Je commencerai par quelques remarques générales. Tout d'abord en ce qui concerne les enjeux majeurs dans le secteur de l'énergie, ils se situent dans le domaine de l'électricité et des transports. Ce sont en effet les deux domaines qui connaissent le plus fort taux de croissance en terme de consommation et qui émettent le plus de gaz à effet de serre. Il faut ensuite prendre conscience que le secteur de l'énergie a beaucoup évolué ces dix huit derniers mois en raison de trois phénomènes. Il s'agit tout d'abord du « printemps arabe » qui modifie considérablement la géopolitique de l'énergie. L'Arabie saoudite, qui représente 25 à 30 % des réserves pétrolières, est entourée du Yémen qui connaît une instabilité politique forte, du Bahreïn, aux portes des gisements pétroliers, de la Syrie, qui a une frontière commune ; s'ajoute une part considérable des travailleurs en Arabie saoudite qui sont des Égyptiens. Il s'agit là d'une première modification de la donne qui nous rappelle l'importance considérable de la géopolitique en matière d'approvisionnement énergétique. Le deuxième changement important concerne l'émergence du risque avec la marée noire dans le golfe du Mexique à la suite des fuites du puits Macondo et les évènements de Fukushima qui ont conduit, de manière rationnelle ou non, au retrait du nucléaire de pays comme l'Allemagne, le Japon, la Belgique ou l'Italie et le choix de l'électricité issue d'énergies renouvelables. On peut d'ailleurs penser que les choses n'iront pas totalement en ce sens et que le grand gagnant sera le gaz naturel, notamment en Allemagne, et que le principal enjeu à venir sera celui du stockage massif de l'électricité. En effet l'électricité se stocke très mal, il existe certes des stations de turbinage et de pompage (STEP) mais leur potentiel est limité, c'est pourquoi nous réfléchissons à des procédés de stockage massif et peu onéreux d'électricité durant une semaine ou un mois. Il pourrait s'agir de stockage par volant d'inertie, de stockage souterrain d'air comprimé, éventuellement à proximité des éoliennes sous forme d'hydrogène avec des électrolyses. Il s'agit là d'un domaine totalement nouveau sur lequel nous réfléchissons et investissons. Enfin le troisième changement concerne l'émergence des hydrocarbures non conventionnels, qui a d'ores et déjà un impact énorme aux États-Unis ainsi que sur le marché énergétique mondial. Il y a peu, les États-Unis devaient importer 80 à 100 milliards de mètres cubes de gaz naturel sur le marché international ; ils sont désormais en passe de devenir exportateurs. Le prix du gaz aux États-Unis est trois fois inférieur à celui pratiqué en Europe, en raison du développement de ces hydrocarbures non conventionnels, ce qui renforce la compétitivité de l'industrie pétrochimique américaine. En terme géopolitique le bouleversement est également majeur puisque les États-Unis disposent désormais de réserves de gaz équivalentes à celles de la Russie. Le fait qu'il existe des potentiels en ce sens en Pologne ou en Ukraine conduit ces pays à investir afin de réduire leur dépendance énergétique à l'égard de la Russie. La question se pose également pour la Chine qui dispose potentiellement de ressources importantes de gaz non conventionnels, des technologies adaptées et qui résoudra différemment les questions environnementales à la lumière de ce qui se passe aux États-Unis ou en Europe. La question d'un approvisionnement suffisant en eau est toutefois présente pour ce pays.
J'ai été auditionné par les différentes commissions parlementaires sur ces questions d'hydrocarbures non conventionnels et je ne ferai donc pas de plus amples commentaires sur ce sujet. Je souligne la grande qualité du rapport de MM. François-Michel Gonnot et Philippe Martin sur les gaz et huile de schiste, qui brosse un tableau très complet de ces questions. On peut toutefois regretter, tout comme les rapporteurs, que les décisions aient été prises avant la publication du rapport.
En matière de prévision des prix des matières premières, la règle chez les prévisionnistes est de chiffrer pour une période postérieure de cinq ans à l'échéance de leur carrière professionnelle et de se prononcer soit sur le niveau des prix, soit sur les quantités mais jamais les deux. Le phénomène de financiarisation du marché pétrolier a été souligné par plusieurs intervenant et est très important. Nous nous trouvons aujourd'hui devant un changement de paradigme sur la fixation des prix du pétrole qui est désormais considéré comme une classe d'actifs par les investisseurs. Or le marché pétrolier présente un attrait pour les investisseurs car il s'agit d'un marché profond, sur lequel on anticipe une croissance des prix en raison des tensions sur les approvisionnements et qui présente la caractéristique d'être volatile ce qui convient aux comportements spéculatifs. On aboutit de la sorte à une déconnection entre le marché physique et le marché papier, les deux se recoupant sur les anticipations que les intervenants sur le marché papier forment sur les prix. Je confirme ma vision selon laquelle les prix du pétrole ne vont pas évoluer à la baisse car d'une part il est indispensable pour les pays de l'OPEP d'avoir un prix à hauteur de 70 ou 80 dollars pour équilibrer leur budget, quitte à agir sur le niveau de l'offre pour faire remonter les prix si nécessairen comme en 2008, et d'autre part, en raison des coûts de production des alternatives au pétrole, que ce soit les biocarburants, le pétrole de schiste ou le pétrole extra lourd qui seraient abandonnés en cas de baisse.
Il y a effectivement beaucoup de scooters électriques en Chine mais c'est le plus souvent en remplacement des vélos ce qui ne va pas dans la bonne direction en matière d'efficacité énergétique. Le véhicule électrique ne se développe pas réellement d'une manière significative en Chine, on en dénombre de l'ordre de 50 000 pour un marché de 13 à 14 millions de véhicules vendus en 2010.
Plusieurs tentatives de développement du véhicule électrique ont été menées depuis le premier choc pétrolier mais n'ont pas abouti. Le contexte actuel est différent : les préoccupations environnementales ont conduit à l'adoption de politiques urbaines qui visent à restreindre la circulation des véhicules thermiques classiques. Un marché de niche est apparu, qui concerne les automobiles à usage spécifiquement urbain ou les véhicules de livraison parcourant moins de 50 ou de 100 kilomètres par jour.
L'électrification des systèmes motopropulseurs constitue en tout état de cause un enjeu très important. À titre d'exemple, la Citroën « DS 5 » illustre la sophistication des véhicules hybrides : son moteur s'arrête automatiquement au feu rouge, ce qui permet de réduire la consommation de carburant en ville de 10 %. La réduction de la consommation de carburant peut également être obtenue par l'amélioration des moteurs conventionnels et la diminution du poids des véhicules ; de fait, depuis trente ans, celui-ci baisse de 5 à 10 kilogrammes par an. Cette évolution est liée à la montée de gamme des automobiles et à l'amélioration de leur niveau de sécurité. L'allègement est un axe de travail important pour les constructeurs car les contraintes relatives aux émissions de CO2sont de plus en plus élevées. On estime que, d'ici 2020 à 2030, la diminution de la consommation par véhicule atteindra une fourchette comprise entre 20 % et 40 %. Si le parc automobile mondial est appelé à augmenter au cours des prochaines années, la consommation de produits pétroliers devrait diminuer dans les pays industrialisés, en particulier en Europe, grâce au progrès technique à venir, notamment dans le domaine des technologies moteur et en particulier de l'hybridation.
Pour répondre aux questions relatives aux carburants alternatifs, je rappellerai en premier lieu que 95 % de la consommation d'énergie du secteur du transport – routier, aérien, ferroviaire et maritime – est issue de produits pétroliers. Cette part est de 50 % pour les trains de la SNCF et d'un niveau équivalent pour ceux de la RATP. Réciproquement, les transports représentent 50 % des débouchés des producteurs de pétrole, et cette part est en augmentation. Si l'électricité et le gaz naturel peuvent être utilisés dans l'industrie automobile, ce n'est pas le cas dans le secteur aérien, où il n'existe pas, pour l'heure, de substitut au pétrole. Des recherches sont actuellement menées sur le mélange de biocarburants et de kérosène. La difficulté provient du fait que le biodiesel ne supporte pas les basses températures. Des travaux sont actuellement conduits par l'IFPEN en association avec EADS, Air France et Sofiproteol, sur la conception de biocarburants destinés au secteur aérien. Cet enjeu est d'autant plus important qu'à compter de 2012, les contraintes environnementales seront renforcées ; il sera notamment possible d'échanger les droits relatifs aux émissions de CO2.Les moyens permettant de réduire les émissions de CO2dans le secteur aérien sont une meilleure gestion de la flotte, la modification des techniques de roulage sur piste et l'utilisation des biocarburants de première, deuxième ou troisième génération.
Les biocarburants de première génération présentent un bilan environnemental positif si leur utilisation à des fins énergétiques n'excède pas 5 % à 7 % de l'ensemble de la production ; au-delà de ce seuil apparaissent des risques de concurrence entre les usages alimentaires et non alimentaires. Il y a quinze ans, nous nous trouvions dans un contexte complètement différent : il existait des « jachères énergétiques ». L'enjeu consistait à développer l'emploi agricole et à utiliser les récoltes à des fins non alimentaires.
Les biocarburants de deuxième génération utilisent d'autres matières premières, telles que les déchets du bois, la paille et les cultures dédiées – l'IFPEN travaille notamment sur ces sujets dans le cadre des projets « Futurol » et « BioTfuel ». Les résultats sont attendus d'ici 2016 à 2017 mais, en la matière, la France n'est pas en retard. Notre objectif étant, naturellement, de valoriser le fruit de nos travaux, il faudra, à un moment donné, qu'un industriel accepte de construire un prototype destiné à l'expérimentation. Cela illustre notre approche de l'innovation. Nous associons toujours les industriels très en amont des projets. Par exemple, dans le domaine du bioéthanol, Tereos est partie prenante de nos travaux de recherche et pourrait, à terme, financer une éventuelle réalisation industrielle.
Les biocarburants de troisième génération concernent un horizon de plus long terme. À cet égard, il importe de distinguer deux usages possibles des algues : la chimie verte et le développement des biocarburants. Alors que le premier usage se caractérise par un faible volume et une marge financière élevée, en revanche, le second porte sur un volume élevé et se traduit par une marge réduite.
Le budget de l'IFPEN est d'environ 300 millions d'euros, dont 50 % émanent de nos ressources propres, qui ont connu une forte augmentation au cours des dernières années. Nos effectifs – qui sont situés aux deux tiers à Rueil-Malmaison et pour le tiers restant au sud de Lyon, s'élèvent à 1 700 personnes, auxquelles il convient d'ajouter les thésards et les post-doctorants. La dotation budgétaire versée par l'État a diminué de 40 % depuis 2002 en euros constants. L'IFPEN est toutefois parvenu à maintenir ses efforts de recherche dans le domaine des nouvelles technologies de l'énergie grâce à l'accroissement de ses recettes et à la réduction de ses dépenses de recherche, en particulier concernant les programmes a priori les plus risqués et de plus long terme.
On peut s'interroger sur notre valeur ajoutée dans le domaine de la méthanisation, dans la mesure où les technologies existent d'ores et déjà.
Par ailleurs, madame Erhel, je précise que l'IFPEN ne participe pas au projet hydrolien de Paimpol. L'avantage de l'énergie hydrolienne, lorsqu'on la compare à l'énergie solaire ou éolienne, est que l'on sait précisément à quel moment est produite l'électricité.
Je ne sais pas si une coopération est engagée avec la Grèce, mais il existe des enjeux géopolitiques importants dans le domaine du gaz naturel : un gisement a été découvert en Israël, qui constitue le prolongement de gisements connus en Égypte, dans le delta du Nil. Depuis cinq ans, nous avons défini des programmes de travail avec Chypre et nous coopérons également avec le Liban.
En 2035, la part des énergies fossiles devrait se maintenir à hauteur de 80 % du mix énergétique : cette prévision émane tant de l'Agence internationale de l'énergie que du département américain de l'énergie et de l'Union européenne. Enfin, pour répondre à la première question de M. Brottes, je rappellerai que, lorsqu'on parle d'énergie, on évoque essentiellement l'offre mais rarement la demande. Or, la question fondamentale consiste à identifier les moyens d'améliorer l'efficacité énergétique.