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Intervention de Henri Emmanuelli

Réunion du 7 novembre 2011 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2012 — Aide publique au développement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Emmanuelli, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, veuillez d'abord excuser mon retard. Je tiens à remercier Mme Martinez d'avoir accepté d'intervertir les rôles.

Après Mme la rapporteure pour avis qui vient d'y faire allusion, je tiens une fois de plus à regretter que nous n'ayons pu disposer en temps utile des documents nécessaires à l'appréciation de la véritable aide publique au développement financée par la France. Au moment où je vous parle, nous ne disposons toujours pas de la version imprimée du fameux document de politique transversale qui, seul, donne une image globale de l'APD dans ce pays. Tel était déjà le cas l'année dernière, et en dépit d'une lettre du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes du 18 juillet 2011, par laquelle celui-ci s'engageait à tout nous fournir en temps et en heure, tel est encore aujourd'hui le cas. Aussi rencontrons-nous – ainsi que Mme Martinez l'a indiqué – bien des difficultés pour avoir une vision un peu synthétique de notre aide publique au développement, sachant déjà que la mission dont nous examinons aujourd'hui les crédits ne représente qu'un bon tiers – 37 % – de l'action de l'État en matière d'aide publique au développement. Les deux tiers restants sont en effet éclatés au sein de dix-sept autres programmes tels que l'action de la France en Europe et dans le monde, la conduite des politiques sanitaires et sociales, l'enseignement technique agricole ou encore les prêts de la réserve pays émergents.

En cette fin de législature, la présentation budgétaire de la mission « Aide publique au développement » se révèle donc tardive, éclatée et incomplète, toutes caractéristiques qui ne permettent pas de porter sur elle un regard cohérent.

Dans un contexte de réduction générale des dépenses publiques, le projet de loi de finances pour 2012 préserve néanmoins – ainsi que l'a souligné Mme Martinez – la stabilité des crédits de paiements des trois programmes de la mission « Aide publique au développement », à savoir les programmes 209, 110 et 301. Les crédits de paiement demandés s'élèvent ainsi à 3,333 milliards d'euros contre 3,334 milliards l'année dernière. Stabilité donc – j'ai même cru comprendre qu'un amendement allant un peu plus dans ce sens sera proposé tout à l'heure.

Les autorisations de paiement demandées pour 2012 baissent, en revanche, très fortement puisqu'elles diminuent de 40 %, passant de 4,5 à 2,7 milliards d'euros. Cette diminution, a priori très importante, est avant tout la conséquence de la baisse de 75 % des crédits d'autorisations de paiement demandés pour l'aide multilatérale du programme 110, suite à la reconstitution antérieure des deux principaux fonds concessionnels de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement. Nous assistons là en fait à un cycle. Qu'à la suite de la reconstitution des fonds les autorisations d'engagement baissent n'est pas très significatif en soi : cela ne signifie pas, en effet, que l'aide publique au développement baisse de 40 %.

La mission ainsi « sanctuarisée » en ce qui concerne le programme 110 ne retrace pas les autres catégories de crédits qui participent à cette politique, notamment les crédits budgétaires, hors budget général, nécessaires au décaissement des prêts accordés aux conditions de l'APD, et le coût budgétaire des annulations de dettes. Seule l'indemnisation des annulations de dettes supportées par l'Agence est retracée dans la mission. Les crédits manquants à la mission contribuaient à l'APD, chacun pour des montants consistants, de 100 à 625 millions d'euros selon le programme et à hauteur de 1 715 millions d'euros en 2010 au total. Je suppose que les chiffres doivent être à peu près les mêmes dans le projet de loi de finances pour 2012.

En revanche, la mission comprend des crédits qui ne participent pas à l'aide publique au développement selon le CAD, le comité d'aide au développement. Il s'agit en particulier des crédits afférents à la francophonie dans le programme 209, dès lors qu'ils ne bénéficient pas à des pays en développement inscrits sur la liste établie par l'OCDE, ou encore des dépenses d'accueil des réfugiés inscrits au programme 301 de la mission. De même, les frais d'écolage ou les crédits afférents au sarcophage de Tchernobyl comptabilisés dans la mission n'ont aucun impact sur l'aide au développement. À l'inverse, si le versement au Fonds européen de développement ou au Fonds mondial de lutte contre le sida est intégralement comptabilisé en aide publique au développement, les contributions obligatoires à l'ONU ou bien à la FAO ne le sont que partiellement.

Les crédits regroupés au sein des trois programmes de la mission « Aide publique au développement » transitent par plusieurs canaux : l'aide bilatérale, le canal européen – c'est-à-dire l'aide mise en oeuvre par la Commission européenne, avec une contribution française en forte diminution –, et l'aide multilatérale hors Union européenne, à savoir l'aide mise en oeuvre par les organisations et programmes internationaux.

Le programme 110 a pour objectif affiché de réduire la pauvreté et de participer à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Il concentre des crédits destinés aux deux cent soixante et une institutions multilatérales de développement, ainsi qu'au financement des annulations de dettes bilatérales et multilatérales.

Pour ma part, j'estime qu'en raison de la dispersion de l'aide multilatérale entre ces deux cent soixante et une banques de développement et les fonds sectoriels, ce programme manque de lisibilité et d'indicateurs de résultats. Dans la perspective du sommet de Dusan sur l'efficacité de l'aide au développement, qui doit se réunir en Corée du sud à la fin du mois, quelques éléments concrets sur les résultats de l'aide multilatérale seraient les bienvenus.

Les montants demandés en 2012 pour le programme 110 s'établissent à 627,70 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit un recul de 74 %, et à 1 191,90 millions d'euros en crédits de paiement.

Le volume d'autorisations d'engagement demandé correspond principalement à la onzième reconstitution du Fonds asiatique de développement, aux compensations des annulations de dette envers l'Association internationale de développement, guichet concessionnel de la Banque mondiale, et envers le Fonds africain de développement, dans le cadre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés. Je rappelle que les fortes variations des autorisations d'engagement s'expliquent par le caractère cyclique de l'abondement de ces fonds concessionnels. En effet, les fonds multilatéraux d'aide au développement sont reconstitués périodiquement et les pays contributeurs s'engagent sur une période pluriannuelle.

Ainsi, la France participe aux fonds d'aide aux pays sortant de crise, comme l'Afghanistan, le Pakistan ou la Palestine, à divers fonds de lutte conte le blanchiment des capitaux ainsi qu'aux guichets concessionnels du Fonds monétaire international, par l'intermédiaire de l'AFD, l'Agence française de développement, qui prête au FMI pour le compte de l'État français. Comme vous le constatez, tout cela est d'une simplicité extraordinaire.

Le programme 110 regroupe aussi les contributions demandées pour 2012 à quatorze fonds sectoriels dans les domaines de la santé – comme l'initiative de Facilité financière internationale pour la vaccination, menée sur le terrain par la Global Alliance for Vaccination and Immunisation, dont j'ai traité dans mon rapport d'information pour la commission de finances sur la taxe sur les billets d'avion –, ou encore de l'eau et de 1'assainissement ; les contributions pour deux fonds d'aide à la sécurité nucléaire en Ukraine pour le sarcophage de Tchernobyl ; pour les fonds additionnels relatifs au compte d'affectation spéciale « Engagements en faveur de la forêt dans la lutte contre le changement climatique ». Ce dernier compte d'affectation spéciale n'est toujours pas abondé faute de recettes et, à mon sens, bien que le département des Landes soit concerné, il ne devrait pas être inclus dans les dépenses d'aide publique au développement, tout comme, entre autre fonds, celui consacré aux technologies propres.

J'estime qu'un effort d'économie – c'est à la mode par les temps qui courent – et de clarification pourrait éviter la dispersion de l'action de l'État et l'opacité de l'action multilatérale. Il serait souhaitable que la direction générale du Trésor puisse faire plus clairement état de résultats concrets obtenus au travers de l'action de ces fonds, notamment en ce qui concerne les avoirs détournés dans les pays émergents et l'appui à la mobilisation de ressources fiscales qui sont indissociables de l'autonomie du développement dans les pays aidés – pas seulement dans les pays aidés pourrais-je ajouter puisque nous vivons en ce moment un psychodrame qui ne concerne pas un pays en voie de développement.

Vingt ans après la catastrophe de Tchernobyl, qu'en est-il de la coopération française au financement du sarcophage ? L'Ukraine a-t-elle les moyens financiers d'assurer la sécurité nucléaire de son propre pays avec l'aide rémunérée de l'expertise française en matière de sûreté nucléaire ? La question se pose toujours.

Le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en voie de développement », reflète le manque de pilotage par l'État des crédits d'aide au développement et la relative autonomie de choix de l'Agence française de développement entre ses différents instruments.

La dotation de 62 millions d'euros de crédits demandée pour le fonds de solidarité prioritaire pour 2012 accuse une diminution de 20 %. Je m'interroge sur cette baisse, qui frappe des pays demandeurs comme l'Afghanistan, Haïti, le Cambodge, le Cameroun, le Laos, Madagascar, la République démocratique du Congo, le Sénégal et les territoires palestiniens. La répartition des projets par zone géographique révèle une forte et nécessaire croissance des interventions en Afrique subsaharienne et dans l'Océan indien : de 26 % en 2009, elles passent à 78 % pour le premier semestre 2011.

Les subventions de l'AFD pour les autres secteurs, éducation, santé, eau, environnement, développement rural, n'ont atteint que 211 millions d'euros en 2010, mais, en juillet 2011, elles s'élevaient seulement à 55 millions d'euros alors que l'urgence des besoins en matière de santé maternelle et infantile ou d'aide alimentaire est plus que jamais sensible.

Le montant des dons-projets demandés pour 2012 n'est pas encore renseigné dans le projet de loi de finances. Je souligne que le triplement de l'effet de levier des prêts de l'AFD entre 2006 et 2011, qui passe de 3,7 à 18 au Maroc, de 2,6 à 5 au Kenya ou de 3,7 à 44 en République dominicaine, et augmente d'autant plus que les ressources du pays sont faibles, n'est pas un critère d'efficacité de l'aide au développement mais simplement de l'augmentation de l'encours des prêts.

Je remarque que l'aide publique au développement nette générée par l'activité bancaire de l'AFD a bondi de 312 millions d'euros à 2,5 milliards d'euros de 2000 à 2010 en raison d'un politique de prêts trop audacieuse, qui conduit l'AFD, soumise à la réglementation bancaire, et donc aux accords de Bâle III, à réclamer plus de fonds propres. Même si je salue la formalisation du contrat d'objectifs et de moyens, celui n'est toujours pas signé par les autorités de tutelle de L'AFD. Il ne faudrait pas que l'Agence française de développement privilégie son savoir-faire et son expertise bancaire, qui sont incontestables, sur sa mission d'aide au développement. Ce danger était réel lorsque nous avons choisi cette agence comme principal instrument de l'aide publique au développement : j'ai le sentiment qu'elle ne résiste pas à ses propres tropismes.

Sur le programme 301, qui finance des aides au retour et des accords bilatéraux pour 28 millions d'euros de crédits, je n'ai pas de remarques nouvelles

Pour conclure, je crains que le modèle économique du financement budgétaire de l'aide au développement, avec son objectif trop ambitieux d'atteindre 0,7 % du revenu national brut, ne soit aujourd'hui dépassé compte tenu de la conjoncture budgétaire, et qu'il ne soit voué au changement et aux révisions que commandent le pragmatisme et l'honnêteté. La Grande-Bretagne a atteint, comme la Suède et les Pays-Bas, un montant supérieur à 0,50 % d'aide publique au développement, tout en resserrant drastiquement la liste des pays aidés, alors que, pour prendre un exemple, nous finançons encore sur le programme 209 un programme d'échange d'étudiants chinois qui viennent en France perfectionner leur formation de juges. Un vrai besoin existe sans doute en la matière mais je ne suis pas certain que cela relève de l'aide publique au développement. (Sourires.)

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