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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 16 novembre 2011 à 15h00
Répartition du contentieux et allégement de certaines procédures juridictionnelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons a une généalogie quelque peu singulière. En effet, il est constitué de l'agrégation de deux projets de loi : l'un relatif à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles, l'autre portant réforme des juridictions financières.

Je ne reviens pas sur les péripéties de la navette et celles des lectures successives de ce texte ; je constate seulement qu'aujourd'hui, le Gouvernement choisit, en se fondant sur l'article 45 de la Constitution, de demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement, ce qui nous empêche d'amender le texte voté par l'Assemblée en nouvelle lecture.

Pour expliquer l'échec de la CMP, il convient de préciser que nos collègues sénateurs se sont irrités de découvrir lors de la réunion de la commission mixte paritaire des dispositions relatives aux juridictions financières, qui étaient ainsi soumises pour la première fois à leur accord.

Avec la réforme des juridictions financières nous avons bien affaire à ce que certains ont qualifié de « méga-cavalier législatif ». Une telle question aurait pourtant mérité qu'après une discussion approfondie, un accord soit trouvé entre les deux assemblées.

Le projet de loi cumule deux objets ; il aborde deux sujets qui méritent un autre traitement que celui, contestable et, selon nous, inacceptable, auquel ils sont soumis.

Dans ce que nous pourrions appeler sa partie « historique », le projet de loi supprime la juridiction de proximité, même si les juges de proximité sont maintenus et rattachés au tribunal de grande instance. Il crée de nouvelles juridictions, à savoir un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre au sein du tribunal de grande instance de Paris. Il met en place des juridictions spécialisées en matière d'accidents collectifs, tels que les accidents industriels ou les catastrophes aériennes. Il organise une réforme de la justice militaire, et modifie certaines règles de procédure en matière de divorce et de médiation familiale.

Comme l'a dit le rapporteur de la commission des lois du Sénat, un accord global aurait peut-être pu être trouvé en commission mixte paritaire sur ces nombreuses dispositions. Je dis « peut-être », car si une logique court tout le long du texte, c'est bien celle consistant à « extraire » des tribunaux une partie des procédures.

Le texte prévoit deux mesures de « déjudiciarisation » – veuillez excuser ce néologisme : d'une part, l'extension du champ de l'ordonnance pénale, et, d'autre part, l'augmentation du périmètre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Avec l'ordonnance pénale, comme le disait le sénateur Jean-Pierre Michel, « les choses vont vite », et le justiciable est condamné sans avoir comparu. Il reçoit un courrier, qu'il comprendra ou non, l'informant que faute d'une opposition de sa part, il sera condamné. Et puis voilà, c'est tout ! Ceux qui, dépourvus de moyens et d'appuis, ne se poseront pas de questions, seront condamnés sans avoir même pu au moins comprendre ce qui leur arrive.

Un justiciable, un juge et un avocat : juger de la sorte reste une façon humaine de faire et de rendre la justice. À défaut d'y consacrer les moyens utiles, on étend le champ de ce qui est fait en dehors du cadre.

Avec l'extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, 60 % des affaires pénales seront jugées demain par un procureur, qui n'est pas un juge indépendant, comme l'a rappelé la Cour européenne des droits de l'homme.

Même si l'on s'en tient à ces deux mesures, ce texte n'est pas acceptable.

En ce qui concerne les dispositions du projet de loi consacrées aux juridictions financières, j'irai dans le sens de la majorité sénatoriale.

La réforme initiale des juridictions financières se trouve amputée de ses dispositions les plus radicales ou les plus sensibles : l'unité organique, l'unicité de corps, et la responsabilité des ordonnateurs.

Trois dispositions ne manquent pas de poser question.

Le projet de loi renvoie la définition du siège et du ressort des chambres régionales des comptes au pouvoir réglementaire, sous forme d'un décret en Conseil d'État. Il en limite le nombre à vingt, contre vingt-sept aujourd'hui.

Il pose le principe de l'élaboration de normes professionnelles que devront respecter les magistrats financiers.

Il relève les seuils de l'apurement administratif, lequel sera étendu aux communes dont la population est comprise entre 3 500 et 5 000 habitants et à leurs établissements publics, ainsi qu'à la plupart des établissements publics locaux d'enseignement. Ces dispositions limitent en droit la compétence des juridictions financières : dans les faits, les chambres régionales des comptes ne contrôleront plus directement et systématiquement qu'un gros tiers des 9 300 collectivités locales dont elles jugent aujourd'hui les comptes. Elles pourront, il est vrai, appeler en examen la gestion des collectivités soumises à l'apurement administratif.

À ces différents points correspondent des questions de fond traitées à la va-vite par le projet de loi.

Ainsi, la délégation accordée au pouvoir réglementaire pour décider du nombre de juridictions financières me paraît aller à l'encontre du caractère nécessairement public et discuté de toute évolution de notre carte juridictionnelle financière.

Par ailleurs cette délégation est de nature à générer de futures inégalités entre régions, et, plus fondamentalement, entre les collectivités, entre les élus et surtout entre les citoyens et entre les contribuables. Qui pourra leur garantir le caractère objectif des critères à partir desquels une évolution, certes souhaitable, aura lieu ? Le Gouvernement ne sera-t-il pas tenté de faire disparaître certaines chambres, au-delà de ce qui est nécessaire, sans la transparence indispensable ?

Je note également qu'aucune borne basse n'a été fixée, ce qui aurait constitué une garantie de couverture et d'activité minimale de contrôle des collectivités territoriales. J'ajoute que le rétrécissement du champ de compétences des juridictions financières en fonction de la taille des collectivités locales ne me paraît pas souhaitable. À un moment où la gestion publique est sous le feu de l'actualité, je ne crois pas qu'il faille adresser un signal de retrait des juges, notamment financiers.

En ce qui concerne l'application de référentiels, les juridictions financières n'ont pas attendu la loi : la certification des comptes de l'État et celle des organismes de sécurité sociale du régime général en témoignent déjà.

En conséquence, alors même que la responsabilité des ordonnateurs aurait pu être introduite sous des formes adaptées et limitées, le « méga-cavalier » législatif que constituent les dispositions relatives aux juridictions financières me paraît déplacé et non pertinent. Il est dépourvu de la qualité nécessaire pour être incorporé dans notre ordonnancement juridique.

Pour l'ensemble de ces raisons, et celles évoquées par les orateurs qui m'ont précédée, nous sommes opposés à ce projet de loi et nous disons un grand « non » à ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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