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Intervention de Thierry Lazaro

Réunion du 9 novembre 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Lazaro, rapporteur :

Le communiqué final du sommet du G20 qui s'est déroulé la semaine dernière à Cannes est très clair : « promouvoir la production agricole est essentiel pour nourrir la population mondiale ». Il faut en particulier « investir dans la recherche et le développement en matière de productivité agricole ». Le texte que la Commission des affaires économiques examine aujourd'hui participe à la réalisation de cet objectif.

En effet, la création variétale et la production des semences et plants de plantes cultivées sont un élément fondamental de la réponse aux mutations actuelles et à venir du monde agricole et, de façon plus large, de la société. En France, ces deux secteurs sont stratégiques aussi bien pour l'économie que pour la santé et l'environnement.

La France est le deuxième pays exportateur de semences et plants au niveau communautaire, et le deuxième au niveau mondial, avec un chiffre d'affaire de près de 2,5 milliards d'euros, dont 1 milliard à l'exportation. La balance commerciale de la France est excédentaire de 500 millions dans ce domaine – voire 600 millions en 2011.

Ce positionnement est un gage de sécurité pour notre alimentation et pour l'approvisionnement des quelque 530 000 exploitations agricoles que compte le territoire national, et garantit l'accès à des semences et plants adaptés aux conditions agro-pédo-climatiques et aux demandes des consommateurs.

L'offre variétale s'accroît dans le but de répondre aux attentes de plus en plus fines des agriculteurs utilisateurs, des industriels employant les produits de récolte et des consommateurs. Cela se traduit, depuis plus d'un quart de siècle, par une forte augmentation des rendements des productions végétales nationales – de 1,27 quintal par hectare pour le blé tendre et de 56 kilos de sucre par hectare pour la betterave à sucre. Quant au nombre de variétés disponibles, il est passé pour le colza de 8 à 144 entre 1986 et 2007. Des progrès en matière de qualité sanitaire ont été réalisés et l'implantation de semences et de plants sains sur les terres cultivées permet de diminuer le recours aux produits phytopharmaceutiques et donc de limiter l'empreinte des activités agricoles sur l'environnement.

Ces réussites sont largement dues au système original et efficace de protection de la propriété intellectuelle qu'organise le certificat d'obtention végétale (COV). Celui-ci donne à son détenteur, qui est l'obtenteur, un droit exclusif pendant une durée déterminée sur l'exploitation commerciale des variétés végétales qu'il a créées. La rémunération perçue sur les concessions ou licences octroyées permet de rentabiliser les recherches menées et de financer les suivantes.

Ce financement est nécessaire, car l'invention d'une nouvelle variété exige des moyens financiers considérables et, en moyenne, une dizaine d'années de préparation. Le secteur des semences est celui dans lequel l'investissement dans la recherche et le développement est le plus significatif – il y consacre plus de 13 % de son chiffre d'affaires, soit plus que les secteurs informatique et pharmaceutique.

L'exception du sélectionneur constitue l'une des originalités du COV par rapport à l'autre grand modèle de protection de la propriété intellectuelle qu'est le brevet. Le COV permet d'utiliser librement et sans contrepartie les variétés existantes, même protégées, pour en créer de nouvelles et exploiter les fruits de cette création. Le brevet, au contraire interdit, quels qu'en soient la forme ou l'objet, l'utilisation d'une invention brevetée ou de ses fruits sans accord du propriétaire du brevet et versement de droits à ce dernier.

Le système de l'obtention végétale encourage davantage la recherche variétale et, en tant que tel, il est défendu par la France dans le cadre international. La France a été à l'origine de la création de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), qui regroupe les pays utilisant les COV et compte aujourd'hui 69 membres. Des régimes nationaux et européens légèrement différents coexistent néanmoins, car la France n'est pas allée au bout du processus de ratification de la convention UPOV de 1991, alors que le règlement européen de 1994 s'aligne strictement sur celle-ci.

Alors que plusieurs dizaines de pays dans le monde n'ont pas encore choisi leur modèle de propriété intellectuelle sur les végétaux, l'absence de ratification par la France de la convention UPOV de 1991 contribue à fragiliser ce modèle. Or, il n'est pas admissible que quelques grandes firmes internationales – qui ne sont pas françaises – s'approprient les clés de l'alimentation du monde.

Ce texte a donc quatre objectifs : mettre la France en conformité avec la législation internationale relative à la protection des obtentions végétales, conforter le COV face au brevet, donner un cadre juridique aux semences de ferme et encourager la recherche sur les nouvelles variétés végétales.

L'article 1er A modifie la dénomination et le statut juridique du Comité de protection des obtentions végétales en le transformant en instance nationale intégrée au sein du Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES).

L'article 1er B permet d'appliquer aux semences, pour lesquelles les règles des contrôles datent de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes en ce qui concerne le commerce des semences et plant, ce qui est déjà prévu pour les bois et les plants de vigne.

L'article 1er reprend la définition que donne l'UPOV de la notion de variété végétale sur laquelle un droit de propriété intellectuelle peut s'appliquer.

L'article 2 définit les conditions de reconnaissance d'une obtention végétale susceptible de faire l'objet d'un COV. Il faut noter que l'obtention sanctionne un réel travail de recherche et non la simple découverte d'une variété existant déjà.

L'article 3 étend le droit d'exclusivité du titulaire du COV à l'ensemble des actes économiques concernant la variété, de la production à la distribution. Il s'agit d'un alignement sur la Convention UPOV de 1991 et sur le règlement européen. Le droit du titulaire du COV s'étend à la variété essentiellement dérivée (VED) de la variété initiale.

L'article 4 définit les limites des droits de l'obtenteur, notamment du privilège de l'obtenteur, prévoyant un libre accès à la ressource végétale protégée par le COV dans trois cas : les actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales ; par exemple par les jardiniers amateurs ; les actes accomplis à titre expérimental par les chercheurs ; et l'exception du sélectionneur, selon laquelle l'obtenteur d'une variété créée n'est pas redevable à l'obtenteur des variétés qui lui ont servi à cette fin. C'est ce dernier point qui permet de distinguer le brevet du COV. Les droits de l'obtenteur sont en revanche maintenus en cas de nouvelle multiplication de semences.

L'article 5 définit la nouveauté en matière de variété végétale.

L'article 6 permet à toute personne physique ou morale relevant d'un État membre de l'UPOV de déposer une demande de COV auprès des autorités françaises.

L'article 7 simplifie les tests nécessaires pour prouver que la variété obtenue est distincte, homogène et stable (tests DHS).

L'article 8 précise que les actes relatifs aux COV ne sont opposables à des tiers que s'ils ont fait l'objet d'une publication officielle.

Les articles 9 et 11 opèrent des modifications mineures.

L'article 10 crée une licence obligatoire d'intérêt public dans le cas où un obtenteur ne pourrait exploiter le COV qu'il détient. Cette licence existe déjà pour les variétés indispensables à la vie humaine et animale, pour les besoins de la défense nationale et si une invention biotechnologique présentant un progrès technique important en dépend.

L'article 12 prévoit que les COV peuvent être déclarés nuls par décision de justice lorsque la variété ne correspond plus aux conditions de distinction, d'homogénéité et de stabilité et lorsque le droit d'obtenteur a été attribué à une personne qui n'y avait pas droit, comme c'est le cas pour les COV européens.

L'article 13 transpose aux obtentions végétales les règles s'appliquant aux droits des salariés à l'origine des inventions en matière de brevets.

L'article 15 précise que la responsabilité civile n'est engagée qu'en cas d'atteinte volontaire aux droits du titulaire.

L'article 15 bis a été ajouté par la commission au Sénat pour permettre la mise en oeuvre effective des engagements pris par la France dans le cadre du traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (TIRPA), prévoyant la conservation de variétés anciennes du domaine public et permettant l'accessibilité des citoyens aux échantillons de ces ressources.

Les articles 16 et 17 prévoient les modalités d'application de la loi dans le temps et dans certaines collectivités ultramarines.

Enfin, l'article 14 met en place un régime d'utilisation des semences de ferme sur les variétés protégées par un COV.

Le texte autorise – ce qui est interdit actuellement – l'agriculteur à utiliser sur son exploitation le produit de la récolte obtenue grâce à la mise en culture d'une des variétés protégées par un COV, dont la liste est fixée par le Règlement européen de 1994 et peut être élargie par décret. Une indemnité, dont les modalités sont fixées d'un commun accord ou, à défaut, par décret en Conseil d'État, est due aux obtenteurs sauf pour les petits agriculteurs au sens de la PAC, c'est-à-dire ceux qui produisent moins de 92 tonnes de céréales. Les accords interprofessionnels pourront également contribuer à définir les conditions d'utilisation des semences de ferme.

Ce dernier point n'est pas consensuel et j'y reviendrai lors de la discussion sur les amendements. Je crois néanmoins que cet article est nécessaire pour assurer la pérennité du financement de la recherche française, et, donc, de la productivité de notre agriculture.

En termes de méthode, nous avons mené un nombre important d'auditions et rencontré un large panel d'acteurs aux opinions diverses : outre le ministère de l'agriculture, nous avons auditionné des semenciers – le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), LIMAGRAIN, la Société coopérative d'intérêt collectif agricole des sélectionneurs obtenteurs de variétés végétales (SICASOV) et la Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences (FNAMS) ; des syndicats de tous bords – la Coordination rurale, la Confédération paysanne, la Confédération nationale des semences de fermes, Orama, France Nature Environnement et la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) ; des organismes publics – le Comité de la protection des obtentions végétales (CPOV), l'Institut national de la recherche agronomiques (INRA), le Comité technique permanent de la sélection ; ainsi que M. Jean Glavany, ancien ministre, qui avait été rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de la révision de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales.

Les acteurs sont unanimes à reconnaître l'importance du système des certificats d'obtention végétale, notamment par rapport au système concurrent qui est le brevet.

Pour toutes ces raisons, je vous propose d'adopter ce texte tel qu'il a été voté par le Sénat.

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