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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 16 novembre 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne, rapporteur :

Cette proposition de loi s'appuie sur un double constat : d'une part, la dégradation durable des prix d'achat des productions agricoles issues de l'agriculture française ; de l'autre, l'augmentation constante des prix de vente des produits alimentaires aux consommateurs.

J'avais déposé, il y a deux ans, une proposition de loi sur le « droit au revenu des agriculteurs », dont beaucoup d'articles avaient retenu l'intérêt des parlementaires de toutes sensibilités. La principale objection, notamment de M. Le Maire, était l'inopportunité d'un tel texte à quelques mois du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), puisque celui-ci allait, nous disait-on, régler tous les problèmes, il était urgent d'attendre. Aujourd'hui, force est de constater que les problèmes demeurent, et que la question des prix et des revenus agricoles est la grande oubliée de notre politique agricole et alimentaire.

La crise des fruits et légumes de cet été en est l'une des preuves les plus flagrantes. En 2011, les producteurs de melons, de poires, de prunes, de tomates ou encore de concombres ont connu une nouvelle année noire. Les prix d'achat étaient inférieurs de 15 à 45 % à la moyenne des cinq dernières années, provoquant des situations dramatiques pour des agriculteurs déjà touchés par des années de crise. Il n'était pas rare de voir les producteurs de pêches et de nectarines du Roussillon contraints de vendre à un euro leurs produits, lesquels se retrouvaient à 2,50 euros, voire plus de 3 euros, sur les étals des hypermarchés de la côte, à quelques kilomètres de là.

Nous aurions tort de penser que, pour la filière des fruits et légumes, cette mauvaise année 2011 tient aux fluctuations conjoncturelles des marchés : il s'agit d'un problème structurel qui affecte l'agriculture française dans son ensemble. J'ai donc la conviction que nous arrivons à la fin d'un système.

Les prix d'achat de la production agricole subissent de fortes pressions à la baisse, alors que les coûts des consommations intermédiaires, eux, ne cessent d'augmenter, qu'il s'agisse des prix de l'énergie, des engrais ou des produits phytosanitaires. Cette double évolution ne peut qu'avoir des conséquences dramatiques.

Quelques chiffres permettront de mesurer l'ampleur de la crise qui affecte ce secteur essentiel pour notre pays. Si l'on en juge par les moyennes triennales, le revenu agricole, tous secteurs confondus, n'a pas évolué depuis 1995. Les revenus des exploitations familiales et de taille modeste ont même baissé, plongeant des milliers de paysans et leurs familles dans la pauvreté.

Comment en sommes-nous arrivés là ? S'agissant de la formation des prix, nous ne disposons pas de données aussi précises qu'il le faudrait : le premier rapport annuel de l'Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires, publié le 27 juin 2011, souligne le manque d'informations fournies par les distributeurs. Il a néanmoins le mérite de mettre en lumière certaines pratiques. Ainsi, sur plusieurs produits, les marges de la grande distribution ont presque doublé en dix ans.

L'exemple de la longe de porc l'illustre. En 2000, 45 % du prix final de ce produit revenait à l'éleveur, contre seulement 36 % aujourd'hui. La part de l'industriel chargé de l'abattage a également chuté de 11 à 8,8 %. En revanche, le distributeur a considérablement augmenté sa marge, puisqu'il touche aujourd'hui 55 % du prix final, contre 39 % en 2000.

Cette domination sans partage sur la valeur ajoutée au sein des filières a été facilitée par les évolutions législatives récentes, en particulier la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et la loi du 4 août 2008, dite de modernisation de l'économie. La déréglementation des relations commerciales entre producteurs et distributeurs, notamment par la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente, a affaibli les producteurs dans la négociation : tous les responsables du monde agricole en conviennent. Les pratiques contractuelles de la grande distribution – politique active d'importation en fonction de l'arrivée des productions françaises sur les marchés, par exemple – maintiennent une pression à la baisse des prix d'achat, obligeant les producteurs à vendre bien en deçà de leurs coûts de production.

Dans ces conditions, comment s'étonner que les exploitations agricoles connaissent autant de difficultés ? De 2000 à 2010, le nombre d'exploitations a diminué de 26 %, et l'emploi agricole de 22 %. Ce sont évidemment les petites et moyennes exploitations, les exploitations familiales, qui ont payé le plus lourd tribut, alors que le nombre de très grandes exploitations s'est accru. L'extrême concentration du nombre d'exploitations sur le territoire national doit nous interpeller sur les caractéristiques du tissu rural en ce début de XXIe siècle, et sur la capacité de notre pays à maintenir, dans les prochaines décennies, une agriculture diversifiée, de qualité, à dimension humaine.

Pourtant, pour les consommateurs, les prix alimentaires ont crû de 2 % par an, avec des hausses allant jusqu'à 13,5 % pour les produits frais. Certes, la part du budget des ménages consacrée à l'alimentation est passée de 20 % dans les années 1960 à 13 % aujourd'hui, mais la consommation de fruits et légumes frais n'a pas progressé depuis cinquante ans. On le sait, la consommation de produits frais est directement liée au pouvoir d'achat des ménages et à leur catégorie socio-professionnelle. Une politique de l'alimentation ambitieuse suppose donc, en priorité, de soutenir la demande de produits frais pour les foyers les plus modestes.

Pour toutes ces raisons, il paraît indispensable de réguler – pour employer un concept redevenu à la mode – les marges et les pratiques de la grande distribution, avec la double ambition d'une alimentation de qualité accessible à tous et d'une rémunération digne du travail paysan. C'est précisément l'objectif du présent texte, qui propose trois outils pour cela.

L'article 1er applique un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat et le prix de vente des produits agricoles. L'objectif est d'étendre l'application d'un dispositif qui a existé de 1945 à 1986, avant d'être réintroduit en droit français en 2005 pour le secteur des fruits et légumes, sans toutefois être mis en oeuvre. Le coefficient multiplicateur tend en fait à limiter les taux de marge des distributeurs. Le principe en est simple : l'État fixe un coefficient, sous la forme d'un taux plafond, entre le prix d'achat au producteur et le prix de vente au consommateur. Pour une efficacité optimale, cette mesure s'appliquerait évidemment à toute la chaîne des intermédiaires.

L'article 2 propose de définir un prix minimum – indicatif, afin de ne pas contrevenir à la réglementation européenne – pour chacune des productions. Ce prix serait défini au niveau interprofessionnel, via une concertation au sein de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, FranceAgriMer.

L'article 3 institue une conférence annuelle par production, regroupant l'ensemble des acteurs des différentes filières – fournisseurs, distributeurs et producteurs –, en élargissant le champ de la représentativité syndicale agricole aux organisations minoritaires. Cette conférence annuelle donnerait lieu à une négociation interprofessionnelle sur les prix, et fixerait un plancher pour les prix d'achat aux producteurs. Les auditions que j'ai menées me conduisant à penser qu'un consensus est possible ; je défendrai, en séance publique, un amendement tendant à modifier la rédaction de cet article.

Une véritable logique articule donc les articles 2 et 3 : celui-ci complète celui-là en créant un prix plancher qui pourra servir de référence à la définition du prix minimal indicatif, avec l'objectif de modérer les marges de la distribution.

Par ailleurs, les associations de consommateurs auraient toute légitimité à participer aux négociations sur les prix : je défendrai donc un amendement en ce sens lors de l'examen en séance.

Alors que l'Europe a démantelé la plupart de ses instruments de gestion des marchés et déconnecté les aides de la production, afin de les supprimer plus facilement à l'avenir, les paysans se tournent vers l'État, lequel se tourne vers le G20 et vers l'Europe.

Les produits agricoles et alimentaires ne sont pas des biens de consommation comme les autres : on ne peut les échanger sur des marchés mondialisés où la spéculation règne en maître, mettant en péril tant la survie de nos exploitations que l'autosuffisance alimentaire de l'Europe et, in fine, l'équilibre alimentaire mondial. Les grands groupes de la distribution ne doivent pas se voir confier les pleins pouvoirs dans leurs relations avec les agriculteurs, sous peine de mettre en péril des pans entiers de notre agriculture, tandis que s'opère un véritable racket sur les consommateurs, captifs des hypermarchés. Les mesures que je vous présente ne visent qu'à rétablir un juste équilibre entre tous les acteurs de la filière, au bénéfice des consommateurs.

Cette proposition de loi n'entend évidemment pas résoudre, à elle seule, tous les problèmes du monde agricole, mais apporter une première réponse concrète à la question des prix et des revenus. Je souhaite donc que ces mesures, bien entendu amendables, recueillent un large assentiment de notre commission : elles redonneraient un véritable espoir à des agriculteurs à bout de souffle, et ce sans pénaliser les consommateurs. Je vous donnerai, s'il en est besoin pour vous convaincre, les résultats d'un sondage réalisé par la TNS Sofrès du 27 au 30 mai 2011 pour le compte de la Semmaris, société gestionnaire du marché international de Rungis, sur le thème : « Quelles régulations pour l'agriculture et l'alimentation des citoyens ? » À la question : « l'État doit-il aider les producteurs à fixer leurs prix face aux distributeurs ? », 77 % des personnes interrogées se sont déclarées favorables, contre 14 % qui estiment qu'il faut laisser les prix se fixer librement. Les raisons invoquées pour expliquer les principales difficultés du monde agricole français sont, dans l'ordre, la difficulté de vendre les produits agricoles au juste prix, la concurrence d'autres pays et le faible pouvoir de négociation des agriculteurs face aux distributeurs industriels.

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