de la difficile concrétisation de l'esprit de la réforme constitutionnelle, qu'y a-t-il en réalité ?
Premièrement, nous notons que ni la commission de la défense ni la commission des affaires étrangères n'ont auditionné les ministres de la défense et des affaires étrangères avant la discussion d'aujourd'hui, ce qui nous aurait pourtant permis d'avoir, sur chacune des opérations sur lesquelles vous nous demandez de nous prononcer, une idée précise des comptes rendus d'opérations, des conditions dans lesquelles nos troupes sont engagées, ainsi que des résultats qu'elles ont obtenus au terme de leur mission. En dépit de la lettre que vous a adressée le président du groupe socialiste et de notre intervention auprès de M. le président de la commission de la défense afin que ce débat puisse se dérouler après l'audition des ministres concernés, nous n'avons pas été entendus, et c'est aujourd'hui en l'absence des informations dont nous aurions dû disposer pour exercer pleinement nos pouvoirs de contrôle que vous nous demandez de procéder à ce vote. (« Très bien » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Deuxièmement, monsieur le Premier ministre, la situation dans les pays concernés par ces opérations a-t-elle évolué à un rythme tel que cela justifie une discussion au Parlement dans la précipitation,…