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Intervention de Marcel Rogemont

Réunion du 7 novembre 2011 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2012 — Médias livre et industries culturelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Rogemont :

Tout à fait ! Sans reprendre l'ensemble des éléments qu'ils ont porté à notre connaissance, je voudrais vous faire part de mes inquiétudes sur un certain nombre de sujets. « Jamais autant d'argent n'avait été consacré à la presse », voici les termes de vos propos, monsieur le ministre, s'agissant du bilan des états généraux de la presse. Mais, alors qu'elle n'a jamais bénéficié d'autant d'argent public, la presse ne s'est jamais portée aussi mal ! On peut s'interroger sur le bilan des états généraux de la presse, je pourrais même parler, puisqu'il y a tant d'argent, des « états généreux de la presse ». Considérant le secteur, aujourd'hui, qu'en est-il ? Le désenchantement est au rendez-vous, comme le montre la situation de nombreux quotidiens. Entre 2008 et 2010, les quotidiens français ont vu leurs effectifs diminuer de 6 %, soit 1 500 postes en moins. À eux seuls, les quotidiens régionaux ont perdu 1 000 CDI en trois ans. Parmi les titres les plus touchés, Le Monde et Le Figaro ont mis en place des plans de départs volontaires en 2008 portant respectivement sur 130 et soixante et onze salariés. La presse se trouve donc dans une situation dramatique. Peut-on s'interroger alors sur cet argent ? Michel Françaix appelait de ses voeux que l'on dépense mieux, puisqu'il y a davantage d'argent. Le ciblage des aides devrait être au rendez-vous. Que penser, par exemple, d'une presse magazine récréative qui bénéficie de 35 % de l'effort public quand la presse quotidienne nationale d'information politique générale ne profite que de 15 % du total de la contribution publique ? Que penser, Michel Françaix le rappelait, des 53 millions d'avantage tarifaire postal dont bénéficient les magazines télévisés, alors que le total des aides à la modernisation sociale de la presse représente 50 millions d'euros ? Que penser aussi des aides directes attribuées à La Poste pour distribuer de façon quasi exclusive la presse magazine et professionnelle ? Que penser, enfin, de la diminution des crédits en faveur du portage – 68 millions l'an passé, 45 millions cette année – en dépit de sa faiblesse structurelle ? Le portage était pourtant et devrait toujours être une priorité. Alors pourquoi baisser les crédits ? Je rappelle que le portage ne représente que 19 % de la distribution de la presse quotidienne dans notre pays, alors qu'il atteint 88 % de la distribution des quotidiens aux Pays-Bas, 60 % en Allemagne et 50 % aux États-Unis ? Que de désillusions ! Est-ce cela une réforme de « grande ampleur » ? Qu'en est-il du ciblage des aides à la presse sur les titres qui en ont le plus besoin, cette presse qui s'adresse au lecteur citoyen et non au lecteur consommateur ? Si l'on veut préparer l'avenir, que penser, à l'ère numérique, de la part des aides à l'investissement qui n'atteint pas un quart des aides ? Que penser d'une presse d'information politique et générale en ligne qui se voit appliquer un taux de TVA de 19,6 % alors que le magazine Voici bénéficie du taux super réduit de 2,1 % ? Pour relever les défis de demain, la presse a besoin des aides publiques correspondant au service public rendu. Elles doivent donc être ciblées et conditionnées à l'engagement des éditeurs sur une stratégie globale et pluriannuelle de redressement et d'adaptation, assortie d'engagements volontaires qui marquent l'utilité d'un service public de la presse.

À l'heure des contraintes budgétaires, une transparence dans l'attribution des fonds publics est indispensable. Nous avons besoin d'une politique transparente, responsable et mieux ciblée surtout dans cette période de désenchantement.

Le dépôt, à la sauvette, sans aucune concertation, d'un texte visant à réformer le statut de l'Agence France-Presse et le fait de laisser les salariés, les techniciens et les journalistes dans l'incertitude nourrissent le désenchantement. Oui, face au risque de contentieux communautaire, la question du financement de l'Agence France-Presse doit être réglée. Il s'agit d'identifier, là aussi, plus clairement la mission d'intérêt général de l'Agence, afin de justifier le versement de crédits publics. Nous attendons, monsieur le ministre, des actes, tant les termes de la réforme et son calendrier sont imprécis. Action, transparence, clarté nous intéressent !

Je pense aussi à la TVA à taux réduit sur l'ensemble des biens culturels, que le Président de la République et vous appelez de vos voeux. Vous avez d'ailleurs missionné M. Jacques Toubon pour suivre les démarches européennes que le Gouvernement peut entreprendre. Mais, voilà que Mme Valérie Pécresse remet en cause votre volontarisme et vos engagements ! Elle a, en effet, laissé entendre que la presse en ligne n'était qu'un service et non une information utile à la nation. Ces contradictions nous interpellent. Nous appelons de nos voeux une position : la vôtre ! Comment définissez-vous un bien culturel ? Qu'est devenu le principe de neutralité fiscale ? Le Gouvernement souhaite-t-il favoriser le développement de la presse en ligne ? Quelles actions entendez-vous entreprendre à Bruxelles ? Le législateur sait parfois passer outre l'obstacle communautaire. Je pense au livre numérique. Pourquoi ne pas faire preuve d'un même volontarisme ? Est-on d'ailleurs assuré de l'applicabilité d'une fiscalité réduite sur le livre numérique à compter du 1er janvier prochain ? Il semblerait, en effet, que la quasi-totalité des États membres – Allemagne et pays Scandinaves en tête – soient défavorables au passage à une TVA à 5,5 % pour le livre numérique. Or, face à la concurrence des grands agrégateurs de contenus comme Apple, qui procèdent à des taxations substantielles sur les transactions, – près de 30 % – il est indispensable que notre législation soit appliquée et que l'État tienne sa parole, qu'il nous rassure et qu'il rassure la chaîne du livre. En effet, en l'absence de négociations concluantes, la France s'expose à une mise en demeure de la part de Bruxelles si elle décide d'appliquer la baisse de la TVA début 2012. Qui paierait, dans ce cas, le remboursement du différentiel de TVA ? Nous en parlions tout à l'heure, s'agissant de France Télévisions. Cela incomberait-il aux éditeurs ? Je m'interroge sur la situation du livre, après l'adoption, le 21 octobre dernier, de l'amendement n° 431 . Le plafonnement de la taxe affectée au Centre national du Livre aboutit, en fait, à un détournement du fondement même de la taxe. C'est un peu comme si vous mettiez en place un impôt sur une politique fructueuse qui a donné des résultats sensibles sur la chaîne du livre. Les incertitudes du budget commandent ce type de décision. Elles commandent une improvisation, donc une inconséquence, car elles mettent en cause un dispositif fructueux. Pourtant, le livre se trouve, aujourd'hui, dans une situation paradoxale et dangereuse. Que penser, par exemple, des accords signés par Flammarion avec Amazon et Apple, des accords passés par La Martinière ou Hachette Livre avec Google ? Les détails de ces accords ne nous sont pas fournis, mais on peut constater que plusieurs éditeurs ont mis fin à leur poursuite contre Google pour contrefaçon. Dans quelles conditions ? Nous l'ignorons ! Que penser de ces mêmes géants de l'internet basés au Luxembourg et qui bénéficient d'une exonération de TVA pour la vente des livres numériques en France ? Si la situation est appelée à changer en 2015 sur l'internet, trois ans pour le livre deviennent une éternité. Que penser encore d'Amazon qui se veut désormais éditeur ? La société publiera, en effet, cet automne, aux États-Unis, 122 livres en version papier et en version électronique. Celle-ci pourrait, à terme, transformer le marché du livre, comme l'a fait Apple, via Itunes, l'Ipod et l'Iphone, pour la musique ? Que penser d'Amazon, toujours, qui, avec ses e-book disponibles sur sa liseuse Kindle,affiche un « prix conseillé de l'éditeur », puis « le prix Kindle », constituant là une violation flagrante de l'esprit de la loi sur le prix unique du livre ? Enfin, que penser de la situation des libraires qui voient leurs éditeurs s'allier avec les géants de l'internet ? Les initiatives de ces libraires se multiplient et on ne peut que les féliciter. Mais les librairies de quartier, les plus vulnérables, ne sont-elles pas dépassées par cette situation ? Une pétition lancée par Bibliosurf, librairie en ligne de polars, pointe ainsi les difficultés à survivre face aux multinationales. Le premier grief vise le nouvel algorithme de Google, « Google Panda », conçu pour donner des résultats plus pertinents aux recherches et qui a fait tomber le trafic de Bibliosurf de plus de 40 % en septembre. Je citerai un autre grief : l'inégalité fiscale entre les acteurs. Car, on le voit, ce sont bien, aujourd'hui, les nouvelles méthodes des géants de l'internet, de même que les inégalités fiscales, qui font courir de sérieux dangers au secteur du livre. Nous appelons votre attention sur ce point, monsieur le ministre, mais je pense que vous le savez. Nous attendons, de votre part, action et diligence sur un secteur dont la survie est loin d'être assurée. Les incertitudes, oui c'est bien là le fil conducteur de notre difficulté à voter vos crédits, dont on se demande ce qu'ils sont, puisque sans cesse remis en cause.

Concernant France Télévisions et l'amendement qui plafonne ses recettes, je reprendrai, car je les accepte, les propos de Michel Herbillon : « un contrat, c'est un contrat ». Or, si on le remet immédiatement en cause, ce n'est plus un contrat. Le contrat lie l'État et France Télévisions qui, pour mener sa mission, doit avoir l'assurance d'obtenir des crédits de l'État, sans qu'ils soient sans cesse redéfinis. Ainsi, les réformes qui ont touché l'audiovisuel public n'ont-elles, comme conséquence, qu'une plus grande incertitude sur le fonctionnement de l'entreprise France Télévisions, ce qui est bien dommage. La compensation de la suppression de la publicité en journée pèse sur les financements publics et le moratoire jusqu'à fin 2015, voté dans la loi de finances de 2011, maintient France Télévisions et sa régie publicitaire dans une situation d'incertitude totale, s'agissant de leur avenir et du modèle économique. N'est-il pas opportun, considérant les difficultés budgétaires, de revenir sur cette incertitude et d'en finir avec la volonté de supprimer totalement la publicité sur France Télévisions ? Je veux dire à mon collègue Michel Herbillon que nous avons sans cesse, en tant que socialistes, demandé à ce qu'il y ait une chaîne jeunesse sans publicité, parce qu'il nous paraît fondamental que les enfants puissent regarder la télévision sans être des objets de consommation. C'est là que se pose le vrai problème.

L'absence de visibilité sur le financement de l'audiovisuel n'est pas sérieuse. Je fais partie de la mission sur l'audiovisuel extérieur de l'État. De 1987 à 1997, nous avons eu près de dix-neuf rapports sur l'audiovisuel extérieur de l'État, qui n'ont abouti à rien. En 2002, les conclusions d'une mission parlementaire ont été mises sous le boisseau et on a créé une société en lien avec TF1 et France Télévisions. Cette société n'a rien donné. TF1 a revendu ses parts en 2008, opération financière extrêmement juteuse, sur de l'argent public. Il y a de quoi s'interroger.

Bref, se pose vraiment aujourd'hui la question de la simplification de l'audiovisuel extérieur de l'État. Je propose que France 24 soit adossée à France Télévisions et RFI à Radio France. Arrêtons le massacre, arrêtons ces décisions qui n'entraînent qu'incertitude et désenchantement. C'est donc bien à une rationalisation de l'audiovisuel extérieur de l'État que vont mes voeux, et je souhaite qu'ils soient pris en compte. France Télévisions développe un service international. La France a-t-elle les moyens de financer à la fois France 24 et le secteur international de France Télévisions ? M. Réveillon nous a expliqué toute l'utilité de son travail sur France Télévisions. Une bonne partie de l'information de France 24 vient des bases de données de France Télévisions.

C'est une vraie question et l'on pourrait engager une vraie réforme. J'espère qu'à la fin de la mission, nous parviendrons à une telle conclusion.

Je ne reprends pas les propos de Patrick Bloche sur le CNC. La remarque que je faisais pour le centre national du livre vaut pour le CNC. Il ne faut pas qu'après avoir pris en compte des dépenses budgétaires qui étaient du ressort du budget général, il en vienne à financer le budget général. Il y a là un vrai problème.

La faillite du budget de la France ne doit pas avoir pour conséquence la destruction de ce qui a permis à notre pays d'avoir une politique culturelle forte, et c'est pourquoi nous serons attentifs au débat. Nous préparons un autre avenir pour la presse, le livre, le CNC, France Télévisions, l'audiovisuel extérieur de l'État. Bref, nous voulons redonner un avenir à ce secteur, le réenchanter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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