Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du caractère très complet et très précis des rapports de Martine Martinel, Patrice Martin-Lalande, Michel Françaix et Didier Mathus, qui viennent de nous être présentés, et des excellentes interventions des orateurs du groupe socialiste qui m'ont précédée à la tribune, je comptais concentrer mes cinq minutes de temps de parole à l'intenable injonction paradoxale à laquelle est soumis le groupe France Télévisions.
C'est ce que je ferai pour l'essentiel, monsieur le ministre, avec cependant un point supplémentaire qui m'est dicté par l'actualité, une actualité que personne ne pouvait anticiper, mais que personne ne peut non plus éluder, parce qu'elle concerne un fondement de notre démocratie : la liberté d'expression, la liberté de la presse. Je veux parler de la situation dramatique de Charlie Hebdo, victime d'un incendie criminel il y a moins d'une semaine, dans la nuit de mardi à mercredi, incendie qui a ravagé l'outil de travail de la rédaction de l'hebdomadaire et qui s'est par ailleurs accompagné d'une attaque contre son site internet puis contre celui du quotidien qui, avec honneur et courage, avait choisi d'héberger sa rédaction : Libération.
Je suis convaincue qu'il y a une unanimité sur tous nos bancs pour condamner ces attaques et exprimer notre soutien à Charlie Hebdo, mais, dans la vie publique, comme en poésie, il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. Or, aux termes de notre constitution et de notre règlement, nul autre que vous ne peut en cet instant transformer en preuve les déclarations d'amour à la liberté de création, à la liberté d'expression et à la liberté de conscience qui s'entendent ici ou là.
Je vous le demande donc solennellement au nom de tous les députés présents, en tout cas de tous les députés socialistes, proposez un amendement au programme 180 relatif aux aides à la presse pour venir très rapidement en aide financièrement à Charlie Hebdo. Il n'y a que vous qui puissiez le faire et je suis convaincu que tout le monde ici vous suivra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
J'en viens à ce que je caractérise comme une intenable injonction paradoxale pour France Télévisions.
Martine Martinel le décrit fort bien dans son rapport, Patrick Bloche et Marcel Rogemont sont revenus sur ce point, ce que certains demandent à France Télévisions est intenable ou, plus exactement, ce n'est tenable qu'au détriment de la quantité et de la qualité des missions de service public qu'assume France Télévisions.
Réduire à la fois la ressource publique et le bénéfice des recettes publicitaires du groupe, c'est renoncer au rôle central que joue France Télévisions dans le soutien à la création et à la production audiovisuelles en France.
Que l'on me comprenne bien, je ne parle pas seulement du produit fini diffusé sur France Télévisions, que l'on peut plus ou moins apprécier selon ses goûts, même si ce qui est diffusé actuellement, déclinaison de décisions prises il y a bien longtemps avec une autre gouvernance, me paraît de très grande qualité. Je parle du risque que certains de nos collègues font prendre à tout un secteur de l'économie.
Patrick Bloche a parlé du CNC et du plafonnement qui aura des conséquences très graves. Pour France Télévisions, le contrat d'objectifs et de moyens pour 2012 prévoit 420 millions d'euros pour la création audiovisuelle et 60 millions pour la création cinématographique. France Télévisions, c'est 54 % de la production audiovisuelle nationale, 48 % pour le documentaire, 42 % pour l'animation, 55 % pour le spectacle vivant. Veut-on vraiment déstabiliser un secteur fragile dans lequel la France marque pourtant des points à l'échelle internationale ? Alors même que M. Martin-Lalande vient encore de souligner les enjeux du numérique, veut-on stopper l'effort considérable de comblement du retard accompli dans ce domaine stratégique par le groupe France Télévisions ? Ou est-ce l'engagement légitime pris en matière d'accessibilité des programmes aux personnes aveugles ou mal voyantes que certains sont prêts à sacrifier ?
Je rappelle que la ressource publique allouée à France Télévisions pour 2012 comme pour les exercices suivants couverts par le nouveau contrat d'objectifs et de moyens a été calculée dans un contexte un peu moins sinistré, pour ne pas dire sur des bases insincères, et que, même dans ce contexte plus favorable, la dotation était proportionnellement moins élevée que celle allouée à d'autres acteurs de l'audiovisuel public comme Radio France ou ARTE.
Aujourd'hui, on révise partout à la baisse les perspectives de croissance et de développement. Nous ne vous demandons pas d'augmenter la dotation publique à France Télévisions, nous vous demandons tout simplement de laisser au groupe le bénéfice d'un très hypothétique excédent publicitaire, dont la répartition par objectif inscrit dans le contrat d'objectifs et de moyens pourrait être négociée entre l'État et le groupe, et de renoncer en tout état de cause à la perspective d'une disparition totale de ressources publicitaires en 2016.
Les députés du groupe SRC attendent un engagement clair de l'autorité de tutelle que vous représentez, monsieur le ministre. Ce sont donc deux engagements que nous attendons de vous ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)