J'ai grand plaisir à vous présenter ce budget, qui me donne aussi l'occasion d'évoquer avec vous la situation agricole française et de répondre à des questions essentielles pour nos concitoyens et pour le monde agricole.
Monsieur Poignant, je suis profondément convaincu que l'avenir de l'agriculture ne se jouera pas sur l'augmentation ou la baisse du budget du ministère de l'agriculture. Il faut certes maintenir des crédits pour assurer les fonctions essentielles du ministère, mais la clé est dans la modernisation des exploitations, dans les gains de compétitivité, dans l'innovation en matière d'agroalimentaire, dans la défense du budget de la politique agricole commune, vitale pour nos exploitations et sur laquelle nous avons eu gain de cause après deux ans de bataille, ainsi que dans la maîtrise de la spéculation sur les matières premières à l'échelle mondiale – à laquelle nous nous employons dans le cadre du G20.
Ne laissons pas croire aux paysans français que c'est sur les crédits du ministère que se joueront leur compétitivité et leur capacité à réussir demain ! Nous sommes entrés dans un monde totalement nouveau sur le plan économique et européen, mais aussi au niveau agricole. S'il est une chose que je retiens de cette année de la négociation de la PAC et de la négociation du G20 avec le Brésil, l'Inde et la Chine, c'est qu'il nous faut ouvrir les yeux sur la réalité du monde. L'agriculture mondiale est devenue un enjeu de puissance majeur. Nous avons à cet égard tous les atouts pour réussir, et pour réussir beaucoup mieux que les autres, mais cela suppose de prendre certaines décisions économiques courageuses. Ces décisions commencent à apparaître dans ce budget.
Monsieur Forissier, le coup de rabot demandé par le Premier ministre sur l'ensemble des budgets des ministères, représente pour la mission « Agriculture », comme vous l'avez indiqué, 22 millions d'euros. J'ai décidé de faire porter 15 millions d'euros de ces économies sur le programme « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires », qui est celui qui permet de réaliser le plus facilement des économies de fonctionnement, ne serait-ce que par la modernisation de certains outils, comme la télédéclaration de la PAC, qui progresse plus rapidement que prévu. 3,1 millions d'euros sont également prévus sur les crédits « Forêt », en particulier parce que certains crédits prévus à la suite de la tempête Klaus ne pourront pas être dépensés l'année prochaine. Enfin, 2,4 millions d'euros d'économies sont également prévus sur le programme « Sécurité et qualité sanitaire de l'alimentation ». Ces économies résultent des états généraux du sanitaire que nous avons réunis voilà un peu plus d'un an et qui ont conclu à la possibilité de transférer aux agriculteurs une partie des responsabilités vétérinaires – certains des actes les plus simples –, déchargeant ainsi les services publics. Cette mesure ne remet pas en cause la qualité de la sécurité sanitaire en France.
En ce qui concerne le coût du travail, évoqué également par le président Cahuzac et par M. Saint-Léger, il me semble que nous devons tous prendre un peu de recul. Notre principal concurrent en Europe est l'Allemagne – elle l'est désormais dans le domaine de l'agriculture comme elle l'a été auparavant pour les services et pour l'industrie. La réunification allemande, le remembrement des exploitations et l'ouverture de l'agriculture de l'Allemagne de l'Est ont en effet donné à ce pays un poids agricole considérable par rapport à la situation antérieure.
La compétitivité agricole allemande tient à la fois à la taille des exploitations, à un mode de production très différent du nôtre, en raison de cette très grande taille, et à des coûts de production plus faibles, du fait que le secteur agricole allemand n'applique pas de salaire minimum et qu'il embauche massivement des salariés venus des pays de l'Est. Le coût horaire du travail dans l'agriculture est ainsi compris entre 6 et 8 euros en Allemagne, alors qu'il était en France de l'ordre de 12,30 euros – avant les décisions que nous avons prises en la matière depuis 2009.
Je rappelle en outre que, dans l'économie agricole, le coût du travail représente une part considérable du coût de production final. À la différence de l'industrie hautement qualifiée, où il représente 12 % ou 14 % du coût final, le coût du travail compte pour 60 % pour une pomme et pour 55 % pour un cochon. Notre capacité à faire varier le coût du travail a donc une incidence directe sur la compétitivité de notre agriculture dans son ensemble.
Nous avons commencé par exonérer totalement de charges le coût du travail occasionnel, afin de permettre aux exploitations produisant des fruits et légumes – qui sont les plus menacées du fait de la difficulté d'assurer la qualité et d'organiser la production, et auxquelles plusieurs d'entre vous sont très attachés – de combler l'écart de compétitivité.
Comme je l'ai toujours indiqué, l'exonération totale de charges sur le seul travail occasionnel ne suffira pas ; l'exonération devra aussi concerner le travail permanent, comme l'ont demandé Jean Dionis du Séjour et Bernard Reynès à qui nous avons confié une mission. Pour rattraper le retard de compétitivité, notre objectif est la réduction du coût du travail permanent dans l'agriculture française, au 1er janvier 2012, de 1 euro au niveau du SMIC. Cela est conforme à l'engagement pris par le Premier ministre au congrès de la FNSEA à Saint-Malo.
L'objectif est d'exonérer l'ensemble des cotisations conventionnelles, les cotisations légales dues au titre du fonctionnement du service de santé et de sécurité au travail, la contribution de solidarité et la cotisation due au titre du Fonds national d'aide au logement. Cette exonération s'appliquera à un maximum de vingt salariés par entreprise. Elle sera complète pour les salariés rémunérés jusqu'à 1,1 SMIC, puis dégressive, pour s'annuler à partir de 1,4 SMIC. C'est une mesure importante qui devra permettre, là encore, de rattraper le défaut de compétitivité de l'agriculture française. Elle coûtera 210 millions en année pleine et, comme vous l'avez décidé, elle sera financée par le doublement de la taxe sur les boissons sucrées créé par l'article 46 du projet de loi de finances pour 2012 et par un relèvement de la taxe intérieure de consommation prévue par l'article 265 du code des douanes, applicable au gazole utilisé comme carburant diesel. En réponse à la remarque du président Cahuzac, je précise que le coût supplémentaire lié à l'augmentation de cette dernière taxe sera, pour une exploitation moyenne, de l'ordre de 90 euros par an. J'estime que c'est minime et que cela ne posera aucun problème aux exploitations agricoles françaises. Le bénéfice d'une telle mesure, en termes de compétitivité, sera largement supérieur à son incidence sur les coûts de production d'une exploitation moyenne.
Cela dit, la bataille de la compétitivité ne se livre pas seulement sur un dossier. Nous ne pourrons la gagner uniquement en réduisant le coût du travail, même si cette réduction est une obligation. Il faut aussi innover, structurer les filières, moderniser les exploitations, valoriser les produits et monter en gamme. C'est en effet avec des produits de qualité que nous pourrons faire la différence par rapport à nos voisins, aux Allemands notamment. C'est donc une bataille de tous les instants et qui ne doit pas être livrée uniquement par les agriculteurs. L'ensemble de la filière doit en effet faire des efforts en matière de compétitivité. Je pense non seulement aux industriels de l'agroalimentaire et aux PME, notamment, qui ne sont pas suffisamment performantes et sont trop atomisées dans ce secteur, mais aussi à la distribution, qui ne peut s'exonérer de ces efforts de compétitivité et systématiquement tordre le cou des paysans en leur payant moins bien leurs produits parce qu'ils n'auraient pas eux-mêmes consenti les efforts de compétitivité nécessaires pour que leur modèle économique soit plus rentable.
Enfin, il n'est pas question non plus de faire du dumping social. Toute la difficulté est d'arriver à gagner en compétitivité sans pour autant nous rallier à un modèle qui ne serait pas le nôtre. Il n'est pas question d'avoir, en France, des personnels qui travaillent dans les abattoirs pour 6 ou 7 euros de l'heure, comme c'est le cas en Allemagne. L'objectif est d'amener les Allemands à réfléchir à un système différent pour l'organisation de leur production. Chacun doit faire un pas vers l'autre.
Quant à la taxe pour frais de chambres d'agriculture, j'estime que l'augmentation de 1,5 % est suffisante. On ne peut en effet demander à l'État de réduire ses dépenses de fonctionnement, voire certaines de ses dépenses d'investissement, et laisser les taxes augmenter de façon déraisonnable pour certains organismes consulaires, chambres ou autres. Avec cette augmentation de 1,5 %, les chambres seront en mesure de financer l'organisation de leurs élections et d'exercer les responsabilités qui sont les leurs. Je rappelle aussi que cette taxe est financée par une augmentation de la contribution additionnelle à la TFNB (taxe foncière sur le non-bâti), ce qui a une incidence sur la compétitivité des agriculteurs.
S'agissant de l'ONF, nous allons consacrer 46 millions de plus à son fonctionnement avec un objectif stratégique : le développement de la filière bois. Je suis en effet persuadé que cette filière peut être une source importante d'emplois et de création de richesses. Il faut donc réorganiser l'ONF et le soutenir sur le plan budgétaire comme nous le faisons. S'agissant de la contribution demandée aux communes forestières, je précise que la taxe additionnelle sera de 2 euros à l'hectare alors que, selon les documents initiaux, elle devait être comprise entre 2 et 4 euros.
Quant à la négociation de la politique agricole commune, nous avons progressé par étapes. En 2009, la Commission européenne avait proposé une baisse de 30 à 40 % du budget de la politique agricole commune. Nous nous sommes battus, sur la base d'une position commune franco-allemande, pour que ce budget soit maintenu, et il l'est désormais à l'euro près dans le document de travail de la Commission. C'est, pour nous Français, une victoire majeure. Je suis le premier à dire que les paysans doivent pouvoir vivre de leurs prix, mais ils leur faut aussi des primes étant donné tout ce qu'on leur demande en matière de respect des règles environnementales ou sanitaires.
Au cours du dernier Conseil des ministres de l'agriculture, nous avons ouvert la discussion sur plusieurs sujets, au premier rang desquels se trouve le verdissement de la PAC. J'ai toujours dit que j'étais favorable à celui-ci, et je le répète, mais verdissement doit rimer avec simplification. Or, il nous est aujourd'hui proposé une complexification de la PAC qui n'est pas acceptable. Ensuite, le verdissement doit être incitatif et rémunérateur pour les paysans : il ne doit pas les stigmatiser comme c'est le cas aujourd'hui. Enfin – troisième point de divergence avec la Commission –, il nous paraît excessif que 30 % des aides dépendent du verdissement. Il faudrait revenir à un taux plus raisonnable.
J'aurai l'occasion de reparler de la convergence nationale et européenne des aides.
La question du solde commercial est majeure, car la richesse de notre pays, la création d'emplois dépendent de notre capacité à aller chercher des parts de marché à l'exportation. Or, la balance commerciale extérieure française accuse un déficit de plus de 70 milliards d'euros en 2011 alors que celle de l'Allemagne est excédentaire de plus de 100 milliards d'euros. Mais ce tableau plutôt sombre recèle un élément positif : l'excédent commercial de l'industrie agroalimentaire – plus 18 % sur les sept premiers mois de 2011. En 2011, nous allons probablement revenir au niveau de 2009, c'est-à-dire regagner les places que nous avions perdues. Prendre des parts de marché à l'exportation a toujours été une priorité pour moi. Je rappelle qu' en 2011 nous avons repris la place de premier exportateur mondial de vins en valeur, alors que nous avions été relégués à la troisième position. Le seul solde commercial extérieur qui soit à peu près rassurant est celui de l'industrie agroalimentaire. Cela dit, monsieur Cahuzac, je ne m'en contente pas et je pense que, sur le long terme, nous devons être plus offensifs en ce domaine. Nous avons ainsi mis en place un plan de compétitivité, qui n'a pas encore donné tous ses résultats, pour réorganiser les PME, les filières, permettre une prospection plus offensive à l'exportation.
S'agissant des crédits de la sécurité sanitaire, monsieur Vigier, des économies sont réalisées à partir des résultats des états généraux du sanitaire qui doivent nous permettre de transférer certaines responsabilités directement aux opérateurs agricoles.
Sur la crise de l'E. coli, j'ai fait, au précédent conseil des ministres de l'agriculture, des propositions pour une meilleure surveillance sanitaire européenne, s'agissant notamment du croisement des données épidémiologiques humaines avec la traçabilité des aliments fruits et légumes qui n'existe pas aujourd'hui, ce qui explique que nous ayons mis autant de temps à retrouver l'origine de la bactérie.
L'opération « Un fruit à la récré » n'est pas anecdotique : c'est un sujet majeur. Comment fait-on pour garantir que, en France, nous ayons la meilleure alimentation au monde ? Certes, on peut toujours faire mieux, mais nous sommes, parmi les pays développés, celui qui a le moins de problèmes d'obésité. C'est une bataille à la fois sanitaire et culturelle : sanitaire parce que, améliorer la qualité nutritionnelle des aliments, c'est allonger l'espérance de vie ; culturelle parce que c'est la diversité des produits, leur connaissance, le goût qui sont en cause. Sans reprendre l'ensemble des dispositifs créés depuis deux ans, je rappellerai que nous avons pris le décret sur les règles nutritionnelles dans les cantines, qui sont maintenant obligatoires alors qu'elles ne l'étaient pas auparavant – tous les enfants vont donc manger mieux, plus équilibré, moins sucré, moins salé, moins gras. Nous avons également pris le décret sur les circuits courts : pour la première fois, les collectivités locales seront exonérées du seul critère de prix et pourront choisir le critère de la proximité de la production pour passer commande d'un produit alimentaire. En Normandie, par exemple, une collectivité locale pourra donc choisir les pommes normandes même si elles sont légèrement plus chères que les pommes chiliennes. Cette remise en cause du droit de la concurrence européen n'a pas été une bataille facile à livrer.
Toutes les opérations du genre « Un fruit à la récré » n'ont qu'un objectif : faire en sorte que la France reste le pays où l'on mange le mieux au monde, avec la plus grande sécurité sanitaire et la meilleure qualité gustative possible !
Oui, monsieur Saint-Léger, j'ai fait le maximum pour maintenir l'ensemble des dispositifs : prime à la vache allaitante, indemnité compensatrice de handicap naturel ou prime herbagère agroenvironnementale. Ce n'est pas par clientélisme, pour faire plaisir aux uns ou aux autres : simplement, cela correspond à une vision de long terme de l'agriculture française. Si nous voulons conserver une agriculture diversifiée, avec des productions présentes partout sur le territoire, notamment dans les zones de montagne, les agriculteurs doivent toucher ces primes. Il ne s'agit pas de subventions : en effet, cela coûte plus cher de produire dans ces zones. Les modalités de production à l'herbe seront toujours plus coûteuses que celles des exploitations industrielles. Et ces « externalités positives » – pour employer une expression barbare –, il faut bien les payer d'une façon ou d'une autre, et elles ne le seront pas exclusivement par le prix.
C'est une bataille politique majeure que nous livrons à l'échelle européenne. Certains États européens voudraient nous faire croire qu'il suffirait de s'aligner sur le prix. Dans une exploitation argentine de 5 000 hectares, où les conditions de production et les règles sanitaires sont différentes de ce qu'elles sont en Europe, le prix du kilogramme de viande serait alors 50 centimes d'euro moins cher que dans le Massif central, les Vosges ou les Pyrénées. Cela signifierait la fin pure et simple des exploitations d'élevage dans certaines zones en France, ce qui serait une erreur stratégique majeure.
En matière d'élevage, nous sommes le premier producteur européen. Ce secteur représente des dizaines de milliers d'emplois et une création de richesses majeure pour notre pays. Il faut donc maintenir les aides, parallèlement au relèvement des prix !
Pour ce qui est de la sécheresse, nous avons déjà versé, le 15 septembre, un acompte de 100 millions d'euros au titre de l'indemnisation des calamités agricoles. Le solde sera versé début 2012, conformément à l'engagement que j'ai pris devant les éleveurs de Saône-et-Loire. Nous avons également versé par anticipation 3,7 milliards d'euros des aides de la PACS, ce qui soulage la trésorerie des éleveurs. Nous avons aidé au transport des fourrages et garanti la gratuité des péages pour celui-ci. Mais, comme je l'ai dit très clairement aux éleveurs, je ne mettrai pas un euro sur des mesures d'indemnisation supplémentaires immédiates, allégements de trésorerie ou autres, parce que je n'ai pas cet argent et parce que ce n'est pas une solution.
Je me suis battu pour ouvrir des parts de marché à l'exportation pour les éleveurs français en Turquie, en Russie, en Amérique centrale et en Afrique du Nord. Résultat : le prix payé à l'éleveur pour un kilogramme de viande en France a augmenté de 30 centimes d'euro en huit mois, soit la plus forte augmentation enregistrée depuis huit ans. Donc, c'est la bonne stratégie ! Ce qui fera la richesse de nos éleveurs, viticulteurs et producteurs de fruits, c'est leur capacité à s'organiser pour prendre des parts de marché à l'exportation et à vendre des produits qui soient les meilleurs au monde.