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Intervention de Olivier Appert

Réunion du 8 novembre 2011 à 16h00
Commission des affaires économiques

Olivier Appert, président d'IFPEN, Institut français du pétrole - énergies nouvelles :

Mesdames et messieurs les commissaires, je m'adresse à vous aujourd'hui sous une triple casquette, celle de président d'IFP-Énergies nouvelles, de président du Conseil français de l'énergie, entité française du Conseil mondial de l'énergie, et d'ex-président de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE). C'est pourquoi, dans un premier temps de ma présentation, je m'attacherai à vous décrire les défis énergétiques et environnementaux mondiaux. Je souligne à cet égard la dimension mondiale des questions énergétiques, qui explique que l'IFPEN se tourne résolument vers l'international. Dans un second temps, je vous présenterai les technologies qui apporteront des solutions aux défis énergétiques, et les thèmes de travail que l'IFPEN a inscrits dans son contrat d'objectifs et de performance.

Le paysage énergétique mondial est façonné par cinq phénomènes majeurs : l'augmentation de la demande d'énergie – de 36 % d'ici 2035 – et du prix du pétrole ; le caractère limité des ressources en énergies fossiles ; la contribution du secteur énergétique aux émissions de gaz à effet de serre à hauteur des deux tiers ; la difficulté de trouver des substituts aux hydrocarbures pour certains usages, notamment les transports et l'électrochimie ; la tension sur les ressources humaines. De ces phénomènes se déduisent des perspectives énergétiques qui font consensus, et qui ont été traduites par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à travers des scénarios d'évolution aux horizons 2035 et 2050. A cette date, selon le scénario tendanciel, les énergies fossiles, qui auront absorbé les trois quarts de la croissance de la demande mondiale, représenteront encore 80 % du bouquet énergétique ; les investissements nécessaires au développement des capacités de production représenteront 1,4 % du PIB mondial.

Ce scénario n'est pas souhaitable : il faut viser ce que l'AIE appelle le scénario « 450 ppm » – 450 parties par million –, qui correspond à l'objectif de stabilisation de la concentration dans l'atmosphère des gaz à effet de serre en équivalent CO2. Ce chiffre de 450 ppm constitue la limite à ne pas dépasser pour maintenir une probabilité raisonnable de contenir l'élévation de la température moyenne du globe à 2°C. Pour parvenir à un tel objectif, il faut diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui revient à passer d'un flux annuel d'émissions de 28 à 14 milliards de tonnes. De gros efforts devront être réalisés dans plusieurs directions : selon l'AIE, l'amélioration de l'efficacité énergétique, la capture et la séquestration du carbone (CSC), les énergies renouvelables et le nucléaire contribueront respectivement à hauteur de 58 %, 19 %, 17 % et 6 % de la réalisation de l'objectif 450 ppm. Notons que, dans ce scénario vertueux, les énergies fossiles représenteront encore 50 % du bouquet énergétique mondial en 2050.

Une autre façon d'appréhender l'enjeu énergético-climatique est de partir des technologies. Toutes les technologies devront être mobilisées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : les objectifs sont si contraignants que l'on ne peut se permettre d'exclure l'une d'entre elles. Néanmoins, pour évaluer quelle peut être leur contribution respective, il faut résoudre un problème en trois dimensions. Première dimension, leur potentiel énergétique. Par exemple, la géothermie est limitée par des contraintes naturelles, contrairement à la fission nucléaire, dont le potentiel de développement est considérable. Deuxième dimension, la maturité technologique, qui distingue les technologies mobilisables immédiatement de celles, comme la fusion, pour lesquelles l'état des connaissances scientifiques est encore insuffisant. Troisième dimension, la complexité technique. Réaliser des travaux d'économie d'énergie dans le bâtiment demande des compétences et une expertise bien moindres que d'exploiter une centrale nucléaire ou de stocker du carbone dans les aquifères salins.

Les orientations de recherche suivies par IFP Energies nouvelles découlent directement du diagnostic énergétique mondial et de l'évaluation technologique que je viens de vous décrire. Nos travaux s'articulent autour de cinq priorités stratégiques : les énergies renouvelables, la production éco-responsable, les transports innovants, les procédés éco-efficients et les ressources durables. De telles priorités poursuivent deux objectifs principaux : réduire les émissions de gaz à effet de serre, à travers la diversification énergétique, la réduction de l'impact écologique et l'efficacité énergétique, et assurer la sécurité des approvisionnements.

La première priorité de l'IFPEN est de développer des technologies qui permettent de produire, à partir de sources renouvelables, des carburants et des intermédiaires chimiques et énergétiques. Notre institut poursuit trois axes de recherche. Premier axe, la conversion de la biomasse en carburants et intermédiaires chimiques passe par la mise au point de procédés de production de carburants diesel et kérosène, de bioéthanol par hydrolyse enzymatique et fermentation de la biomasse, et de kérosène par hydrotraitement des huiles végétales. Parallèlement, nous étudions les potentialités des biocarburants de troisième génération, à base d'algues, et la faisabilité des filières de transformation de la biomasse en intermédiaires chimiques. Nous participons à deux projets, Futurol et BioTfuel, qui représentent respectivement soixante dix et cent vingt millions d'euros d'investissements. Deuxième axe, la production d'énergie ex-biomasse à haute efficacité énergétique et environnementale nécessite de tester la faisabilité d'installations de conversion de petite à moyenne taille, capables d'atteindre des rendements supérieurs à 70 %. Nous positionnons notre recherche sur les technologies de combustion ou de gazéification en lit fixe suivie de cogénération. Troisième axe, la production d'énergie en milieu marin répond à notre objectif de diversification stratégique : nous comptons adapter nos compétences dans l'exploration et l'extraction offshore et la gestion des plateformes pétrolières au secteur de l'éolien offshore.

La seconde priorité de l'IFPEN, la production éco-responsable consiste à trouver des moyens de limiter l'impact environnemental de la production d'énergie. Le déploiement industriel du captage et du stockage géologique du dioxyde de carbone constitue, à cet égard, une priorité. Toutefois, le CSC fait face à deux défis majeurs, le coût et l'acceptabilité sociale d'installations lourdes.

Autre axe de recherche en matière de production éco-responsable est la gestion efficiente des eaux. Les producteurs de pétrole sont les premiers producteurs d'eau : pour un mètre cube de pétrole, on produit en effet cinq mètres cubes d'eau, d'où le développement de technologies de séparation de l'eau, du pétrole et du gaz, qui pourraient être réutilisées en matière d'énergies vertes.

Notre troisième priorité est le transport innovant, économe et à faible impact environnemental, à travers cinq axes de recherche et développement : technologies moteurs propres à haut rendement, électrification des groupes motopropulseurs, carburants alternatifs à basse émission de CO2, modélisation et simulation, contrôle embarqué. Le moteur thermique existe depuis un siècle, mais des progrès considérables sont encore possibles à partir des moteurs à combustion interne dont l'efficacité peut être accrue. Le couplage entre motorisation thermique et électrique permet d'optimiser leur fonctionnement en améliorant l'efficacité énergétique globale et en faisant baisser les émissions de polluants locaux. Nous travaillons actuellement sur une large gamme d'hybridation, depuis le simple stop-and-start de la Citroën C3 jusqu'au tout électrique. Je citerai deux exemples de projets sur les carburants alternatifs, qu'il faut pouvoir produire et dont il faut s'assurer qu'ils peuvent être utilisés sans problème : le premier vise à trouver des modes de combustion pour les mélanges d'éthanol et de gasoil, dont les modes de combustion sont a priori incompatibles ; le second concerne la validation de carburants alternatifs pour le transport aérien (un vol Air France a récemment effectué un vol Paris-Amsterdam avec des biocarburants). Tout cela nécessite des travaux de recherche fondamentale en modélisation et simulation. Enfin, le contrôle embarqué est une réelle source de progrès ; je dis souvent que la Citroën C3 comporte aujourd'hui autant de puissance calcul qu'Apollo 11 qui a atterri sur la lune ; la supervision de la gestion de l'énergie à bord est un sujet tout à fait fondamental sur lequel nous nous penchons.

Pour terminer, je rappelle que la vocation de l'IFPEN, institut de recherche appliquée, est l'innovation, c'est-à-dire la transformation d'une invention d'un chercheur en produit socialement utile. Nos compétences dans les secteurs énergétiques traditionnels peuvent être mises au service de la création de valeur dans l'économie verte. Pour cela, des partenariats étroits avec l'industrie sont nécessaires. Des sociétés indépendantes que nous avons créées constituent le pivot de notre action en matière industrielle, mais nous avons d'autres vecteurs de valorisation, qui nous permettent de coopérer avec des entreprises : projets de recherche collaboratifs, prestations de recherche et développement, essaimage, accompagnement technologique des PME – qui manquent souvent de capacités pour protéger leurs brevets – ou encore participation à des fonds d'investissement spécialisés dans le domaine des éco-technologies ou éco-industries (fonds Demeter 1 et 2 ou Emertec, créés par la caisse des dépôts, auxquels nous apportons notre compétence scientifique).

En un mot, les défis sont aujourd'hui considérables pour le développement des technologies vertes et il faudra faire flèche de tout bois. Dans le cadre de notre contrat d'objectifs, nous recentrons nos activités sur les nouvelles technologies de l'énergie, à travers les trois priorités que j'ai indiquées : aujourd'hui, la moitié du budget et des dépôts de brevet de l'IFPEN portent sur ce secteur, contre moitié moins il y a encore cinq ans. La valorisation de la recherche pose un sérieux problème et est au coeur de notre mission. Une coordination de l'ensemble des organismes de recherche publique est nécessaire en liaison avec l'industrie, et c'est en ce sens que j'ai été honoré de contribuer au lancement de l'alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie dont j'ai assuré la première présidence.

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