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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 16 novembre 2011 à 15h00
Répartition du contentieux et allégement de certaines procédures juridictionnelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus à la troisième et dernière lecture d'un texte pour lequel le Gouvernement a choisi…la procédure accélérée ! Il s'agissait d'un texte « technique », déposé sur le bureau du Sénat le 3 mars 2010 et inscrit à son ordre du jour un an plus tard seulement !

Il a fallu trois mois supplémentaires pour que notre assemblée s'en saisisse et y introduise toute une série de dispositions qui en ont doublé, voire triplé le volume et en ont manifestement dénaturé l'idée première : « mieux faire fonctionner notre justice et alléger certaines procédures juridictionnelles ». Encore faut-il se méfier ici du terme « allégement » : il fait trop penser à une justice expéditive qui s'affranchirait de nos principes fondamentaux, comme la procédure contradictoire et la personnalisation des peines.

Je ne reviendrai pas sur le débat en commission des lois ni sur l'introduction des dispositions relatives aux juridictions financières, que d'autres collègues évoqueront.

Je ne reviendrai pas non plus sur l'échec de la commission mixte paritaire : la majorité elle-même a montré qu'on ne pouvait traiter de la sorte le travail parlementaire.

Entre-temps, c'est une autre majorité qui s'est saisie de ce texte le mois dernier, pour le rejeter.

Voilà donc un texte qui a été rejeté à deux reprises par deux majorités différentes. Vous ne serez pas étonné, monsieur le garde des sceaux, qu'il ne reçoive pas notre assentiment. Plusieurs raisons motivent notre refus.

C'est d'abord l'éparpillement des mesures, au risque de méconnaître l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

C'est l'insertion d'articles sans aucun rapport avec le texte : ainsi, on transcrit une directive relative à la simplification des obligations comptables, afin d'éviter une condamnation de la France par la justice européenne.

Ce sont les nombreux cavaliers législatifs qu'il contient, comme trop souvent désormais.

Nous nous y opposons, enfin, sur deux points clés de la procédure pénale : la disparition du procès contradictoire et l'extension de la compétence du parquet.

En effet, sous couvert de simplification, votre texte prévoit deux mesures inacceptables sur le fond : l'extension du champ de l'ordonnance pénale et celle du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Il est vrai que, avec l'ordonnance pénale, les choses vont plus vite. Le justiciable est condamné sans avoir comparu. Il reçoit par la poste un courrier, au dos duquel il est écrit qu'il peut faire opposition ; ne sachant pas forcément ce que cela signifie, il ne fait pas opposition, et se voit condamné. C'est ainsi que les choses se déroulent dans le quotidien, pour nos concitoyens.

Il arrive aussi que, bien que prévenus, les justiciables, souvent les plus modestes, ne lisent malheureusement pas bien le courrier qu'ils ont reçu. Ils ont alors la désagréable impression de ne pas pouvoir se défendre.

C'est pourquoi je pense que l'audience contradictoire, réunissant un juge, des justiciables et, éventuellement, des avocats, est la seule façon de juger. Tout autre système porte en germe une atteinte aux droits et aux libertés, une atteinte à notre système judiciaire.

Le genre de procédure accélérée que vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux, ne vise en fait qu'à rationaliser les moyens, à pallier le manque de magistrats et de greffiers et à aller plus vite.

Plus grave encore est l'extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. On l'a assez dit lors de son introduction, cette innovation procédurale n'est pas dans notre tradition judiciaire, dans laquelle c'est le juge qui juge, et non le procureur.

Si l'on vous suit, les procureurs de la République, qui ne sont pas des juges, comme l'arrêt Moulin l'a réaffirmé fortement, jugeront à peu près 60 % du contentieux pénal. Rien que cela !

Et ne me dites pas que le juge pourra ensuite contester. Compte tenu de la masse des affaires que lui transmettra le procureur, il ne fera qu'apposer sa signature au bas d'un document pré-imprimé, comme une ordonnance d'injonction de payer.

À une justice sans procès et sans avocats, n'ajoutons pas une justice sans juge et sans audience. Car ce sont aussi les victimes qui seront oubliées.

De même, écarter la restitution orale des conclusions du rapporteur public dans des domaines aux contours extensibles constitue un recul de la transparence des débats de la juridiction administrative.

Reste la justice de proximité, qui ne constituera plus un échelon de juridiction. Inégale, elle a fait l'objet de critiques. Mais c'est au moment même où elle avait su trouver sa place qu'elle est supprimée, pour être intégrée à la juridiction de premier degré. Cette intégration signifie aussi le déclassement des juges de proximité, qui deviendront de simples assesseurs. Au moment même où l'expérience acquise pourrait faire taire les dernières critiques, c'est un bon moyen de ne plus avoir de candidat !

Après avoir fait entrer dans les tribunaux correctionnels des citoyens en qualité de jurés populaires, après avoir supprimé 270 tribunaux d'instance, on supprime donc la justice de proximité. N'aurait-il pas fallu plutôt la consolider en assurant une formation plus solide encore aux magistrats et en les dotant de moyens matériels ?

La justice de proximité avait trouvé sa place dans l'institution judiciaire parce qu'elle répond au besoin permanent de rapprocher la justice des citoyens dans un environnement marqué à la fois par la judiciarisation de notre vie quotidienne, la complexité des procédures, le coût élevé des auxiliaires de justice, l'engorgement des tribunaux et l'allongement des délais de traitement des contentieux.

Après le tribunal, c'est le juge qui s'éloigne du citoyen au travers des différentes mesures que contient ce projet de loi. Ce n'est pas notre conception de la justice ; aussi ne voterons-nous pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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