Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après plusieurs mois de débats, notre assemblée est donc appelée à statuer définitivement sur ce projet de loi.
Notre position n'a jamais varié : au-delà de la méthode employée, nous rejetons ce texte, tant en raison de son manque de cohérence que de ses principales dispositions. Lors de la précédente lecture, j'avais qualifié ce projet de texte fourre-tout ; il comprend en effet des dispositions aussi disparates que techniques.
Je me bornerai aujourd'hui à évoquer succinctement les mesures que nous considérons comme les plus problématiques.
En matière civile, la suppression des juridictions de proximité et, par conséquent, le rattachement des juges de proximité au tribunal de grande instance, constituent un retour en arrière caractérisé par l'abandon total du souci de favoriser l'accès à la justice pour les litiges civils de faible valeur.
En limitant le rôle des juges de proximité à la participation aux audiences collégiales du tribunal de grande instance et à la procédure non contradictoire d'injonction de payer, le projet de loi vise simplement à compenser les insuffisances du recrutement de magistrats professionnels. Les juges de proximité deviennent, en quelque sorte, une variable d'ajustement qui permet de faire face aux besoins.
Le projet de loi renvoie aussi une masse très importante de dossiers devant la justice d'instance sans accorder à cette dernière aucun moyen supplémentaire. Il en résultera inévitablement un traitement plus expéditif des dossiers qui réduira fortement les capacités d'écoute du juge à l'égard des justiciables – notamment de ceux qui ne sont pas représentés par un avocat en raison du faible montant du litige.
En matière familiale, les problèmes que nous avons soulevés durant nos discussions antérieures demeurent concernant l'expérimentation, prévue à l'article 15, d'une médiation obligatoire avant saisine du juge aux affaires familiales aux fins de modification des modalités d'exercice de l'autorité parentale ou de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans le cadre du divorce ou de la séparation.
Le problème du consentement se pose : il y a un risque de confusion entre la médiation familiale classique et la tentative de médiation obligatoire dans une procédure post-divorce introduite par le texte. Des problèmes apparaissent aussi en matière de financement, en cas de généralisation ultérieure du dispositif, et en ce qui concerne l'insuffisance programmée du nombre des médiateurs familiaux qui fait courir le risque de voir se développer un marché privé de la médiation.
En matière pénale, deux mesures prises sous le prétexte de la simplification sont pour nous inacceptables : l'extension du champ de l'ordonnance pénale et celle du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Concernant l'ordonnance pénale, même si, fort heureusement, monsieur le garde des sceaux, vous ne vous êtes pas aligné sur la proposition Guinchard qui préconisait l'extension de cette procédure à la quasi-totalité des délits, vous proposez tout de même son extension à un certain nombre d'entre eux, précisément énumérés. Faut-il rappeler que l'ordonnance pénale se caractérise par le fait que le prévenu est jugé sans audience, en son absence, sans être assisté ou représenté par un avocat et sans avoir accès au dossier de la procédure ? Certes, le prévenu peut faire opposition, mais il ne peut faire valoir aucun moyen de défense avant la décision, puisqu'il n'est même pas convoqué pour s'expliquer et se défendre. Cette procédure accélère certainement les choses, mais c'est au détriment des justiciables.
Plus grave encore, vous donnez la possibilité au parquet de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour l'ensemble des délits, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions limitativement énumérées. Ce « plaider coupable » à la française permet une sorte de négociation de la peine avec le parquet. Certes, un juge du siège doit homologuer la décision, mais il a finalement très peu de marge de manoeuvre : il ne peut qu'accepter ou refuser la peine choisie par le parquet. Un tel transfert de pouvoirs aboutit au fait que près de la moitié des mesures répressives seront finalement décidées par les procureurs de la République. Si ce texte est adopté, ils jugeront 60 % du contentieux pénal. Cela est totalement inacceptable. Les magistrats du parquet sont soumis hiérarchiquement au ministre de la justice et ils n'apportent pas les garanties d'impartialité nécessaires à une administration sereine de la justice. La Cour européenne des droits de l'homme est de cet avis ; elle l'a rappelé dans les arrêts Medvedyev, du 29 mars 2010, et Moulin, du 23 novembre 2010.
Je veux maintenant insister sur les dispositions réformant les juridictions financières introduites de manière inopinée dans le projet de loi. Une telle réforme, qui suscite depuis quatre ans une opposition unanime des magistrats et des agents de la Cour des comptes, comme celle des chambres régionales, n'a pas sa place dans le présent texte. Elle mériterait pour le moins un véritable débat à l'occasion de l'examen d'un texte spécifique.
Sur le fond, deux articles sont particulièrement dangereux, comme le soulignent avec gravité l'Association des magistrats des chambres régionales des comptes et son président, Marc Larue.
Le premier, l'article 24 novodecies, dispose que le nombre de chambres régionales des comptes ne peut être supérieur à vingt. Les chambres étant aujourd'hui au nombre de vingt-sept, il faut s'attendre à ce que sept chambres, vraisemblablement situées en métropole, soient supprimées. Il existe, en outre, un sérieux risque que l'on aille plus loin, puisque la loi édicte un plafond et non un plancher. Cela sera d'autant plus facile qu'il suffira d'un simple décret pour supprimer une chambre.
Le second article dangereux, l'article 24 decies, conforte cette crainte. Il prévoit en effet le relèvement des seuils de l'apurement administratif des comptes. Cette mesure a pour effet de soustraire à la compétence des chambres régionales des comptes l'examen des comptabilités les moins volumineuses, mais le principe même de la responsabilité des comptables publics locaux devant les chambres s'en trouve altéré. Je vous renvoie au rapport rédigé, au nom de la commission des lois de son assemblée, par le sénateur Yves Détraigne. Il y est précisé que l'application du nouveau régime de l'apurement administratif défini par le projet de loi donnerait compétence aux chambres régionales des comptes pour juger les comptes de 3 606 communes, soit seulement une commune sur dix ; de 1 545 établissements publics de coopération intercommunale au lieu de 2 763 aujourd'hui ; et de 312 établissements publics locaux d'enseignement au lieu de 8 128 aujourd'hui.
Cette réforme des juridictions financières suscite l'opposition de tous les syndicats. En effet, en refusant de confier aux chambres régionales des comptes le jugement de la responsabilité financière des élus locaux et en réduisant leur présence sur le territoire, elle conduira à l'affaiblissement de ces juridictions financières.
Nous considérons que ces dispositions, qui constituent à l'évidence des cavaliers législatifs, devraient faire l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel. Notre groupe parlementaire n'a pas les effectifs qui lui permettraient de déposer seul un tel recours, mais il est évidemment prêt à s'associer à une telle initiative.
Pour toutes les raisons que je viens d'exposer, les députés du groupe GDR voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)