Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, balayer en cinq minutes le bilan d'une législature pour l'AEF est un exercice assez sportif mais je vais m'y essayer.
Au terme de cette législature, on reste frappé par le considérable gâchis que constitue la gestion de l'Audiovisuel extérieur de la France au cours de ces dernières années.
Il est vrai que France 24 était mal née dès 2003, lorsque le Président de la République de l'époque fit le choix pour le moins incongru de refuser toutes les préconisations des parlementaires et des professionnels en créant un attelage improbable entre France Télévisions et TF1 pour complaire au groupe Bouygues.
Malheureusement, la suite ne fut pas plus convaincante. La création ex nihilo d'une chaîne d'information en continu à vocation internationale, au moment même où le pouvoir refusait la création de la chaîne TNT « tout info » du service public, fut une erreur de conception et de calendrier. L'heure n'était d'ailleurs déjà sans doute plus à l'émergence d'un format de breaking news, à l'instar de CNN ou d'Al Jazeera.
Le rapport Benamou en 2007, partant d'une idée simple et somme toute peu contestable, le rapprochement de tous les outils internationaux de l'audiovisuel extérieur, devait aboutir à une série d'erreurs d'appréciation et de maladresses qui n'ont fait qu'aggraver la situation.
Le choix des dirigeants, répondant à des critères partisans et circonstanciels, achevait de compromettre cet édifice.
Dans quel pays peut-on ainsi confier le destin de l'audiovisuel extérieur à un publicitaire dont la seule compétence éminente dans le domaine était sa connivence forte avec le chef de l'État de l'époque, en le doublant d'une directrice générale elle-même compagne du ministre des affaires étrangères ?
Avec la démission de Jean Lesieur, il y a quinze jours, considéré pourtant comme le plus proche des soutiens du PDG, France 24 aura connu cinq directeurs de l'information en quatre ans !
Le rapport de l'Inspection générale des finances remis au Premier ministre apporte un éclairage assez cru sur les conséquences du pilotage à la godille de l'AEF et souligne notamment des versements exceptionnels de l'État à hauteur de 100 millions d'euros sur la période 2009-2011 et l'incapacité à alimenter les ressources propres prévues par les budgets successifs. L'IGF dénonce de manière pudique une « zone d'incertitude budgétaire » pour 2011-2013 de 55 millions d'euros. On note, par ailleurs, que 10 millions d'euros ont été consacrés à des indemnisations de cadres supérieurs de France 24, pour l'essentiel, compte tenu du turn over effréné qui a sévi dans cette entreprise. Et je ne parle pas des opérations acrobatiques mentionnées tout à l'heure par Martine Martinel…
Aujourd'hui, en l'absence de toute perspective éditoriale compréhensible et lisible, la fusion de RFI et France 24 semble être le seul but, tournant même à l'obsession, du Gouvernement et de la direction de l'AEF.
Au final, le gâchis est spectaculaire et le fiasco total.
Je veux passer en revue très rapidement les trois piliers de l'AEF.
D'abord, France 24. Si le lancement du canal en langue arabe a été une heureuse initiative et une belle opportunité de calendrier avec le déclenchement du printemps arabe, il n'en reste pas moins que l'on peine à voir la trace de l'influence de France 24 à l'échelle internationale.
Très mal distribuée, absente de continents entiers, la chaîne n'a pas, à ce jour, trouvé son identité. Les succès d'audience revendiqués à grands sons de clairons par la direction de l'AEF relèvent d'une politique de communication certes audacieuse mais sans fondement. Tous les indicateurs confirment au contraire le caractère confidentiel de la chaîne.
L'IGF s'interroge d'ailleurs dans son rapport sur la nécessité de persister dans une politique coûteuse d'amélioration de la distribution de la chaîne, considérant qu'il n'est plus temps et que le canal Internet est désormais prédominant.
Ensuite, RFI. Marque reconnue, la radio généraliste bénéficie d'un crédit considérable en Afrique et dans d'autres parties du monde. Elle fait partie du tout petit nombre de radios internationales reconnues à l'échelle de la planète, aux côtés notamment de BBC World Service et de Voice of America.
RFI a été éprouvée par le plus grand conflit de l'histoire de l'audiovisuel public et, affaiblie par un plan de sauvegarde de l'emploi qui a éliminé un quart de ses effectifs, elle a été ramenée à un format critique pour le nombre de langues quand on la compare à ses concurrents. La perspective de la fusion revient pour elle à dilapider son crédit et sa notoriété pour une aventure incertaine.
Si des synergies, voire des fusions, sont possibles, en particulier au niveau des fonctions supports, fusionner les rédactions d'une radio généraliste et d'une télévision d'info en continu n'a guère de sens.
Enfin, TV5 Monde, qui est l'oubliée de l'AEF. Il n'y a aujourd'hui d'intérêt ni pour TV5 Monde ni pour l'AEF à ce que TV5 Monde soit dans ce dispositif.
Par contre, il est singulier que TV5 Monde soit coupée de France Télévisions, qui fournit pourtant 40 % de ses programmes, quand tous les partenaires francophones sont présents dans TV5 Monde par le biais de leurs télévisions publiques nationales.
Au-delà des errements du pilotage de l'AEF, au-delà des fautes commises dans la mobilisation des personnels, au-delà des dérapages budgétaires, il manque d'abord à l'AEF une vision, un cap éditorial, une cohérence des contenus lui apportant le crédit qui lui fait défaut aujourd'hui malgré l'excellent travail effectué au quotidien par les équipes de RFI et de France 24.
La construction même de l'édifice AEF mérite d'être repensée et rééquilibrée. L'AEF n'a pas d'avenir dans sa formule actuelle et la fusion de RFI et France 24, marginalisant encore plus TV5 Monde, sans synergies avec les considérables ressources de l'audiovisuel public, ne peut déboucher que sur un échec.
C'est à ces questions que nous réfléchissons dans la mission conjointe de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires étrangères qui déposera ses conclusions dans quelques semaines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)