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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 21 juin 2011 à 15h00
Bioéthique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai mon intervention là où avez terminé la vôtre, monsieur le rapporteur. Vous avez fait référence à Prométhée. C'est une référence intéressante, notamment si l'on se reporte à ce qu'en ont dit les philosophes. Je pense en particulier à Günther Anders, malheureusement oublié, qui a beaucoup écrit sur ce qu'il appelait la « honte prométhéenne ». Jacques Ellul, dès 1953, qualifiait la technique d'enjeu du siècle et expliquait que, lorsque le progrès technique n'est pas contrôlé démocratiquement, il peut se retourner contre le progrès humain et contribuer à nous aliéner.

C'est parce qu'il y a eu des philosophes pour nous ouvrir les yeux et nous expliquer les risques encourus que nous, législateurs, débattons dans cet hémicycle, pour éviter de nous laisser déborder par un progrès technique non contrôlé. Nous sommes donc ici pour fixer un cadre. En même temps, nous devons savoir nous adapter aux évolutions sociales et aux nouvelles structures de la famille et donc fixer, comme on le doit dans une démocratie, les nouvelles frontières de l'éthique.

Je reviens sur la question de la vulnérabilité. Jamais notre monde, qui se croit si puissant, n'a été aussi vulnérable, comme l'a montré la récente catastrophe de Fukushima qui n'est pas un accident industriel mais un accident de civilisation.

Jamais nous ne nous sommes sentis aussi vulnérables devant les menaces du réchauffement climatique, la précarité et ce que certains appellent notre nécessité.

Le droit a pour mission non seulement de civiliser la nature, mais également de protéger les plus faibles. Et c'est parce que nous sommes ici pour protéger les plus vulnérables que nous aurions sans doute dû, à l'occasion de la révision des lois de bioéthique, être plus offensifs – pardonnez-moi l'expression. Être « plus moderne », « plus progressiste » peut-être, mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Mais nous aurions peut-être dû être un peu moins « hors-sol » et surtout accepter de nous adapter à la réalité sociale d'aujourd'hui.

Certes, un petit progrès a été réalisé en commission mixte paritaire. Vous y avez fait référence, madame la secrétaire d'État et monsieur le rapporteur : une clause de révision a été maintenue et le comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé sera informé chaque année.

Mais, si l'on regarde les domaines qui ont été examinés dans le cadre de ce débat de bioéthique, nous voyons que nous en avons oublié un certain nombre.

Je pense non seulement, comme je l'ai déjà dit, au droit de mourir dans la dignité, mais également à un secteur, auquel s'applique le concept de honte prométhéenne d'Anders : celui des nanotechnologies.

Pourquoi n'avons-nous pas évoqué cette technologie qui est déjà à l'oeuvre et a déjà des conséquences sur notre santé et sur notre dignité, sur notre singularité ? Nous savons qu'aujourd'hui, il y a des utopies qui sont financées lourdement par des États et par des groupes privés. Je pense, en particulier, au mouvement qui s'appelle le transhumanisme, qui n'est pas simplement américain, et qui est une pure honte prométhéenne. Nous sommes là au coeur de ce que disait Anders. Les scientifiques et les philosophes de ce mouvement nous expliquent que, demain, la part de l'humain sera résiduelle, grâce à la conception de cyborgs.

Selon eux, le transhumanisme, présenté comme la convergence entre les nanotechnologies, les biotechnologies, les sciences de la vie et l'éthique, permettrait de faire naître un homme parfait. Ils ne se rendent pas compte qu'en imaginant libérer l'homme de la technique, ils vont le livrer à celle-ci pieds et poings liés et en faire un nouvel esclave. C'est contre cela aussi que nous luttons.

Je regrette que les discussions en commission mixte paritaire aient abouti à ce texte contre lequel les députés écologistes voteront, à l'exception d'une de nos représentantes. On ne peut pas se contenter du statu quo car, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, dans un débat comme celui-ci, le statu quo vaut recul. Il est aussi la traduction de ce que nous avons préféré fermer les yeux ou pratiquer la politique de Ponce Pilate plutôt que de regarder la réalité en face.

Par exemple, si l'on note quelques progrès en matière de don d'organes, on ne revient pas sur l'interdiction de mener des campagnes annuelles dans les écoles. Je ne comprends pas davantage l'obstination à interdire la recherche sur les embryons surnuméraires et sur les cellules souches. Il ne me semble pas que le maintien de l'exception en faveur de la recherche médicale – la règle demeurant l'interdiction – soit adapté à la situation : notre rôle doit plutôt être d'encadrer la recherche par la loi. Nous aurions pu mettre à profit la révision des lois de bioéthique pour le faire, pour nous ouvrir un peu plus, et nous aurions ainsi contribué à améliorer la situation de certains de nos concitoyens.

Vous avez également considéré que l'assistance médicale à la procréation devait rester cantonnée dans le domaine médical. Vous prenez donc le risque de perpétuer le phénomène bien connu des « bébés Thalys », qui a fait l'objet de nombreux reportages et de bien des critiques. Certains pays de l'Union européenne ont décidé de s'ouvrir plus que nous sur ces questions. En privilégiant une politique de prohibition ou d'interdiction, nous obligeons des femmes célibataires ou des couples de lesbiennes à se rendre en Belgique pour pouvoir bénéficier de leur droit à la parentalité. Allons-nous ignorer longtemps encore cette demande de la société ? Vous invoquiez tout à l'heure une contradiction entre deux éthiques. Il ne s'agit aucunement de satisfaire à l'égoïsme d'individus qui compteraient sur le progrès scientifique pour exaucer leurs désirs. Il s'agit de tenir compte de l'état de la société et de la capacité dont l'homme dispose aujourd'hui de fonder une famille autrement que par des relations charnelles. Nous l'autorisons d'ailleurs en cas de problèmes médicaux.

Au-delà de cette restriction que vous avez maintenue et qui me paraît trahir un certain conservatisme, il faut noter le recul du Gouvernement. Votre prédécesseur, madame la secrétaire d'État, avait accepté le principe de la divulgation du nom du donneur de gamètes. Il s'agit ici de la question éternelle, en tout cas aussi ancienne que l'humanité : à qui dois-je d'être né ? Le Gouvernement avait accepté ce principe. Il a reculé sous la pression de sa majorité, et il est aujourd'hui impossible de lever l'anonymat. On a expliqué que la levée de l'anonymat risquait d'entraîner une baisse importante du nombre de donneurs. C'est une contrevérité, pour ne pas dire un mensonge, si l'on observe ce qui se passe en Suède, en Grande-Bretagne, en Irlande et dans d'autres pays. En Grande-Bretagne, par exemple, toutes les enquêtes ont montré que la levée de l'anonymat avait au contraire contribué à l'augmentation du nombre de donneurs. Il ne s'agit pas ici d'étaler ses lectures, mais permettez-moi tout de même de faire référence à Marcel Mauss, à la question du don et du contre-don. Celui qui donne ses gamètes à un couple qui ne peut pas avoir d'enfant accomplit un geste fort, qui n'a rien de commercial, puisqu'il n'est pas rémunéré. Il est anormal que, au moment même où nous acceptons l'idée que l'on peut enfanter autrement que par un rapport charnel direct, on refuse au donateur la possibilité d'aller jusqu'au bout de son geste, et donc de répondre à l'enfant qui est né de ce don et qui cherche à savoir à qui il le doit. La commission spéciale a recueilli divers témoignages, notamment ceux d'enfants nés d'un don de gamètes : chacun d'eux voulait savoir d'où il venait mais aucun ne remettait en cause sa parenté sociale, c'est-à-dire le couple formé par ceux qu'il reconnaît comme son père et sa mère, ceux qui l'ont élevé. Nous avons donc été plusieurs à considérer qu'il fallait voter la levée de l'anonymat dans le cadre de cette révision des lois de bioéthique.

Je me suis trouvé relativement isolé à propos d'un autre sujet, la gestation pour autrui. Nous y reviendrons forcément. Nous avons beau être contre la marchandisation des ventres, pour le respect de la dignité, opposés à tout échange commercial en la matière, nous voyons bien ce qui est en train de se passer. Au lieu d'encadrer, de répondre à la proposition du Sénat ou aux interrogations et aux propositions formulées par des sociologues, des philosophes, des spécialistes de ces questions – et je ne prétends pas pour autant qu'ils détiennent la vérité –, on préfère laisser se développer la marchandisation des ventres et se voiler la face pour ne pas voir ces familles qui partent loin, voire très loin, dans des pays pauvres, et continuer une forme de colonisation par le ventre. Nous n'avons pas le droit d'accepter cela, et c'est parce que nous ne l'acceptons pas que nous devons l'encadrer. Le Sénat et les écologistes avaient formulé, à cet égard, des propositions très sérieuses et très fermes, qui auraient permis d'éviter cette marchandisation des ventres.

Tels sont les quelques arguments que je voulais développer pour soutenir la motion de rejet préalable. Je m'exprime ici au nom de mes collègues députés d'Europe Écologie-les Verts, à l'exception d'Anny Poursinoff, qui s'abstiendra. François de Rugy, Yves Cochet et moi-même, nous voterons contre ce texte. Nos autres collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine auront l'occasion d'exprimer leur position.

Pour conclure, je considère que ce texte représente un gâchis. Je suis sûr que, dans l'hémicycle, et y compris sur les bancs de la droite, de nombreux collègues étaient prêts à des ouvertures, non pas pour s'adapter à des évolutions sociales, mais pour les encadrer, en faisant preuve d'un peu de courage. Si l'on peut adresser un reproche au personnel politique, dans sa globalité – personne n'est visé nommément –, c'est que trop souvent nous manquons de courage, trop souvent nous avons peur de prendre le risque de la responsabilité. Chaque fois que nous savons faire preuve de courage, chaque fois que nous prenons des risques au nom de l'intérêt général, les électeurs, qui sont aussi des citoyens, savent le reconnaître. Ne prenons pas les Français pour des imbéciles et des ignorants : comme dans d'autres circonstances où nous avons dû essuyer bien des quolibets, affronter la violence, notre mission, comme celle des journalistes – mon ancien métier –, c'est de lutter contre l'ignorance et la peur de soi. Tous les politiques qui excitent et attisent les peurs, qui maintiennent les citoyens dans l'ignorance, ne font que contribuer, d'une certaine manière, au conservatisme, à la réaction. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

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