Mon rôle consiste à piloter les agences régionales de santé au niveau national. Ma fonction ne me permet pas d'exercer une autorité sur les directions du ministère chargé de la santé mais seulement sur leurs « fonctions support » : je suis donc responsable des moyens des agences régionales de santé et je joue un rôle d'animation et de coordination des « directions métier » du ministère.
Ma fonction exige en effet des qualités de diplomate puisqu'elle consiste à essayer d'amener les différentes directions à travailler ensemble et de façon convergente, notamment en ce qui concerne les consignes qu'elles donnent aux agences régionales de santé. De ce fait, je ne suis pas compétente pour vous parler des affections de longue durée, sujet qui relève de la concertation entre la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et la direction de la sécurité sociale.
Au niveau national, nous nous efforçons de donner aux agences de grandes orientations et de leur fournir des outils méthodologiques afin qu'elles travaillent en fonction d'objectifs et, après évaluation, des résultats obtenus. Les agences régionales de santé se sont engagées sur une trentaine d'indicateurs globaux, dans le cadre de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens signés avec les ministres compétents. Un petit nombre de ces indicateurs sont des indicateurs de moyens mais il s'agit, pour l'essentiel, d'indicateurs de politique publique, dont quelques-uns de santé publique et de prévention, tels que le taux de réalisation des dépistages organisés du cancer du sein et du cancer colorectal ou le taux de vaccination des enfants de vingt-quatre mois contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. Je noterai aussi la présence de quelques indicateurs ambitieux, comme la trajectoire de réduction de la mortalité évitable.
L'ensemble de ces indicateurs a été établi à partir d'une cible nationale. Par exemple, pour la participation des femmes de cinquante à soixante-quatorze ans au dépistage du cancer du sein, l'objectif consiste à passer d'une valeur – nationale – initiale de 52 % de la population féminine à une valeur cible de 65 % en 2013. Sur cette base, la cible a été déclinée par les agences régionales de santé car la moyenne nationale recouvre des disparités régionales, pouvant aller de 25 % à 60 %. On demande donc aux régions en retard d'atteindre au moins la moyenne nationale et aux régions en avance de poursuivre encore leur effort en vue de dépasser l'objectif moyen fixé pour 2013.
Les indicateurs ayant été validés et les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens signés, nous sommes maintenant entrés dans la phase d'évaluation selon un cycle de discussions qui débute le 15 novembre avec l'agence régionale de santé de Guadeloupe et qui s'achèvera fin janvier 2012, afin d'établir un bilan annuel des trajectoires de l'ensemble des agences, pour chaque sujet et pour chaque indicateur.
Outre ceux que j'ai déjà mentionnés, les indicateurs de santé publique portent sur la mortalité prématurée évitable, sur les décès par suicide, sur la prévalence de l'obésité chez les enfants, sur la qualité de l'eau, sur le nombre de logements ayant fait l'objet d'une évaluation sanitaire au titre des procédures d'insalubrité et sur les contrats locaux de santé publique.
Existent par ailleurs des indicateurs d'offre, tels que l'égalité d'accès aux soins sur la totalité du territoire, intégrant l'évolution de la densité médicale et le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires, ou encore le retour à l'équilibre financier des établissements hospitaliers.
Sur cette base, il revient aux agences régionales de santé de « prendre la main » : à elles de trouver les moyens d'avancer dans les directions indiquées. Pour cela, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires leur enjoint d'élaborer un schéma régional de prévention et un plan régional stratégique de santé comprenant une partie purement stratégique et des schémas opérationnels, dont, pour la première fois, un schéma de prévention. Car la prévention n'est pas un élément subsidiaire par rapport à l'organisation de l'offre, mais une dimension à part entière de la politique de santé publique. C'est pourquoi, alors que les agences régionales de l'hospitalisation se contentaient d'élaborer des schémas régionaux d'organisation de l'offre de soins et que la prévention relevait surtout des groupements régionaux de santé publique, les agences régionales de santé qui leur ont succédé disposent désormais d'une vision unifiée et élaborent des schémas de prévention sur la totalité des champs de la santé, ambulatoire, hospitalier et médico-social. Elles réalisent aussi, comme auparavant, des schémas d'organisation des soins comportant un volet ambulatoire, ainsi que des schémas de l'offre médico-sociale.
Il y a environ un an, avec le concours des autres directions du ministère, la direction générale de la santé a confectionné un guide de méthodologie pour l'élaboration des schémas de prévention. Une bonne moitié des agences régionales de santé ont déjà produit un tel schéma, les autres devraient terminer le leur d'ici à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine, en fonction de l'état d'avancement des consultations. Car les agences produisent le document en concertation, aussi bien avec la commission régionale de la santé et de l'autonomie qu'avec les collectivités territoriales, qui mènent de leur côté des actions de prévention.
Une question récurrente nous est posée : les agences régionales de santé produisent-elles autre chose que du papier ? Il est vrai que la loi du 21 juillet 2009 précitée a prévu beaucoup de documents, notamment à travers ce grand plan régional, de nature à structurer l'activité de l'agence régionale de santé mais assez lourd à concevoir et à formuler. Toutefois, en même temps qu'elles édifient leur cathédrale de papier, les agences nous fournissent aussi des exemples d'actions concrètes : en Bourgogne, un programme, dénommé « Peace and lobe », de sensibilisation aux risques sonores auxquels s'exposent les jeunes dans les boîtes de nuit ; en Île-de-France, où la prévalence de cette maladie est assez élevée, un programme contre la tuberculose, à la fois de soins et d'information vis-à-vis des populations les plus fragiles, mobilisant des équipes mobiles qui réalisent des radios des poumons et vérifient la vaccination des enfants ; dans les Pays de la Loire, un programme relatif à la pollinisation et à la recherche des facteurs d'allergies, comportant la culture d'un jardin expérimental permettant de mesurer la vitesse de propagation des allergies au pollen, afin de sensibiliser les professionnels de santé au problème.
Jusqu'ici, la question de l'articulation entre les plans régionaux et les plans nationaux de santé publique ne se posait pas. Les plans nationaux existants ont été largement repris dans les projets régionaux et on retrouve ici et là les mêmes priorités, d'autant qu'il existe aussi un cadrage national de la politique de santé fait par la direction générale de la santé qui met l'accent sur la mortalité évitable, notamment périnatale, sur le suivi des maladies chroniques, sur l'accompagnement du vieillissement et de ses pathologies… La difficulté risque d'apparaître maintenant : une fois que chaque agence régionale de santé aura arrêté son plan régional, comment élaborer de nouveaux plans nationaux articulés avec ce que les régions auront déjà mis en place ? Il devrait s'agir de cadrages nationaux déclinables régionalement ou laissant, pour leur mise en oeuvre, une marge importante de souplesse aux agences régionales de santé. Telle est bien la question qu'on se pose aujourd'hui à la direction générale de la santé. Par chance, son nouveau directeur général, M. Jean-Yves Grall était encore il y a six mois directeur général d'une agence régionale de santé. C'est pourquoi nous essayerons, dans le cadre du prochain plan de santé publique consacré à la santé mentale, de trouver la meilleure déclinaison opérationnelle possible entre le niveau national, dont la valeur ajoutée réside principalement dans la sensibilisation des acteurs nationaux, dans un diagnostic national et dans des préconisations issues de la recherche, et le niveau régional, où chaque agence régionale de santé doit pouvoir intégrer les nouveaux plans au fur et à mesure de leur élaboration. En effet, je ne vois pas comment on pourrait cesser d'élaborer des plans de santé publique pendant quatre ans, le temps que se termine la première phase de contractualisation avec les agences. C'est pourquoi, les procédures engagées continuant de se dérouler en flux, nous réfléchissons actuellement à la meilleure façon d'assurer la cohérence entre les deux niveaux territoriaux.
La dernière convention médicale conclue par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés converge plutôt avec les objectifs figurant dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens des agences régionales de santé. Sans avoir été négociés avec cette préoccupation – l'autonomie de l'assurance maladie l'excluait –, il se trouve que les indicateurs figurant dans la partie de la convention médicale relative au paiement à la performance se révèlent assez proches de ceux qui ont été donnés aux agences régionales de santé, hormis ceux qui ont trait à la prescription et qui, de toute façon, ne les concernent pas comme la vaccination et le dépistage des cancers… Je ne crois donc pas que nous éprouvions de grandes difficultés à articuler les objectifs assignés aux agences pour sensibiliser les professionnels de santé, d'un côté, et le paiement à la performance, de l'autre.
Les programmes de prévention de l'assurance maladie font l'objet d'un accord-cadre avec l'État prévoyant non seulement la gestion du risque à la fois par l'assurance maladie et par les agences régionales de santé, mais visant aussi certains programmes de prévention, tels que celui portant sur le dépistage de certaines maladies et le programme « M'T dents », issu de l'assurance maladie et décliné localement. L'étape suivante consisterait à ouvrir une discussion avec l'assurance maladie sur des programmes de prévention demandés par les agences régionales de santé et relayés par elle. On peut, à cet égard, prendre l'exemple de la rougeole, sujet actuel de préoccupation puisque la prévalence de cette maladie a beaucoup augmenté, occasionnant le décès d'adultes. Cela résulte de la montée, au cours de la période précédente, des incertitudes relatives à la vaccination, dont le taux a fortement diminué. L'agence régionale de santé d'Île-de-France a donc lancé l'idée d'un programme de prévention de la rougeole nécessitant un appui de l'assurance maladie et consistant à favoriser un rattrapage de la vaccination de la classe d'âge la plus déficiente, celle des seize-trente ans. Dans ce cadre, des visites de vaccination pourraient être prises en charge à 100 %, par dérogation aux règles de droit commun du régime général, comme cela se pratique déjà pour le programme « M'T dents ». Lors de discussions au sein du conseil national de pilotage, l'assurance maladie s'est montrée ouverte à cette idée et un groupe de travail a été constitué, en vue d'une concertation qui s'étalera sur plusieurs mois.
Après un an et demi d'existence – deux ans si on compte la phase de préfiguration –, les agences régionales de santé sont aujourd'hui en fin de phase de montage. Elles se sont d'abord occupées de leur organisation propre, avant d'installer toutes les commissions de partenariat, ce qui n'était pas une entreprise aisée. Les tensions que vivent aujourd'hui les services de l'État ne favorisent guère une coordination locale consistant à demander à chaque institution administrative de se mettre en cohérence avec la conduite d'une politique publique. La meilleure façon d'aborder la question consiste donc à identifier quelques points sur lesquels une action concrète est rapidement possible, puis à constater que, comme toujours, c'est en marchant qu'on apprend à marcher.
Les commissions de coordination au niveau local étant maintenant en place et les priorités dans le domaine de la prévention ayant été définies puis soumises à la concertation, les différentes administrations publiques devraient s'impliquer plus facilement.
Une fois que les systèmes d'information régionaux auront été intégrés aux agences régionales de santé, toutes les actions de prévention menées par des réseaux régionaux, comme par exemple la notification des infections nosocomiales, devraient également converger vers elles, ce qui fera de chacune un acteur central détenant le plus grand nombre possible de leviers.
Or une telle politique nécessite des moyens, quand les crédits de la prévention, comme tous les crédits d'intervention de l'État, sont plutôt orientés à la baisse : ainsi du programme budgétaire 204 relatif à la prévention, la sécurité sanitaire et l'offre de soins, du fonds national de prévention et d'éducation en information sanitaire, ainsi que du fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins qui fait déjà l'objet d'un gel de crédits afin que soit respecté l'objectif national des dépenses d'assurance maladie. Dans ces conditions, accroître la fongibilité des crédits augmente la capacité de les réorienter. Cette fongibilité doit demeurer asymétrique afin de préserver les crédits de prévention, ce que demandent fortement les agences régionales de santé afin d'avancer sur les sujets qu'elles ont jugés prioritaires pour leur région.