de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat riche et fructueux que nous avons eu en commission mixte partiaire s'est soldé par l'adoption de ce texte qui emprunte parfois à celui de l'Assemblée nationale, parfois à celui du Sénat, mais qui résulte le plus souvent d'un compromis entre les deux.
Nous alignant sur la position de l'Assemblée nationale, nous avons ainsi confirmé le droit à l'aide médicale à la procréation pour les couples stériles, sans définir leur statut social ni la durée de leur union. Nous avons aussi confirmé que le don d'ovocytes par les nullipares pouvait être effectué sous certaines conditions. Nous avons inscrit l'information de dons d'organes sur la carte Vitale et confirmé l'information de la parentèle.
Dans certains cas, nous nous sommes rangés à l'avis du Sénat, en particulier sur le fait que les états généraux – expériences qui avaient été extrêmement fructueuses – doivent obligatoirement précéder toute modification du texte sur la bioéthique.
Le plus souvent, nous avons réussi à élaborer un texte de compromis, en particulier quand il s'agit d'informer une femme enceinte d'anomalies potentielles de l'embryon ou du foetus. Dans tous les cas, l'information doit être claire, loyale et adaptée à la situation.
En ce qui concerne la révision des lois de bioéthique, l'Assemblée nationale n'avait pas fixé de date tandis que le Sénat souhaitait une révision tous les cinq ans. Nous sommes finalement parvenus à un compromis : une information et une alerte annuelle, mais une révision systématique tous les sept ans, précédée obligatoirement par le rapport de l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques et par le rapport des états généraux de la bioéthique.
De manière générale, ce texte aboutit à des propositions souvent concrètes et innovantes mais qui, malheureusement, ne franchissent que rarement l'enceinte de l'Assemblée nationale car elles n'accrochent pas la lumière médiatique, ce qui donne une impression de statu quo. Comme les rapports du Conseil d'État, de l'agence de biomédecine ou de l'OPECST avant lui, ce texte est accusé de favoriser l'immobilisme.
Pour autant, il permet l'élargissement encadré des dons d'organes entre vivants et de gamètes dans le cadre de l'aide médicale à la procréation. Il supprime le moratoire de cinq ans sur la recherche sur l'embryon. Il autorise de nouvelles techniques comme la congélation ultrarapide des ovocytes, ce qui est une avancée pour le don d'ovocytes et de gamètes et permet aussi la diminution considérable du nombre d'embryons surnuméraires conservés.
La loi est riche de ce qu'elle autorise, mais elle est aussi forte de ce qu'elle interdit. Rappelons que les panels et les conférences de citoyens mises en place à l'occasion des états généraux de la bioéthique prônaient aussi l'interdiction des mères porteuses, de l'aide médicale à la procréation chez les couples homosexuels ou de la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes.
Contrairement à l'idée généralement répandue, ces mêmes panels et conférences préconisaient l'interdit fondamental de la recherche sur l'embryon. Ils n'étaient favorables à une recherche très encadrée que sur les seuls embryons surnuméraires et donc voués à la destruction en l'absence de projet parental.
Nos concitoyens et tous ces rapports nous ramènent à des idées simples : non marchandisation de l'humain, respect de la dignité de la personne, indisponibilité du corps, bienfaisance. C'est plutôt rassurant dans une société où l'égoïsme et le repli sur soi seraient la mode et la règle.
Dans ce débat, il n'y a pas de querelle entre les anciens et les modernes, pas de combat entre la science et la morale ou entre le progrès et l'humain. Ce n'est pas non plus une lutte entre le bien et le mal.
À la lumière de nouvelles découvertes scientifiques et technologiques, il s'agit seulement de revisiter nos valeurs communes, et de nous interroger sur nos liens et l'importance que nous attachons à la dignité de la personne.
La modernité, au nom de l'efficacité et de la compétition, cache parfois de spectaculaires reculs du respect dû à la personne humaine. Dans ce contexte, il nous faut revenir, comme le disent parfois les rugbymen, aux fondamentaux.
Quels sont les fondamentaux en bioéthique ? L'éducatif et l'affectif priment sur la génétique et le biologique, et dans chaque enfant qui naît, un Mozart sommeille. Antoine de Saint-Exupéry écrivait que si Mozart peut être assassiné par les hommes, il a en lui les potentialités génétiques et biologiques pour être un artiste et s'exprimer pleinement dans la communauté humaine. « Seul l'Esprit, s'il souffle sur la glaise, peut créer l'homme » écrivait-il encore.
La médecine soigne, répare et corrige les pathologies, les anomalies, les imperfections. Elle n'a pas vocation à créer un surhomme en améliorant son acuité visuelle nocturne, par exemple, et le rendre ainsi plus apte à tuer ses semblables pendant les guerres. Son but n'est pas non plus de répondre à toutes les demandes sociétales ou à toutes les insatisfactions individuelles, au risque de privilégier l'individu par rapport au collectif, et le projet égoïste par rapport au projet global.
C'est pourquoi je vous propose de revenir à la raison du plus faible. Faisons en sorte, dans nos délibérations et nos décisions en matière de bioéthique, de donner toujours la primauté à la vulnérabilité sur l'autonomie. Dans l'éthique de l'autonomie – « C'est mon choix ! » –, l'individu se pose en revendicateur vis-à-vis d'une société à laquelle il demande de satisfaire ses demandes. L'éthique de la vulnérabilité défend l'humain, la compréhension de l'imperfection de la personne, l'idée de protéger le plus fragile.
Henri Lacordaire le disait d'une autre façon sur le plan politique : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Je crois que dans ce domaine, la liberté de faire tout ce qui est possible est contraire à l'intérêt de l'humain.
À l'issue de cette longue période de réflexions et de débats – plus de cent auditions en un an, les navettes parlementaires, la commission mixte paritaire – le texte d'aujourd'hui est un compromis. Devant vous, je le revendique. Faire un compromis c'est accepter que l'autre ait sa part dans un débat qui reste ouvert, c'est considérer que l'on n'a pas toujours raison sur tout, c'est donner sa place à l'autre dans la recherche d'un équilibre nécessaire, de la moins mauvaise solution plutôt que de la perfection.
Cependant, il n'y a dans ce texte aucune compromission, aucun renoncement aux valeurs républicaines et humaines de dignité de la personne, aucun fléchissement vers une régression de la science à cause de la morale établie ou étatique, aucun asservissement aux puissances de l'argent ou de l'industrie pharmaceutique.
La fin de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale nous laisse une impression d'inachevé, bien sûr : la science et la réflexion évoluent ; le débat de la bioéthique est la confrontation de la science et de l'homme à ses propres limites. Mais il nous laisse aussi la satisfaction de savoir que chacun a pris de l'autre une certaine part de raison, d'émotion et de participation.
Les Grecs invoquaient la déesse Hybris qui punissait l'orgueil ou l'excès des hommes. Ce texte échappe à cet anathème. Lors du débat précédent, nous trouvions qu'il était préférable d'avoir comme modèle Ulysse – divers, ondoyant, faible et vulnérable, mais s'opposant aux dieux et respectant l'humain – plutôt que Prométhée se prenant pour Dieu et finissant torturé sur un rocher pour avoir voulu conquérir le feu de la divinité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)